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FAUT PAS T’EN FAIRE POUR RONNIE!(ça arrive à tout le monde)

Ronnie Bennett – Spector en 1971. Isn’t she lovely ? Photo Billboard, with their fair authorisation

Double dose de rock’n’roll cette fois-ci, mais ce n’est pas tous les jours que meurt la belle Ronnie Bennett ex Madame Spector. Un an presque jour pour jour après le grand Phil Spector, qui fut à la fois son mentor, son pygmalion et son mari, même si le bonheur conjugal tourna vite au cauchemar. Le « Be My Baby » des Ronettes a longtemps été ma chanson favorite, juste devant le « Don’t Worry Baby » des Beach Boys et avant de découvrir le Velvet Underground. Cela valait bien un hommage à une chanteuse exceptionnelle dont la beauté a su troubler mon enfance.

I’ll make you happy baby / Just wait and see

For every kiss you give me / I’ll give you three.

Be My Baby – The Ronettes

Les années1962 et 1963 sont des années de transition dans la pop music internationale, deux années charnières. Les roucouleurs gominés du College rock jettent l’éponge les uns après les autres, faute de succès durables et, outre-atlantique, les groupes du Merseybeat puis du Swinging London ne sont pas encore installés. La Beatlemania fera ses premiers ravages courant 1963 et l’invasion britannique est à dater de l’année suivante.

1962 est l’année du Surf rock (des Beach Boys à Jan & Dean en passant par les Trashmen, les Surfaris ou les Rivieras) et des Girls groups. Il y a les groupes féminins de chez Tamla Motown, les Marvelettes ou les Marcelles avant les Supremes et Martha & The Vandelas ; les groupes new-yorkais managés le plus souvent par le producteur Shadow Morton avec les Shangri-Las ; les Chiffons et les Dixie Cups (de la Nouvelle-Orléans) et, pour ce qui nous occupe, les jeunes femmes noires exilées en Californie et produites par Phil Spector : les Crystals, Darlene Love, Bob B. Sox & The Blue-jeans et bien sûr les Ronettes.

Les Ronettes pour Veronica « Ronnie » Bennett et sa sœur Estelle accompagnées par Nedra Talley, la troisième Ronette, une cousine. On ne sort pas de la famille. Une famille multiraciale puisque le père est blanc et la mère, Beatrice, noire avec du sang Cherokee. Elles sont toutes trois nées à New York. Le groupe débute officieusement en 1959, mais pas en tant que Ronettes, un nom qu’elles ne prendront qu’en 1961.

On a déjà parlé ici de Phil Spector, producteur prodige new-yorkais inventeur du Spector Sound, un déluge de violons et de tambourins pour sculpter le son et donner une ampleur démesurée à des chansons d’amour somme toutes banales. Spector, un personnage tout droit sorti d’un roman de Norman Mailer, une tragédie américaine qui voit un artiste glisser en quelques années du Capitole de la gloire et de la fortune à la roche Tarpéienne de la folie et du crime. Il n’y a pas de deuxième acte dans la vie d’un Américain, disait Scott Fitzgerald. Il n’y en aura pas pour Phil Spector, assassin musicien qui finira sa vie en prison.

Mais revenons aux Ronettes, aux sœurs Bennett à leur faire-valoir. Ronnie Bennett est née le 10 août 1943, cadette de sa sœur Estelle, née le 22 juillet 1941. Pour rester dans l’état civil, Nedra Talley, encore plus jeune, était née en 1946 et n’avait guère que 14 ans au moment de la création du groupe, les Darling Sisters avant les Relatives.

Choucroutes sur la tête, robes gonflantes et chaussures blanches, les Ronettes d’abord, on l’a vu, sous les noms des Darling Sisters ou de Ronnie & The Relatives sont remarquées par Philip Halikus qui les présente au producteur Stu Phillips, lequel les fait enregistrer leurs deux premiers singles (« What So Sweet About Sweet Sixteen » en 1961 et « I’m Gonna Quit While I’m Ahead » en janvier 1962). L’impresario Clay Cole les remarque et les engage dans ses spectacles Twist O Rama avant de leur confier les chœurs dans les émissions de Murray The K., célèbre disc-jockey new-yorkais.

Après un engagement dans l’orchestre de Joey Dee, les Ronettes sont très demandées pour leurs qualités de choristes, par Del Shannon ou Conway Twitty notamment. Parallèlement, elles ont signé un contrat chez Colpix et sortent deux hits en cette même année 1962 : « Silhouettes » en avril puis « I’m On The Wagon » en juin. C’est là que Spector les remarque à son tour et, autant séduit par leurs voix que par leurs plastiques, les fait enregistrer au Mira Sound Studio et les engage tout de suite sur son label Philles. Colpix se console en publiant l’intégrale des singles publiés par le groupe avant la rencontre avec Spector (Ronettes featuring Veronica, qui ne sortira qu’en 1965).

Sur le label Philles, les Ronettes éclipsent vite leurs rivales, les Crystals (« Da Doo Ron Ron ») ou Darlene Love (« White Christmas ») et sortent leur chef-d’œuvre, « Be My Baby », en août 1963, n°2 au Cashbox. C’est le type même de la symphonie pour adolescents – « symphony for teens » – dont parlait Spector. Mur du son pour cathédrale en stuc rose ou chapelle sixties en vinyle et formica. Là où le sentimentalisme adolescent confine au grandiose wagnérien. Plus que la délectation morose, le désespoir radieux avec des rafales d’instruments dans tous les coins et une mélodie somptueuse, signée Eli Greenwich et Jeff Barry (et Phil Spector). C’est le titre pour lequel Brian Wilson, des Beach Boys, se serait damné, réécoutant mille fois la chanson pour en pénétrer les secrets. Les Ronettes récidivent la même année avec « Baby I Love You », mais sans le succès de leur pépite.

Début 1964, les Ronettes tournent en Angleterre avec les Rolling Stones en première partie. Les rapports de force sont en train de s’inverser et c’est bientôt les groupes du Swinging London qui tiendront la vedette. Cependant, les hits s’accumulent, souvent signés par les sorciers de Tin Pan Alley (l’usine à tubes new-yorkaise) comme Greenwich – Barry, Goffin – King ou Mann – Weil : «Best Part Of Breakin’ Up », « Chapel Of Love » ou « Walking In The Rain », merveilleuse chanson de Barry Mann et Cynthia Weil qui sera reprise par les Walker Brothers. Rien que pour 1964. Dans « Walking In The Rain », un Spector au mieux de sa forme, en Jupiter des studios, fait surgir le tonnerre et danser la pluie. C’est à la fin de cette année-là que sort l’album Presenting the fabulous Ronettes, qui reprend leurs hits de l’année. Ils avaient déjà chanté les meilleures chansons du fameux Phil Spector’s Christmas album de décembre 1963. Mais les Ronettes préfèrent la fulgurance et la brièveté des simples.

L’année 1965 voit les hits se raréfier et Ronnie Bennett se fiancer avec Phil Spector. Le producteur va vivre son Waterloo avec le « River Deep Mountain High », de Ike & Tina Turner, l’année suivante. Les Ronettes se marient, Nedra avec un télévangéliste et Estelle avec le compositeur Joe Dong. Pas encore marié, Spector, jaloux comme un tigre, interdit aux Ronettes de faire la première partie des Beatles lors de leur deuxième tournée américaine. Les pauvrettes enregistrent « I Can Hear Music », leur dernier disque, en 1966 et c’en est quasiment fini d’elle, comme de leur mentor. Ils reprennent un titre des Beach Boys quand, à leurs débuts, c’est Brian Wilson qui bavait d’admiration devant elles. La boucle est bouclée.

Estelle et Nedra quittent la scène et le talent de Ronnie Spector – elle a épousé Phil en 1968 – ne peut s’exprimer avec un mari paranoïaque qui n’a de cesse de lui couper les ailes. Il la bat et la séquestre. Le coupe adopte un bébé mulâtre avant des jumeaux en 1971. C’est l’année où Ronnie enregistre à nouveau un single : « You Came, You Saw, You Conquered », version américaine du Veni vidi vici romain. C’est un flop. Elle traîne avec sa sœur Estelle dans l’entourage de Jimi Hendrix et des Beatles qui lui font enregistrer quelques chansons chez Apple, dont une – « You » – est composée par George Harrison. Ne sortira de ces séances que l’excellent « Try Some, Buy Some », toujours en 1971, mais sans guère plus de succès.

Puis Ronnie part en tournée avec l’orchestre de Billy Vera avec lequel elle interprète ses dernières chansons (« Lover Lover » et « I Wish I Never Saw The Sunshine », en 1973). Elle divorce d’avec un Spector de plus en plus incontrôlable l’année suivante et se fend de quelques vocalises sur le Muscle of love de Alice Cooper.

La suite ne mérite pas vraiment d’être racontée. Elle a des projets d’albums, mais rien ne se concrétise et on remarque ses apparitions en guest-star lors de concerts de quelques jeunots qui l’ont toujours admirée : Bruce Springsteen, Southside Johnny, Miami Steve Van Zandt et Billy Joel.

Elle enregistre quand même « It’s A Heartache » en 1978, mais c’est la version de Bonnie Tyler qui se classe dans les charts. Quand ça veut pas… Elle copine avec la crème de la punkitude new-yorkaise, de Mink Deville aux Dead Boys en passant par les Ramones, et en participant à des revues pour nostalgiques où elle peut chanter à nouveau ses succès pour un public qui les découvre.

Il y aura quand même un album en bout de piste, Unfinished Business, en 1987. Non, le boulot n’est pas fini mais ce n’est pas avec ce disque qu’elle va renaître. Une chanson signée Cher, une autre chantée avec Susanna Hoffs, des Bangles. Rien de bien excitant. Ce sera ensuite une chanson dans la comédie musicale Tycoon (« Farewell To A Sex Symbol »), l’équivalent de notre Starmania à nous, puis rideau. L’art de tirer sa révérence, mais au ralenti.

Si, juste une dernière chanson en duo avec la grande rivale des années Philles, Darlene Love : « Rocking Around The Christmas Tree » (de Brenda Lee) pour un album à but caritatif et une autobiographie (Be my baby – My life as a fabulous Ronette) en 1990, un livre préfacé à la fois par Billy Joel et Cher, sa grande copine.

La belle Ronnie est décédée le 12 janvier, à 78 ans. Espérons pour elle qu’elle ne rejoindra pas son ex-mari là-haut. RIP petite ! Comme disait à peu près Jackie Wilson.

15 janvier 2022

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