Faithfull ou fidèle, un patronyme qui lui allait comme un gant. Fidèle à elle-même à travers les vicissitudes et les changements incessants d’une vie riche et bien remplie. La petite sœur du rock, ou la scandaleuse de Londres comme j’ai pu l’appeler dans une biographie à elle consacrée, a été la dame de cœur du Swinging London, éternelle fiancée de Jagger, avant de connaître la déchéance et de renaître dans le Londres punk de la fin des seventies. Comédienne à la scène et à l’écran, elle aura laissé ces dernières années une suite d’albums majestueux parfois enregistrés avec la crème de la pop anglaise. Lady Faithfull était une grande dame, assurément.
On peut dire qu’elle a de la branche. La mère de Marianne Faithfull est une baronne autrichienne petite-nièce du baron Sacher-Masoch, à qui l’on doit le concept de masochisme issu de son roman La Vénus à la fourrure. Son père est un espion anglais du MI5 voyageant incognito en Allemagne. Le mariage a lieu dans l’immédiat après-guerre et Marianne en naît en décembre 1946.
Elle naît dans le quartier de Hampstead, à Londres où la petite famille s’est installée mais très vite, son père part fonder un centre pour la jeunesse sur la côte, mi-abbaye de Thélème, mi-secte basée sur des principes libertaires et humanistes. La jeune Marianne est élevée par sa mère à Reading et elle est scolarisée chez des bonnes sœurs anglicanes. Une enfance marquée par la hantise du péché, les préventions contre le sexe et la peur de l’enfer. Cela ne l’empêchera pas de le connaître.
Adolescente, elle se produit dans une troupe théâtrale de Reading et, le dimanche, elle chante et s’accompagne à la guitare dans des pubs, en passant le chapeau pour se faire un peu d’argent de poche.
Elle reprend des chansons de Dylan mais se passionne aussi pour les groupes du Swinging London en pleine effervescence, à commencer par les Rolling Stones dont elle adore le « Not Fade Away ».
Elle se marie très vite avec un étudiant amateur d’art du nom de John Dunbar et donne naissance à un fils – David – alors qu’elle a à peine 18 ans. Elle a toujours été en avance.
La suite de son histoire est plus connue. Dunbar va monter une galerie d’art avec Barry Miles, journaliste à la mode de la presse rock, et Peter Asher, chanteur du duo Peter & Gordon qui deviendra le beau-frère de Mc Cartney. La raison sociale de l’établissement sera MAD, réunissant leurs trois acronymes. Marianne et son jeune mari sont installés à Londres et peuvent ainsi côtoyer les jeunes gloires de la pop. Avec Sandie Shaw et Cilla Black, de Liverpool, elles seront les trois grâces du genre.
Andrew Loog Oldham est ce producteur qui a repris les Rolling Stones à Giorgio Gomelsky, parti lancer les Yardbirds. Les disques Decca font signer tout ce qui chante et gratte la guitare, après avoir laissé filer les Beatles. Marianne Faithfull sera du nombre et ce sera une chanson signée Jagger – Richards, « As Tears Go By » qui la fera connaître. La chanson, romantique et tendre, lui va comme un gant mais elle fait un flop avec sa reprise du « Blowin’ in The Wind » de Dylan. Qu’importe, elle est n°1 en 1965 avec « Come And Stay With Me » et tourne aux quatre coins du pays avec les Hollies ou les Kinks. Dans l’une de ces tournées, elle couche avec le chanteur américain Gene Pitney. Enceinte, elle se fait avorter et s’éloigne de Dunbar pour passer de plus en plus de temps dans la maison de Brian Jones à Marylebone. Elle copine avec Anita Pallenberg et tombe amoureuse de Keith Richards, mais c’est Jagger qui en fera sa fiancée officielle, l’éternelle fiancée. La petite fille de Reading est devenue une reine de la pop, déjà couronnée d’une réputation sulfureuse par la presse de caniveau qui lui vouera toujours une tendresse particulière.
Après déjà quatre albums et une reprise de « Yesterday » qui cartonne, elle sort Love is a mist avec des reprises de Tim Hardin, de Donovan ou de Jackie De Shannon. Échec commercial qui l’éloigne des studios, elle qui a déjà tâté des planches (Hamlet sous la direction de Tony Richardson) et qui fera du cinéma (La motocyclette de Jack Cardiff avec Alain Delon). La pop music ne l’intéresse plus, moins en tout cas que l’héroïne dont elle fait un usage immodéré. En février 1967, c’est la rafle de la police où elle est retrouvée nue dans un manteau de fourrure, dans la propriété de Keith Richards. C’est le scandale et elle est la première à en faire les frais. Aux attaques de la presse, elle répond par des provocations qui n’arrangent pas son cas. On la répute traînée, droguée et mère indigne. La scandaleuse de Londres a remplacé définitivement la jeune fille romantique de Reading. Elle fait un dernier tour de piste dans le Rock’n’roll circus de la BBC à Noël 68, avant de se perdre dans la nuit.
Sa majesté Jagger l’a répudiée et Decca l’a virée. Elle avait suivi Jagger pour le tournage de Ned Kelly en Australie et avait tenté de se suicider. En 1969, elle avait écrit le sublime « Sister Morphine »), mais les Stones lui ont volé et l’ont signée abusivement. Elle gagnera le procès intenté contre les imposteurs.
On la retrouve SDF, logeant dans des squats et faisant la manche. Elle peut encore compter sur quelques amis fidèles comme le complice de Burroughs Bryon Gysin ou le peintre Francis Bacon. Mais c’est la déchéance. Elle tombe de Charybde en Scylla avec le tournage du Lucifer rising de Kenneth Anger où elle incarne une princesse du mal.Le film, tourné en 1971, ne sera distribué qu’en 1980. La même année, elle enregistre quelques chansons pour le label NEMS, qui ne sortiront qu’en 1985 sous le titre Rich kid blues. Le come back tarde à venir.
C’est Mike Leander, producteur des disques NEMS, qui va sortir la belle du ruisseau. Elle a grossi après une première désintoxication et sort Dreamin’ my dreams en 1976, des reprises Country où elle se donne des airs de Dolly Parton british. L’album n’a guère beaucoup de succès mais lui permet de remettre le pied à l’étrier.
Mais c’est Broken English, en 1979, qui va la replacer au sommet des charts et la rappeler au bon souvenir de fans oublieux. Le Punk a fait ravage à Londres et elle s’inscrit dans cette lignée, pas pour la musique, mais pour des textes durs et inspirés, véritables brûlots contre l’Angleterre de Thatcher qui se profile. «Broken English » ou l’Angleterre brisée qui fait un hit et des chansons comme « Ballad Of Lucy Jordan », d’une beauté trouble.
Il y aura aussi Dangerous Acquaintances, en 1981, basé sur le roman de Choderlos de Laclos Les liaisons dangereuses, avec là aussi quelques belles réussites. Elle compose avec le guitariste Barry Reynolds et vit une passion avec Ben Brierley, ex guitariste des Vibrators. Après sa rupture avec Brierley, elle part habiter New York et renoue avec ses mauvaises habitudes. Internée en psychiatrie, elle vit avec un ancien patient qui se jette par la fenêtre de son immeuble de Manchester (Massachusetts). Elle retourne à Londres dévastée et est hébergée par sa baronne de mère.
Il faudra attendre 1987 pour qu’elle reparte avec un rock adulte et littéraire. Strange weather d’abord avec Tom Waits, sous influence Brecht – Kurt Weill puis le miraculeux A secret life, produit par Angelo Badalamonti en 1995 avant le live 20th century blues sur des chansons Brecht – Weill encore. Elle est repartie à New York et donne des concerts mêlant théâtre et cabaret dans des églises. Un concept-album sur les 7 péchés capitaux (7 deadly sins) en 1998 puis une série d’albums d’excellente facture, tous inspirés, troublants et poétiques. La voix de Marianne est devenue grave et la jeune scène pop londonienne s’est mise à son service. Elle sera aussi l’ultime confidente de Gregory Corso et jouera sur une pièce de William Burroughs, The black rider. The beat goes on…
Vagabond ways, d’abord où elle retrouve Barry Reynolds, avec Daniel Lanois comme producteur. Kissin’ time, avec Beck, Blur, Smashin’ Pupkins… Before the poison avec P.J Harvey et Nick Cave. Puis viendront Easy come easy go, un double album de reprises, Horses and high heels avec cette sublime reprise du « Goin’ Back » pour un album où rodent en studio Lou Reed, Doctor John et Wayne Kramer. On termine avec la trilogie finale : Give my love to London (2014), Negative Capability ((2018) et le dernier, She walks in beauty en 2021.
Après quelques aventures diverses et variées, elle se marie avec François Ravard, un producteur français. On avait appris qu’elle avait été gravement malade pendant la période du covid. Des difficultés respiratoires et une intense fatigue. Elle sort quand même un dernier album en 2021 dont le titre pourrait la résumer toute entière : « elle marche dans la beauté ».
Elle tire sa révérence le 30 janvier de cette année, après un épisode boulimique, un cancer du sein et des crises d’emphysème dues à une consommation de cigarettes effrénée, la seule addiction dont elle ne s’est jamais débarrassée. So long Marianne, comme chantait Cohen, et toute mon admiration par-delà les nuages.
MARIANNE FAITHFULL – LA PETITE SŒUR DU ROCK (LA SCANDALEUSE DE LONDRES) DIDIER DELINOTTE – CAMION BLANC (2018).
4 février 2025
Merci, Didier pour cet excellent résumé de la splendide biographie que tu avais écrite sur elle en 2018.