Une finale Brésil – Allemagne pour un Mercato del Sur (Mercosur) en langue espagnole, ou encore Mercato del Sul pour les lusophones. Une sorte de Mundial Amérique Latine contre Europe. Mais peu importe la dénomination, puisque c’est toujours la même histoire d’accords bilatéraux catastrophiques pour la démocratie, le social et l’écologie. Un peu d’histoire.
Les traités bilatéraux ont fait suite aux accords multilatéraux d’investissement tels l’AMI (rejeté en 1998 à l’initiative de la France). Parmi les plus célèbres, on aura eu le Tafta (accord entre les États-Unis et l’Europe rejeté en 1996) et le Ceta (accord Canada – Union Européenne) dont la partie commerciale s’applique depuis 2017 alors que l’accord politique n’est toujours pas ratifié. On aura aussi le fameux AGCS (Accord Général sur le Commerce des Services), intra-européen lui, qui visait pour l’essentiel à imposer la concurrence « libre et non faussée » aux services publics et sociaux.
C’est l’échec du sommet de Doha en 2001 qui a acté la crise d’une OMC (Organisation Mondiale du Commerce) sous le poids des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et République sud-africaine) rétifs à tout accord sur l’agriculture. Les Brics se sont depuis élargis à d’autres pays, cherchant à imposer leur propre monnaie, mais c’est une autre histoire qu’on ne va pas développer ici.
Pour le continent américain, on a eu l’Alena (États-Unis, Canada, Mexique) en 1994 qui a donné lieu à l’insurrection du Chiapas et donc, le Mercosur.
Le Mercosur a été envisagé d’abord comme un projet politique censé unir les pays d’Amérique latine contre la domination états-unienne. C’est l’accord économique qui a prévalu en 1995 avec presque tous les pays du cône sud avant les défections successives de la Colombie, de l’Équateur, du Chili et du Pérou et l’exclusion du Venezuela pour des raisons politiques. Restaient en lice le Brésil, pays moteur, l’Argentine, la Bolivie, l’Uruguay et le Paraguay.
L’Union Européenne a depuis longtemps souhaité ratifier un accord économique avec les pays du Mercosur. Les termes de l’échange sont assez clairs : l’Europe enverrait ses voitures thermiques, son électronique, son agrochimie et sa pharmacie quand les pays sud-américains exporteraient leur viande (bovins et volailles principalement), leur éthanol, leur soja et autres céréales.
Les adversaires du traité insistent sur les dégâts écologiques, sanitaires et sociaux qu’il induirait. Outre le transport transatlantique des marchandises, on aurait une déforestation accrue et des terres agricoles sacrifiées à l’élevage d’un côté et, de l’autre, des produits ne répondant pas aux normes sanitaires admises avec un dumping social risquant de mettre en danger les agriculteurs européens.
En France, les agriculteurs, tous syndicats confondus, sont vent debout contre cet accord. La FNSEA et la Coordination rurale y voient une invasion de produits douteux censés concurrencer leurs propres productions et abaisser leurs revenus ; la Confédération Paysanne et le Modef insistant aussi sur une course folle au productivisme et son corollaire de pesticides et de substances toxiques.
Même si les politiques, là aussi tous partis confondus, disent refuser l’accord, c’est au niveau européen que les choses vont se jouer.
La commission européenne a donné mandat à Ursula von Der Leyen, sa présidente, de négocier l’accord, ce qu’elle a été faire à Rio puis à Montevideo. Les forces en présence sont divisées avec, côté européen, des pays opposés avec la France comme les Pays-Bas, l’Autriche (prête à exercer son droit de veto) , la Belgique ou l’Irlande, sans compter de nombreux pays de l’est. L’Allemagne, le Portugal et l’Espagne comptent parmi les plus chauds partisans de cet accord pour des raisons culturelles et linguistiques pour les deux derniers cités et, pour ce qui est de l’Allemagne, pour des motifs liés à son déclin industriel et l’espoir de faire redémarrer une économie encalminée après le renchérissement des prix de l’énergie liés à la guerre Russie – Ukraine.
Côté américain, l’Argentine de Milei ne serait plus chaude pour mener à bien cet accord et l’Uruguay, doté récemment d’un gouvernement de gauche, y met des conditions. Mais c’est le Brésil de Lula qui est le plus acharné à conclure, en dépit des résistances des mouvements paysans tels le MST (Mouvement des Sans Terre) ou Via Campesina. Un accord final Brésil – Allemagne dont on ne veut pas !
Rappelons que si l’accord politique nécessite l’unanimité au Parlement, l’accord commercial se contenterait de la majorité qualifiée. La différence, ce sont ces fameux ICS (Cours Internationales d’Investissement), ex ORD (Organisme de Règlement Des Différends), soit des tribunaux commerciaux donnant systématiquement raison aux multinationales contre les États. Pour rappel, le Ceta s’applique depuis sept ans dans sa version commerciale!
Outre l’écologie et le social, on insistera sur l’aspect non démocratique de ces négociations où les commissaires, les entreprises et leurs lobbys exercent dans l’opacité la plus totale, à l’abri des regards citoyens. Les associations altermondialistes ne connaissent des dossiers que par les fuites et les lanceurs d’alerte.
Il importe maintenant d’informer sur les dangers de cet accord , pas par protectionnisme, mais pour contenir les effets d’un libre échangisme délétère pour une agriculture raisonnée et citoyenne soucieuse de l’environnement. L’enjeu est à la fois démocratique, social et écologique et il s’agit maintenant de coaliser syndicats, ONG, associations environnementales et citoyennes pour mettre en échec un traité qui, fort de baisser les droits de douane de 95 % sur 15 ans et de concerner 750 millions de personnes, aggrave de fait le réchauffement climatique, affaiblit le monde paysan, abaisse les normes sanitaires, intente aux conditions sociales et nuit aux citoyens comme aux consommateurs.
Manifestations, tracts, débats publics… Il faut maintenant multiplier les événements pour informer sur le Mercosur, le populariser et construire une mobilisation citoyenne dans une alliance la plus large possible. Ce serait déjà une belle victoire citoyenne qui en appellerait d’autres à l’heure où Trump fête bruyamment son investiture.
D.D
20 janvier 2025