Les Beatles ont 60 ans, du moins si l’on s’en tient à leur discographie. Mais la date retenue rejette dans l’ombre leurs vrais débuts. Des Quarrymen de Lennon et Mc Cartney, en passant par la période 1959 – 1962 , 3 ans de débuts peu gratifiants, à la dure, entre leur Liverpool natal et les clubs minables de Hambourg. La préhistoire des Beatles mais l’histoire des différents groupes – Johnny & The Moondogs, Tony Sheridan & The Beat Brothers ou encore The Silver Beatles, autant de prototypes des Fab Four. Les Beatles avant les Beatles, pour simplifier.
D’abord les Quarrymen, un groupe de Skiffle qui réunit quelques adolescents liverpuldiens, dont John Lennon et Paul Mc Cartney plus Pete Shotton, un copain à Lennon. Une formation usant d’instruments les plus rudimentaires (harmonica, guitare sèche, banjo et washboard ou planche à laver sur laquelle on frappe avec des dés aux doigts) ; c’est la recette qui a fait le succès en Angleterre des Lonnie Donnegan et autres Chris Barber.
Il faut dire que le paysage musical britannique est bien pauvre, en ce milieu des années 1950. Des rockers pathétiques (Billy Fury, Tommy Steele, Marty Wilde ou Adam Faith) qui s’essayent à rivaliser avec les pionniers américains, du vieux jazz (Acker Bilk), du Skiffle (les deux sus-nommés) et bientôt les groupes instrumentaux genre Shadows ou Tornados.
Les Quarrymen jouent dans des surprises party, des anniversaires ou des fêtes paroissiales. Mc Cartney a rejoint le groupe en 1956, alors qu’il jouait pour la fête paroissiale de l’église de Woolton. Le groupe quitte les horizons bouchés du Skiffle pour s’aventurer vers les sentiers glorieux du rock’n’roll, aidés par l’arrivée de Stuart « Stu » Sutcliffe à la basse, un jeune peintre et dessinateur ami de Lennon. Il n’a jamais su en jouer et ne se donnait même pas la peine de brancher son ampli, le dos tourné au public, mais son physique à la James Dean attirait les filles.
À ce stade, le groupe reprend des standards de Eddie Cochran ou de Buddy Holly et Mc Cartney commence à se lancer dans des imitations de Little Richard. Mc Cartney qui invite dans le groupe son copain « Little » George Harrison, un peu plus jeune qu’eux, mais réputé bon guitariste. Le look change aussi, et les blousons de cuir comme les jeans rapés et les santiagues remplacent les petits costumes de lycéens proprets.
On est en 1958 et les Quarrymen sont devenus Johnny & The Moondogs. Ils en sont encore à piquer des accords aux Shadows en les regardant à la télévision, Lennon et Mc Cartney n’en écrivent pas moins leurs premières chansons et les Moondogs sont invités à participer à un radio-crochet à Manchester, en même temps qu’ils donnent quelques concerts à La Casbah, début 1959.
À la Casbah, un club tenu par une dame, Madame Best, où c’est justement jour d’audition. On en est aux débuts du Merseybeat et les groupes de Liverpool se bousculent au portillon de la gloire. Ils ont passé l’audition sous le nom des Silver Beatles (jeu de mot sur Beat et sur Beetle, scarabée), en hommage à Buddy Holly et ses Crickets. L’audition ne les autorise pas à enregistrer, mais à faire une tournée en Écosse, sans batteur, Lennon n’ayant toujours pas trouvé l’oiseau rare.
Retour d’Écosse, ils ont acquis une petite notoriété et jouent à la Jazz Cavern pour 15 shillings chacun la soirée. En août 1960, deux associés – Alan Williams et Larry Parnes – mettent le groupe en relation avec des promoteurs allemands qui font tourner des groupes à Hambourg. Pour l’occasion, le groupe recrute un batteur, Pete Best, le fils de Mme Best.
Hambourg ressemble à Liverpool, mais avec une faune inquiétante de marins saouls, de prostituées, de jeunes délinquants (« half starken » comme demi-durs ou demi-sels) et de petits trafiquants en tous genres. Bruno Koschmeider est leur chaperon et ils jouent à l’Indra ou à la Kaiserkeller dans la fumée des cigarettes et les vapeurs d’alcool, ayant tout loisir de regarder depuis la scène les bagarres au couteau ou les jets de projectiles. Pourtant, ils évitent encore Sankt Pauli, le quartier chaud, et sont amenés à jouer dans un petit cinéma accueillant à l’occasion des spectacles de strip-tease, le Bambi. C’est là qu’ils font la connaissance de Klaus Voorman, un dessinateur publicitaire, et de sa petite amie Astrid Kichener, qui deviendra vite celle de Stutcliffe. Voorman sera plus tard le bassiste du Plastic Ono Band après un petit tour par Manfred Mann et on lui doit la pochette de Revolver.
Les Silver Beatles sont à la même affiche que Rory And The Hurricanes, autre groupe du Merseybeat dont le batteur a pour nom Richard Starkey – déjà Ringo Starr – et Pete Best, caractériel notoire, commence à avoir une réputation détestable dans un groupe qui joue toutes les nuits, payé au lance-pierre en ingurgitant les amphétamines comme des bonbons. Mais le couple Voorman – Kichener amène des étudiants dans les clubs où ils jouent, un public plus attentif que les marins en bordée et les petits délinquants. Mais ils n’ont pas le temps d’en profiter car Harrison, encore mineur, est expulsé et Best et Mc Cartney sont inculpés de l’incendie involontaire du Bambi alors qu’ils y récupéraient leurs affaires, se sachant engagés au Top Ten. La poisse.
C’est la débandade et le retour est piteux, ce qui ne les empêche pas de remettre le couvert fin 1960. La Jazz Cavern est devenue La Caverne tout court et a décidé de s’ouvrir au rock. Bob Wooler, le disc-jockey de l’endroit les invite à jouer en résidence, après quelques concerts d’essai concluants au Litherland Town Hall, en décembre.
L’année 1961 se présente plutôt bien et la Caverne se remplit de soir en soir avec, au premier rang, des filles qui hurlent devant un groupe au répertoire résolument rock’n’roll. Les premiers groupes du Merseybeat vont bientôt les concurrencer : Gerry & The Pacemakers, les Searchers, les Swinging Blue Jeans, les Fourmost, Freddy & The Dreamers et tant d’autres. Mais les encore Silver Beatles ont ceci pour eux qu’ils commencent à jouer leurs propres compositions et que leur réputation commence à franchir les frontières du Lancashire.
En avril, c’est le second voyage en Allemagne. Harrison a 18 ans et Sutcliffe épouse Astrid. Il quittera le groupe pour vivre en Allemagne, remplacé à la basse par Mc Cartney qui avait toujours été jaloux de son amitié avec Lennon. Retour au Top Ten. C’est l’époque où la magie opère ; changement de look avec nouvelles coiffures « au bol » avec franges, cuirs, jeans et « beatles » boots. On leur propose d’accompagner le rocker briton Tony Sheridan et ce sera leur premier enregistrement (sorti en 1970 sous le titre The Beatles first). Sheridan rebaptise le groupe pour un temps les Beat Brothers. Un pot-pourri de classiques rock’n’roll et de standards du jazz à leur sauce avec deux compositions plus originales : « Cry For A Shadow », un instrumental signé d’eux influencé par les Shadows du titre, et une version pop du traditionnel « My Bonnie », qui sera en fait leur tout premier single.
Pas encore distribué en Angleterre, et la jeunesse de Liverpool ayant eu vent de leurs succès allemands, Brian Epstein, propriétaire du magasin de disques NEMS (North End Music Stores qui deviendra sa maison d’édition musicale) fut interloqué quand un groupe de jeunes lui demanda le « My Bonnie » des Beatles. En bon professionnel, il se rendit à la Caverne pour s’enquérir du groupe et, conquis, leur proposa d’être leur manager. « My Bonnie » était sorti confidentiellement chez Polydor Allemagne et il en commanda 200 exemplaires, pour les lancer. Le contrat est signé en décembre et Epstein prend 25 % sur tous les gains, prétextant qu’il doit lancer sa propre compagnie, NEMS Enterprises. Un peu gourmand mais bon, on n’a pas le choix.
Devenus trop chers pour le Top Ten, les désormais Beatles tout court accomplissent leur troisième voyage à Hambourg où ils jouent tous les soirs au Star Club, une salle de concert un peu plus huppée que les clubs miteux d’antan. Epstein travaille leur look et impose des blazers sombres à col large et des pantalons allumettes, calqué sur les défroques des premiers mods.
Il s’active et le groupe passe une audition chez Decca, le 1° janvier 1962. Ils jouent une ou deux chansons de Paul Anka sans oser présenter leurs compositions. Decca les jette, et la compagnie pourra s’en mordre les doigts pour les années à venir, signant tout ce qui passe par la suite.
1962 semble s’annoncer comme une mauvaise année. Stu Sutcliffe, resté à Hambourg, meurt des suites d’une pneumonie en avril, au moment où le groupe reprend ses concerts au Star Club. On peut avoir un aperçu de leur fougue et de leur classe d’alors grâce à un double album sorti en 1977 sous plusieurs versions différentes (1). Après les Hurricanes, Richard Starkey, ou Ringo Starr pour les intimes, accompagne Sheridan dans un groupe allemand et Lennon et Mc Cartney décident de l’engager et de virer Pete Best qu’ils jugent pas suffisamment en phase avec l’image qu’ils entendent donner. Mais l’affaire attendra.
Après plusieurs refus de compagnies discographiques anglaises, Epstein présente le groupe au producteur George Martin qui s’intéresse à eux et leur organise une audition chez EMI, le 6 juin 1962. Ce jour-là, les Beatles osent jouer leurs premières chansons dont « Love Me Do ». Ils sont devenus célèbres à Liverpool grâce aux articles élogieux du magazine Merseybeat (souvent rédigés par Bob Wooler) et refont la tournée des clubs : la Casbah et la Caverne. Lennon et Epstein sont persuadés qu’il faut d’abord maintenir une base de fans à Liverpool.
Merseybeat les classe en tête de leur référendum annuel (la légende dit que les Beatles eux-mêmes avaient inondé le journal de leurs suffrages, signés de faux noms). En juillet, Epstein envoie une lettre de licenciement à Pete Best en même temps qu’il annonce à sons de trompe la signature de ses poulains pour la marque Parlophone (Odéon en France).
Pour l’anecdote, des fans de Pete Best vont faire le coup de poing avec les partisans de Ringo Starr – une bataille d’Hernani moderne – et la Casbah leur sera interdite. Nonobstant, ils prennent le train pour Londres le 11 septembre où il est question d’enregistrer deux titres aux studios EMI, avec George Martin aux consoles. « Love Me Do » (avec « P.S I Love You » en face B), sort le 5 octobre 1962 et obtient une honorable 17° place dans les charts. « Please, Please Me » (« Ask Me Why » en face B) sorti lui le 11 janvier 1963, atteindra la première place comme d’ailleurs leur premier album éponyme, sorti le 22 mars.
La suite est suffisamment connue pour qu’on s’arrête là et sinon, les biographies des Beatles abondent et on se contentera de citer celle du journaliste historique de Rock & Folk Alain Dister (2).
Les Beach Boys la fois prochaine, dont les débuts datent aussi de 60 ans.
What a drag it is to get old (3).
(1) Live ! At the Star Club Hamburg Germany (enregistrements de 1962 sortis en 1977) – Bellaphon.
(2) Les Beatles – Alain Dister – Albin Michel Rock & Folk – 1972.
(3) Quelle barbe de vieillir. « Mother’s Little Helper » – The Rolling Stones – 1966.
Excellent rappel nostalgique, merci Didier.
J’attends celui des Beach Boys.
« What a drag it is getting old » ….