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PRIMAIRES POPULAIRES: RAS-LE-BOL!

Avec l’aimable autorisation du Canard Enchaîné.

Elles étaient utiles et bienvenues au début, essai méritoire pour raccommoder une gauche morcelée en îlots avec la certitude de perdre. Mais il fallait s’arrêter au constat amer mais lucide que l’unité n’était plus possible, à partir du moment où chaque écurie lançait son propre cheval (eh oui, la fameuse course de chevaux). Au lieu de ça, les artisans de la primaire ont tenu à continuer jusqu’à l’absurde : des candidats qui ne se reconnaissent pas dans ce vote, certains qui en sont écartés (Roussel), des engagements programmatiques qui n’engagent plus personne pas plus qu’un résultat qui met Taubira sur orbite. Tout ça pour ça. Bravo les primaires, qui ajoutent à la confusion et en disent long sur l’ego de ses promoteurs, eux qui résument la lutte politique à une querelle d’ego. État des lieux d’un naufrage.

On se souvient du cri du cœur de Martine Aubry quand on lui demandait de donner son avis sur un Emmanuel Macron dont les ambitions présidentielles avaient percé : « euh, Macron… Comment dire ? Ras-le-bol ! ». L’amère de Lille avait renoué avec un franc-parler qui correspondait à son côté brut de décoffrage et diplomatie soviétique.

Comment parler de cette primaire qu’on a voulu mener à son terme et qui aboutit à l’adoubement populaire de Christiane Taubira et, accessoirement, à un éventuel retrait de Anne Hidalgo dont on voit mal, dans un même espace politique, qu’elle pourrait se maintenir avec des sondages aussi bas et sans l’onction « populaire ».

Mais parlons-en de cette onction. Certes, on ne peut traiter par le mépris près de 500000 inscrits pour 400000 votants, mais on peut s’interroger, pour le moins, sur cette démocratie électronique qui fait fi des partis politiques, des programmes (réduits à une dizaine de propositions consensuelles), du militantisme de terrain et du débat. C’est la quintessence de la fameuse course de chevaux, avec un combat des chefs soumis au jugement des clics et des like. D’autant qu’on prétend faire dans la nuance, avec une série de graduations qui complexifient encore l’analyse des résultats. C’est du consumérisme politique, ni plus ni moins.

Outre les candidats et candidates « commis d’office », on avait des vieux routiers de la politique comme Pierre Larrouturou, une éternelle candidate citoyenne, la mal nommée Charlotte Marchandise et Anna Agueb-Porterie, une jeune femme militante des banlieues qui se dit proche des Gilets jaunes. Elle a d’ailleurs posté un tweet appelant à voter Mélenchon.

Si j’ai pu soutenir au début l’initiative de 2022 en commun ou d’autres plate-formes unitaires (celle de la GDS de Gérard Filoche par exemple), je ne l’ai fait que devant la rage que m’inspirait cette dispersion des candidatures annonciatrice de défaite assurée. Mais attention, l’unité ne pouvait concerner toutes les gauches, tant les différences programmatiques étaient fortes entre l’axe social- démocrate, pour aller vite (Jadot, Hidalgo, Taubira) et celui plus radical des Mélenchon et Roussel. Au minimum, on aurait peut-être pu avoir l’unité de ces deux types de candidatures, à condition de trouver des compromis dont personne ne veut.

Car c’est aussi là que la Primaire populaire pêche, dans des éléments d’un programme minimum de gauche qui ne dit rien des oppositions nettes rendant d’emblée illusoire toute idée d’unité. Sur la croissance et le productivisme, sur le revenu universel, sur le nucléaire, sur la question de la démocratie et du populisme, sur les dossiers diplomatiques et on en passe. Quoi de commun entre Jadot et Mélenchon quant à leurs positions respectives sur la Russie, sur le Venezuela ou encore sur la Syrie ? Le jour et la nuit. La naïveté en politique devrait avoir des limites, sauf à crier Unité ! Unité ! Unité !, sur l’air des lampions et au mépris des réalités les plus incontournables.

« Ensemble, nous pouvons faire gagner l’écologie, la justice sociale et la démocratie », est-il dit sur leur site. Qui, à gauche, pourrait être contre ça, mais le diable est dans les détails. On peut aussi questionner les promoteurs du projet, Mathilde Imer et Samuel Grzybowski. Leur obstination à continuer malgré l’échec assuré de leur démarche citoyenne (candidats déclarés qui en refusent le principe mais sont maintenus quand même en lice) en dit tout aussi long sur leur ego à eux. Leur sacerdoce, leur apostolat, mais aussi l’occasion de se faire un nom. Qui sont-ils exactement ?

Mathilde Imer est une universitaire, militante écologiste qui a rejoint l’équipe de Laurence Tubiana pour travailler sur les accords de Paris, avant de fonder les Gilets citoyens et de contribuer à la mise en place de la Convention citoyenne pour le climat, dont on a vite vu les limites bornées par Macron. Un profil écolo-citoyen qui pourrait aussi bien pencher pour Hulot que pour Rousseau, si on veut passer d’un extrême à l’autre. Grzybowski, lui, est un entrepreneur social (oxymore?) qui a lancé Coexister, « mouvement de jeunesse interconvictionnel » (sic) avant Mouvement Impact France, une officine censée représenter les acteurs de l’économie sociale et solidaire. Pourquoi pas, sauf qu’on est quand même un peu gêné, à lire sa biographie, par le parcours exemplaire d’un rejeton de la bourgeoisie catholique, des scouts aux Journées mondiales de la jeunesse en passant par l’Église de France. Le robinet d’eau tiède. Pas des profils à renverser la table. Populaires, mais pas trop. Si ces deux individus incarnent la gauche, ce n’est pas vraiment celle de l’écologie radicale, du socialisme auto-gestionnaire, du trotskisme ou de l’anarchie.

Mais, puisque le nom de Taubira est sorti du chapeau citoyen, de quoi est-elle le nom ? La dame crie bien du cœur, sous l’égide des Césaire, Confiant et autres Glissant (pas trop Fanon quand même). Miss Sociétale défend de nobles causes avec une certaine boursouflure verbale qu’on peut prendre pour de l’éloquence ou du lyrisme. On doit d’ailleurs lui reconnaître de belles victoires qui vont des journées de commémoration de l’abolition de l’esclavage au mariage pour tous. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la droite en a toujours fait un épouvantail et c’est un bon point pour elle. Elle est femme, noire, féministe, anticolonialiste, racisée et de gauche. De gauche, vraiment?

On ne va pas lui faire grief, à l’instar de beaucoup, d’avoir fait perdre Jospin en 2002, mais on peut en revanche lui reprocher d’avoir voté la confiance à Balladur en temps que députée de Guyane en 1993 et, surtout, d’avoir été aux premières loges de la candidature Tapie aux Européennes de 1994 sous la bannière de Énergie radicale. Une candidature qui aura surtout pour effet de tuer politiquement Rocard, à jamais. C’était un peu le but. Elle n’a d’ailleurs jamais remis en question son appartenance à la famille radicale-socialiste, MRG puis PRG, disons le centre-gauche, pour aller vite, plus volontaire sur le sociétal que sur l’économie et le social.

Son programme, puisqu’il faut bien en venir là. Encore un peu flou, mais les grandes lignes sont connues. Et ça reste assez timide justement sur le plan social qui n’a jamais été le point fort de la reine Christiane. Qu’on en juge.

Avec elle (son mouvement a pour nom « Avec Taubira »), pas de réduction du temps de travail et la moins forte des augmentations du SMIC (à 1400 € quand même). On ne touche pas aux droits de succession. On l’attend sur les retraites, mais elle n’a pas l’intention de renverser la table. Elle est très attendue sur les quartiers, l’immigration, toutes les questions de société et surtout la culture. À noter qu’elle a quitté le gouvernement Hollande sur la déchéance de nationalité. Un bon point. On ne va pas lui faire de procès d’intention d’autant qu’elle ne s’est pas encore prononcée dans beaucoup de domaines. Disons simplement qu’à première vue, elle ne va pas rompre avec le capitalisme ni avec le productivisme et que les classes populaires ne sont pas son souci principal. Mais on souhaite se tromper, même si elle a peu de chances d’accéder au second tour. Mais, derrière Macron, ça risque de se jouer dans un mouchoir.

On aura fait au final qu’ajouter encore une candidature à cinq autres, sans compter l’éventuel candidat du NPA – Poutou ? – et le dissident Anasse Kazib, surtout connu pour sa participation à des émissions genre Grandes gueules de RMC. La nouvelle gauche ? Sans compter que cette primaire va accentuer les divisions à gauche, ne serait-ce qu’entre ses partisans et ses détracteurs qui vont se renvoyer la responsabilité d’une défaite annoncée. Une défaite idéologique, civilisationnelle et politique à laquelle le calamiteux quinquennat Hollande n’est pas étranger, avec un Valls fossoyeur de l’espoir.

On a bien conscience que ce genre d’article peut nous fâcher avec moult destinataires de ce blog, même si moi aussi j’ai toujours milité pour l’unité à gauche, nécessaire mais pas suffisante quand on a un total gauche (au sens large) qui atteint à peine 25 %, mais à ce stade, je préfère laisser la parole à Denis Sieffert : « Le paradoxe, c’est que la logique et la cohérence semblent désormais du côté de ceux qui refusent l’unité. Que cette réalité plaise ou non ». (éditorial Politis 1681 fort justement intitulé « ne pas ajouter la division à la division »). Pas mieux.

31 janvier 2022

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