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PRÉSIDENTIELLES 2 : LES SURPRISES DU CHEF (D’ÉTAT) part. 1

1981 : le peuple de gauche exulte (photo Sud-Ouest, avec leur aimable…).

On connaît l’antienne, répétée à satiété par les sondeurs et les journalistes : « rien ne se passe jamais comme prévu ». Mais encore ? Si on allait y voir de plus près ? Depuis les élections présidentielles façon V° République, soit depuis les premières sous cette forme, celles de décembre 1965 où De Gaulle était censé passer au premier tour. À de rares exceptions près, les élections qui ont suivi ont déjoué les pronostics. Celle qui vient va-t-elle confirmer la tendance ? On nous annonce Macron dans un fauteuil (comme De Gaulle en 1965). Pourquoi pas au premier tour, tant qu’on y est. Et si on se trompait une nouvelle fois ?

Première partie 1965 – 1988

Après son coup d’État de mai 1958, sa constitution (rédigée pour l’essentiel par Michel Debré) et ses palinodies sur l’Algérie, on attendait donc De Gaulle, sept ans après son coupe de force.

Big Charles allait survoler l’élection, enfoncer la concurrence et même passer au premier tour. C’était le rêve de tous les godillots – vieux gaullistes ou nouveaux convertis – d’une ORTF à ses ordres et de la presse de droite ; La Nation (quotidien gaulliste dirigé par Pierre Charpy) en tête.

Patatras, De Gaulle ne réunit que 44,50 % au premier tour quand son rival Mitterrand recueille près de 32 %. Mitterrand est le candidat des gauches réunies à la tête d’un vieux parti de la IV° République, la FDGS. Il a écrit un pamphlet anti-gaulliste, Le coup d’État permanent et le PCF a boycotté l’élection par rejet du présidentialisme et des institutions de la cinquième.

Jean Lecanuet, le « Kennedy français », fait 15 % et le vieux fasciste Tixier-Vignancour, avocat de Céline et de Raoul Salan, ex PPF et Croix de feu, atteint la barre des 5 %. Inquiétant.

Au second tour, De Gaulle l’emporte, mais pas si facilement, avec 55 %, laissant Mitterrand à 45 %, lequel se réjouit de l’avoir mis en ballottage et prend date pour la prochaine.

La prochaine dont il ne sera pas. La gauche part divisée, la gauche socialiste (SFIO) s’est entendue autour d’un ticket Gaston Deferre (le Monsieur X de l’Express) et Pierre Mendès-France ; les communistes ont leur candidat, Jacques Duclos, un vieux stalinien, et le PSU présente Michel Rocard. Krivine concourt pour l’extrême-gauche (après mai 68) et on a pour le centre démocrate-chrétien un vieux sénateur du nom d’Alain Poher. Pompidou a les faveurs du pronostic, candidat UDR adoubé par un De Gaulle démissionnaire pour cause de référendum perdu, et qui rassemble toutes les droites sous son nom.

Poher qui va créer la surprise en se qualifiant pour le second tour, alors qu’on voyait Deferre dans la peau du rival. Il fait 23 % quand Deferre dépasse à peine les 5 %. Duclos donne au PCF l’un de ses meilleurs scores (21,5 % ) quand Poher est à 23. Pompidou rêvait d’une victoire au premier tour mais est mis en ballottage avec 44,50 %, soit le même score que De Gaulle. Rocard fait un honorable 3,60 % et le conscrit Krivine 1 %.

On aura un second tour prévisible avec une large victoire de Pompidou à 58 % quand le président du Sénat – devenu président tout court par intérim après la défection de De Gaulle, est à 42 %. Blanc bonnet bat largement bonnet blanc, comme aurait dit le vieux Duclos.

On est en 1974 et 12 candidats sont en lice, dont René Dumont, le premier candidat écologiste. L’homme au pull-over rouge qui annonce la fin du monde fera à peine plus de 1 %. Pour les pronostics et les sondages, un Gaulliste doit succéder au défunt Pompidou et qui de mieux que Chaban-Delmas, auréolé d’un passé de résistant et promoteur de la nouvelle société qui faisait tousser Pompidou lui-même. Pour la droite libérale (comprenant aussi les indépendants, les sionistes et les nostalgiques de l’Algérie française), on a Giscard d’Estaing, énarque crâne d’œuf et technocrate émérite.

La gauche présente Mitterrand après la publication du Programme commun de gouvernement, en 1972. Communistes, socialistes et radicaux de gauche main dans la main derrière Mitterrand à nouveau, secrétaire national du P.S dont il a pris la tête au congrès d’Épinay aux détriments de Alain Savary. Unie, la gauche est censée gagner dans un climat post-soixante-huitard qui lui est plutôt favorable. On commence à en avoir marre des badernes gaullistes et des centristes ultra-brite.

L’extrême-droite est représentée par le pitoyable Jean Royer, le borgne Jean-Marie Le Pen et le jeune Bertrand Renouvin (pour la  Nouvelle action française), quand l’extrême-gauche voit s’aligner Krivine et Laguiller, les frères et sœurs ennemies du trotskisme à la française.

Avant le premier tour, Le Canard enchaîné sort la feuille d’impôt de Chaban-Delmas qui dégringole dans les sondages et termine à 15 % quand Giscard, son rival, est à 32 et Mitterrand à 43.

On connaît la suite : sans réserve de voix pour Mitterrand, Giscard l’emportera d’un cheveu (le sien) au second tour et Chaban se consolera en héritant du perchoir.

En 1981, Giscard est confiant et la plupart des sondages le donnent en tête. Il a modernisé la France (à sa façon), a résisté à deux chocs pétroliers et a remplacé un Chirac trop ambitieux par le « meilleur économiste de France », un certain Raymond Barre qui applique avec zèle la doxa libérale venue d’outre-Manche et d’outre-Atlantique. Les législatives de 1978 leur ont donné la victoire, alors qu’on annonçait la gauche dans un fauteuil, tous les espoirs sont permis.

D’autant que la gauche est divisée après la demande de réactualisation du programme commun et la surenchère communiste. Les radicaux de gauche présenteront le maire de La Rochelle et les communistes Georges Marchais, comique troupier à la télévision. On donne peu cher des chances de la gauche.

Concurrençant le candidat de droite, Chirac pour le RPR, Marie-France Garaud et Michel Debré pour deux candidatures dissidentes. Lalonde, ex président des Amis de la terre, défend les couleurs de l’écologie quand Huguette Bouchardeau représente le PSU et Laguiller L.O. Elle va devenir une habituée de l’épreuve, avec des scores pas toujours négligeables.

Demi-surprise au premier tour, Giscard ne devance Mitterrand que de 2 points et demi, Chirac est en troisième position avec 18 et Marchais pointe à 15. Les autres candidats sont entre 1 et 4 %.

Mais il faut tenir compte du contexte, d’une UDF et d’un RPR qui se tirent la bourre (avec des gros bras et des tueurs – pas toujours symboliques – dans chaque camp) et d’électeurs de gauche qui aspirent à l’union, même si elle n’a pu se réaliser au sommet.

On parle de vote révolutionnaire dans les deux camps. Certains communistes voteraient Giscard quand des Chiraquiens se prononceraient pour Mitterrand. Des stratégies tordues dont on ne sait trop si elles ont pu influencer le résultat ultime, qui voit Mitterrand et la gauche (on est en droit de le penser à ce moment-là) emporter le morceau avec près de 52 %.

Le peuple de gauche exulte et, avant le tournant de la rigueur de l’été 1983, on pourra apprécier quelques conquêtes sociales et quelques victoires sociétales. Le 10 mai au soir, il pleut des hallebardes et Claude Villers anime la soirée de la Bastille. « Changer la vie », qu’ils disaient.

En 1988, Mitterrand se représente en père tranquille après une cohabitation houleuse avec Chirac qui croit pouvoir enfoncer des socialistes largement discrédités dans l’opinion. Chirac croit son heure arrivée, et il a transformé son RPR plutôt nationaliste et populiste en une officine ultra-libérale. La fidélité aux idées et aux convictions n’a jamais été son fait.

Un bel optimisme qui peut aussi se voir mis à mal par Raymond Barre, qui a le soutien, en économiste sérieux et garant de la rente, des grands médias, à commencer par un TF1 récemment privatisé. Giscard, lui, a été éliminé de cette course des droites préliminaire, avec quelques jeunes loups et louves du RPR à qui Chirac a fait comprendre qu’il était toujours le chef de meute.

Autrement, le triste Waechter est là pour les écologistes, Le Pen revient pour un F.N qui commence à avoir le vent en poupe (il avait fait l’impasse sur 1981) et Lajoinie succède à Marchais pour un PCF plumé par les socialistes. Un espoir à gauche, Pierre Juquin, l’intellectuel du PCF qui a quitté un parti dont il dénonce le sacro-saint « centralisme démocratique » et veut promouvoir les valeurs de l’écologie et de l’autogestion. Il fera 2 %, à peine plus que Laguiller quand Pierre Boussel, alias Lambert, sera crédité d’un piteux 0,38 %.

Pour le reste, Lajoinie fera 6 % et le PCF commencera son inexorable déclin. Le Pen pointera à 14 %, record à battre pour une extrême-droite à qui profite l’effondrement du PCF et les trahisons socialistes. Barre est éliminé à 16,50, au grand dam de la bourgeoisie française, et Chirac tutoie la barre des 20 %. Il en avait peut-être fait un peu trop après les exploits des Pasqua-Pandraud (Dupon T – Dupon D) et la tuerie de la grotte d’Ouvéa (Nouvelle-Calédonie).

On connaît la suite, la « force tranquille » (Séguala dixit) va gagner avec une large avance (54%), laissant à 46 Chirac devenu l’éternel perdant, une sorte de Richard Nixon français. Mais Nixon a fini par gagner, et Chirac le fera aussi, deux fois.

La suite au prochain numéro, comme on dit.

21 mars 2022

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