JOHN KING – FOOTBALL FACTORY – J’ai lu / Alpha bleue
On a souvent parlé ici de John King, le romancier de la classe ouvrière anglaise, une sorte de George Orwell du 21° siècle, toutes proportions gardées.
King avait déjà écrit des romans autour du mouvement punk (Human punk), du phénomène skinhead (Skinheads), plus des romans sociaux (comme il y a un cinéma social anglais avec des gens comme Ken Loach ou Terence Davies) du genre White trash.
C’est ici des Hooligans et du football qu’il est question, idéal pour ce blog qui devait à l’origine s’appeler Rock’n’foot (ce devrait être le titre d’un livre à paraître). Soit une bande de supporters des Blues de Chelsea au début des années 1990, alors que le phénomène hooligan est en déclin pour cause de gentrification des stades (les prix des billets flambent et la vidéo-surveillance est omniprésente avec de fortes peines de prison régulièrement prononcées). King décrit les luttes homériques de ces supporters (même hooligans, ils sont avant tout des passionnés de football), à domicile ou à l’extérieur.
On les suit à Liverpool, à Tottenham, à Millwall, à Newcastle, à Aston Villa et eux accueillent tour à tour Derby County, Wimbledon, Coventry, Norwich et Manchester City.
C’est toujours un peu le même scénario, ce qui rend les récits passablement répétitifs. La constitution de la bande du jour, la traque des supporters adverses dès la gare, dans les pubs et aux alentours du stade et enfin la baston, véritable match dans le match. Ce qui se passe sur le terrain n’a plus guère d’importance, on préfère cette décharge d’adrénaline du déchaînement de la violence.
Le triptyque « baise, baston et bière » est toujours respecté par ces jeunes prolos anglais ouvertement sexistes, racistes et nationalistes. On parle des supporters des « Juifs « de Tottenham ou des « Nègres » d’Arsenal. On en a la nausée à la fin et on ne sait plus trop qui parle de l’auteur ou du personnage principal, Tom Johnson, le chef de la bande.
Pour justement lever toute ambiguïté et rompre avec ce côté répétitif, King intercale entre chaque rencontre des nouvelles d’une tendresse et d’une sensibilité rares. Cela peut aussi bien être un souvenir d’enfance qu’une partie d’échec dans un restaurant pakistanais ou le récit d’un petit vieux qui fait comme si sa femme, ancienne déportée aujourd’hui décédée, était toujours vivante. Ça parle de l’Angleterre d’aujourd’hui et on est souvent émus aux larmes. En tout cas, ça nous change des brutes emplies de bibine qui ne vivent que pour en découdre sur le pré, chaque samedi soir.
Mais ce sont les deux faces d’une même médaille, la brutalité et la tendresse, le corps et le cœur, et King fait souvent penser à ce grand romancier de la classe ouvrière qu’est Alan Sillitoe dont les livres ont inspiré les cinéastes du Free cinema comme Karel Reisz ou Tony Richardson.
On les appelait les Angry young men, exactement ce que sont les personnages de King, et lui avec.
MICHEL DÉON – LES TROMPEUSES ESPÉRANCES – Folio / Gallimard
Troisième bouquin de Michel Déon trouvé par hasard dans une boîte à livres. Doit y avoir un fan dans mon quartier.
On a déjà dit toute l’aversion que le personnage nous inspirait, ex-secrétaire de Maurras, grand ami de Brasillach, hussard à droite toute (pléonasme), exilé fiscal ayant passé sa vieillesse entre la Grèce et l’Irlande. Pas vraiment un type qu’on a envie d’admirer, mais derrière ce bonhomme en tous points détestable, il y a l’homme, il y a l’écrivain.
On nous dit d’emblée que le roman est dédié à une certaine Françoise S. (devinez qui?) et qu’il a été écrit à Posilano (Italie), un village de la côte amalfitaine où Marianne Faithfull avait ses habitudes.
L’histoire nous transporte d’ailleurs de Posilano à Québec en passant par Paris. L’histoire d’un terne professeur de français qui tombe par hasard sur une femme qui va bouleverser sa vie. Air connu.
Elle se prénomme Inès et apprend le dessin dans un cour parisien – bien décrit – et le prof va s’y mettre aussi, par amour pour elle. Toute la classe va passer l’été à Posilano pour s’exercer à peindre sur le vif et sous des lumières éclatantes.
Là, un meurtre a lieu, le cadavre d’un cousin et ex-amant d’Inès, Michel, est retrouvé. Un domestique est accusé pour un vol de gourmette (une mise en scène), mais l’assassin est en fait un boxeur amateur également épris d’Inès que Michel invitait à participer à leurs ébats érotiques.
Le prof – Olivier Garancière – va partager le secret avec sa maîtresse et s’exiler au Canada pour essayer de l’oublier, mais, sans dévoiler la fin, on se doute qu’il n’y parviendra pas.
On se doute aussi que l’intrigue et le crime n’ont guère d’importance. Juste un prétexte pour Déon d’évoquer avec talent les langueurs amoureuses, les élans charnels et les peines de cœur. C’est très réussi de ce point de vue, en spéléologue de l’âme humaine.
Déon semble dire que seul l’amour peut nous sauver de la médiocrité, mais que la force de ce sentiment est insupportable à beaucoup d’entre nous et, qu’à tout prendre, il vaut mieux se consacrer à des petits bonheurs à hauteur d’homme, ou de femme. C’est implacable de lucidité, mais tellement vrai aussi.
Il y a aussi ce portrait touchant d’une jeune sœur handicapée mentale dont le héros a la charge après le décès de leur mère. C’est particulièrement réussi, sans pathos, mais avec une rare sensibilité.
Finalement, Michel Déon ne devait pas être si détestable que cela.
SIMENON – LE PENDU DE SAINT-PHOLIEN – Le livre de poche / Fayard
Autre personnage pas trop recommandable, Georges Simenon, mais lui aussi un sacré écrivain. Et puis, Maigret (Magret pour Groland qui se fout gentiment de la gueule de Gérard Gropardieu) revient avec le film de Patrice Leconte.
Le pendu de Saint-Pholien est l’un des premiers Maigret, paru en 1931. J’ai bien dû lire une bonne centaine de Maigret, avec toujours autant de plaisir, mais celui-ci est l’un des meilleurs.
Un jeu de piste dans la vieille Europe, entre Brême, Liège, Reims et Paris. Maigret suit un jeune homme qu’il soupçonne de trafic de fausse monnaie jusqu’à la gare de Brême. Par ruse, il substitue une valise à la sienne et l’individu suivi, découvrant la méprise, se suicide d’une balle dans la bouche dans une chambre d’hôtel. Maigret culpabilise, mais à tort, puisque la valise ne contenait pas de faux billets mais un vieux costume tâché. Celui d’un mort, il y a longtemps.
L’inexorable enquête peut commencer et Maigret veut savoir pourquoi cet homme a mis fin à ses jours, pour se soulager d’un scrupule de conscience. Un entrepreneur belge qui a réussi à Brême est toujours à ses basques et il sent qu’il a à faire en fait à une bande de notables que lie un lourd secret, comme on dit.
Des notables qui essaient de le liquider après avoir tenté de sympathiser avec lui, de l’apprivoiser. C’est du Chabrol. Maigret renifle la grosse affaire, comme un vieux chien de chasse, et il tombe sur le meurtre d’un homme – l’homme au costume – dont le cadavre avait été jeté dans la Meuse en même temps que sur l’histoire d’un artiste peintre qui s’est pendu au portail de l’église de Saint-Pholien, à Liège.
À Liège où les notables se réunissaient dans leur jeunesse avec deux peintres maudits (le pendu et le suicidé) et quelques filles de joie. Une société secrète Nietzschéenne, bohème et plutôt anarchiste qui lorgne vers Dada ou les Surréalistes. Mais les révoltés, en vieillissant, veulent effacer toutes traces de leurs frasques de jeunesse.
Le roman est tiré d’un fait divers réel, le suicide d’un peintre Joseph-Jean Kleine, pendu le 2 mars 1922 à la clenche d’une église dans des circonstances mystérieuses. Simenon en profite pour construire un récit passionnant, une enquête policière qui, comme d’habitude chez lui, vaut surtout pour ses climats, son atmosphère, ses intuitions et ses silences. Plus une description des grandes villes d’Europe du Nord dont il a le secret et de personnages dont il sonde le tréfonds des âmes.
Le roman se conclut ainsi, et Maigret s’adresse à son adjoint Lucas : « Vois-tu, vieux, dix affaires comme celle-ci et je donne ma démission… Parce que ce serait la preuve qu’il y a là-haut un grand bonhomme de Bon Dieu qui se charge de faire la police… ».
Il est vrai qu’il ajouta en appelant le garçon : « Mais ne t’en fais pas, il n’y en aura pas dix ».
Simenon nous a conduit aux frontières du mystique, aux sources du mystère, et le gros commissaire bougon et pataud, au bord de la neurasthénie, réussit encore à nous captiver avec ses deux ou trois choses qu’il sait de l’homme. Chapeau l’artiste !
21 mars 2022
Merci Didier. J’aime beaucoup.