RICHARD STARK – LA CLIQUE – Série noire NRF Gallimard.
Richard Stark, c’est Donald Westlake quand celui-ci fait dans le polar hard boiled (dur à cuire) dont les maîtres restent Dashiell Hammett ou James M. Cain.
Sinon, Westlake est plutôt un polareux plein d’humour et de verve et plusieurs adaptations cinématographiques ont été tirées de ces œuvres, la plus célèbre étant Le jumeau. Mais il y a Doctor Westlake et Mister Stark, ou plus exactement Mister Parker, le héros des romans signés Stark.
La clique, c’est une sorte de mafia criminelle, une pieuvre qui étend ses tentacules sur toutes les activités prohibées : drogue, prostitution, loteries, alcool, jeux… Parker a juré de se venger de la clique – on pourrait aussi bien dire la firme – depuis qu’elle l’a arnaqué avec une dette impayée.
Il va fédérer tous ses amis truands pour la faire payer cher ses mauvaises manières.
Dans Peau neuve, le roman qui précède, Parker avait dû recourir à la chirurgie (qu’on n’ose dire esthétique) pour échapper à ses tourmenteurs. Il revient en scène avec une nouvelle gueule et un appétit de vengeance intact.
Les uns après les autres, les hommes de la clique sont défaits, à commencer par les sous-fifres et les sans grades jusqu’aux lieutenants puis aux cadres et, pour finir, au big boss. Cela tient de l’acharnement et on voit au fil des pages un Parker infatigable renouer avec ses contacts dans toutes les grandes villes des États-Unis pour partir à l’assaut de la forteresse.
C’est une histoire américaine qui dit qu’à cœur vaillant rien d’impossible ou, variante, si tous les truands du monde voulaient bien se donner la main. Une sorte de révolte de la petite pègre nationale contre une organisation bureaucratisée et endormie sur ses milliards de dollars.
On apprend aussi toutes les combines sur les paris clandestins, les loteries de quartier, les courses de chevaux… Tout un éventail d’astuces et de combines auxquelles se livrent ces truands qu’on arrive presque à trouver sympathiques.
Bon, on ne va pas se mentir (comme disent les animateurs de jeux télévisés), ça reste du polar honnête sans plus. Ça se lit bien et on suit une intrigue serrée qui fait tourner les pages avec jubilation. Pour le reste, c’est pas du Chandler et il faudrait chercher loin un quelconque arrière plan politique ou social. Ça ne dit pas grand-chose de la société américaine de ces temps, si ce n’est qu’un individu déterminé peut faire dérailler une machinerie complexe et broyeuse de vies.
Bref, la version noire du rêve américain.
CARTER BROWN – UNE BLONDE À L’EAU – Série noire NRF Gallimard.
C’est la quinzaine du polar décidément. Avec cette fois Carter Brown, l’un des pionniers américains du genre avec James Hadley Chase et William Riley Burnett.
On a ici un privé, Rick Holman, qui reçoit comme cliente Della August, une actrice américaine boycottée par les studios depuis la mort de son petit ami dans un accident de voiture, un dénommé Rod Blane, la superstar de demain. On peut penser à une sorte de James Dean pour ce dernier personnage, l’actrice pouvant être visualisée sous les traits d’une Kim Novak ou d’un Angie Dickinson. Hollywood…
S’ensuit l’inexorable enquête où Holman frappe à toutes les portes des agents, des cinéastes et des producteurs de Hollywood, se prenant souvent les pieds dans le tapis et essuyant des échecs et des désillusions, notamment avec sa cliente qui s’avère être une mangeuse d’hommes ne pensant qu’à sa carrière.
Brown doit bien connaître le milieu, car les portraits qu’il tire sont saisissants de vérité. Tout un monde de pygmalions et de starlettes narcissiques ne vivant que pour le sexe, l’argent et la gloire. Holman le détective s’avance dans les coulisses de l’usine à rêves comme le Dante explorait les cercles des enfers. C’est Hollywood – Babylone avec sa faune de mégalomanes et de demi-mondaines prêtes à tout pour décrocher un petit rôle.
Évidemment, la disgrâce de l’actrice ne tient pas uniquement à la mort tragique de son jeune amant et on découvre au fil des pages toutes sortes de ramifications amenant d’autres personnages venant amener un peu plus de complexité afin de corser l’intrigue, comme dans tout bon polar qui se respecte.
Carter Brown, alias Alan Geoffrey Yates, est né en Angleterre, de nationalité australienne. Il a été l’un des auteurs les plus prolifiques de ces « pulps » (magazines de nouvelles policières imprimées sur du papier de mauvaise qualité) avec plus de 200 romans publiés entre 1954 et 1984. Marcel Duhamel l’a tout de suite traduit pour la Série noire dont il restera l’un des piliers.
Son portrait en page 4 de couverture nous montre un binoclard en costume – cravate et aux traits avenants s’acharner sur une vieille Remington cigarette aux lèvres, avec un petit sourire pour le photographe. Une sorte de Buddy Holly ou de Harold Lloyd du polar, si on peut imaginer ça. C’est pas si difficile. Le titre original est Blonde on the rocks, beaucoup plus fidèle au contenu.
JEAN ANOUILH – LA FOIRE D’EMPOIGNE / CÉCILE OU L’ÉCOLE DES PÈRES / La Table Ronde / Folio.
Anouilh est un auteur pas si dramatique que ça. Un peu dans le prolongement des Marcel Aymé et de Jean Giraudoux. Anar de droite, mais un vrai révolté qui sait taper là où ça fait mal avec une belle dose de cynisme, mais aussi beaucoup d’humour.
Comme Giraudoux, son maître, il va adapter à sa sauce des tragédies grecques comme l’Antigone de Sophocle ou la Médée d’Euripide. Son premier succès théâtral sera Le voyageur sans bagages qui lui vaudra de se brouiller avec Louis Jouvet, lequel a tardé à l’adapter. « Tu comprends mon petit gars, tes personnages sont des gens avec qui on ne voudrait pas déjeuner ! », lui aurait dit Jouvet, pour solde de tous comptes. Le genre de saillie dont on n’a du mal à se remettre mais qui ne va pas décourager un auteur de cette trempe.
La foire d’empoigne est le récit des 100 jours vu par Anouilh et ce n’est pas triste. Il passe de Louis XVIII à Fouché et de Fouché à Talleyrand avec un personnage de jeune aristocrate fou de l’empereur qui se ferait tuer pour lui. L’empereur n’en a cure et en est presque à se moquer de lui. Fouché, lui, est ce ministre de l’intérieur ministre de la pègre, vieux cynique qui ne croit même plus à ses intrigues et à ses manipulations. Ne manque guère que Talleyrand, « merde dans un bas de soie » comme aurait dit le Corse suprême.
Les références à la France de la seconde guerre mondiale avec Louis XVIII en Pétain et Napoléon en De Gaulle ne sont pas fortuites, et on sent bien où vont les sympathies de l’auteur qui se méfie des héros de l’histoire comme de la peste et préfère au final une médiocrité tranquille incarnée par le dernier roi, loin de la supposée grandeur monarchique du trône et de l’autel.
Pour la seconde pièce, le titre dit tout avec sa référence à L’école des femmes de Molière. L’histoire d’un père, peut-être l’auteur lui-même, qui voit sa fille lui échapper et qui échafaude toute une intrigue en se servant de sa jolie gouvernante pour essayer de la reconquérir et de regagner la première place dans son cœur. S’ensuit une nuit mouvementée où le père se déguise afin de brouiller les pistes et de dérouter l’amant de Cécile.
La tendresse des pères et les rapports complexes qu’ils entretiennent avec leurs filles. Ça donne plutôt une mauvaise pièce et on dirait que c’est pas de l’Anouilh (« c’est pas de la nouille », comme disait Francis Blanche dans Adieu Berthe, autre sommet théâtral du genre).
HOMÈRE – L’ODYSSÉE – Le livre de poche / Armand Colin.
Arrivés à un certain âge, on est censés relire. Personnellement, j’ai peut-être relu 3 livres dans ma vie dont l’Ulysse de Joyce, L’homme sans qualité de Musil et Sur la route de Kerouac, estimant avoir tellement de romans à découvrir que relire est finalement une perte de temps. Tant pis si je me trompe.
De l’Odyssée d’Homère, je n’avais que mes souvenirs de cours de sixième et des péplums d’Hollywood ou de Cinecitta, et on ne peut imaginer l’agile Ulysse que sous les traits d’un Kirk Douglas ou d’un Charlton Heston.
J’ai pris plaisir à me replonger là-dedans. Télémaque qui se désespère du bordel qui règne à Ithaque (je vous la fais moderne) avec Pénélope filant la quenouille et détruisant sa tapisserie pour faire patienter ses époux potentiels à qui elle a promis de se donner une fois l’œuvre achevée. Pas folle la guêpe.
Entre en scène Ulysse, héros de la guerre de Troie, coincé en mer avec ses hommes en jouet de Poséidon qui l’a pris en grippe. Les dieux sadiques qui décident du sort des humains comme on joue aux dés. Fort heureusement, tous les dieux ne sont pas ligués contre le brave Ulysse. Zeus pourrait même l’avoir à la bonne, même s’il craint la concurrence.
On a droit à tous les épisodes qu’on suit avec ravissement : Nausicaa, les lotophages, Charybde et Scylla, les cyclopes, le chant des sirènes, Circé, Éole et on en passe. Puis c’est le retour à Ithaque sous la défroque du mendiant avec une immense soif de « vingince », comme disait Verlaine.
Comme dans les Évangiles, Ulysse est reconnu par quelques personnes élues, dont son fils Télémaque. Pénélope ne le reconnaîtra que sur un tard, après qu’il eût massacré les prétendants et leurs troupes. Il peut tranquillement rejoindre le royaume des morts où il parvient enfin s’adresser aux dieux avant de redescendre sur terre pour vivre le reste de son âge avec Télémaque et Pénélope et, au final, c’est royaume des morts pour l’éternité. Et l’éternité c’est long, surtout vers la fin comme disait le regretté Pierre Dac.
On rit des expressions souvent répétées telles que « des paroles ailées », « des mots qui sortent de l’enclos de tes dents » ou autres « ondes amères » comme on peut estimer anachronique et désuète la grandiloquence et l’emphase d’un récit héroïque, une épopée qui donnera naissance aux ancêtres du roman, à la chanson de geste, à l’Arioste puis à Cervantès.
N’empêche, c’est beau comme l’antique. Oui, elle était facile celle-là.
13 mai 2023
Merci pour les introductions aux trois premiers que je ne connaissais pas.