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MICHEL BUTEL : CELA S’APPELLE L’AZUR

Michel Butel jeune. Photo Wikipedia. Poète et journaliste.

« Cela s’appelle l’aurore », faisait dire Giraudoux à l’un de ses personnages dans son Électre. Ici, cela s’appelle L’Azur. C’est un ami qui m’a prêté ce livre contenant l’intégrale des numéros d’un journal que Michel Butel, poète, romancier et journaliste, sortait tout seul. Un 4 pages bourré jusqu’à la gueule de poésie, de nouvelles, de coups de gueule et de billets d’humeur. Très politique, très poétique. L’Azur est sorti de juin 1994 à juillet 1995. Une année sous le regard d’un sacré bonhomme, une sorte de dandy raffiné et humaniste qui détestait par-dessus tout les salauds et les cons.

La préface de Jean-Christophe Bailly, lui aussi l’un des plus grands poètes de sa génération, dit beaucoup sur Butel, homme en colère et débatteur passionné. Il parle de sa bonté et cite Apollinaire : « contrée énorme où tout se tait ». Bailly conclut par ces mots : « Qu’il y ait eu à la fois dans ce silence une patience infinie et une exaspération infinie, ce fut là le secret d’un homme qui rêva qu’avec presque rien, on pouvait tout changer et qui devant l’impossible n’imaginait pas qu’on puisse ou doive reculer ». Pour preuve, Michel Butel avait mis en exergue de chaque numéro de L’Azur ce conseil de Sénèque à son disciple Lucullus : « ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles ». Un aphorisme qui lui va comme un gant.

Qui est Michel Butel ? Un touche à tout, un révolté et un artiste. Il est né en 1940 à Tarbes, patrie de Jean Paulhan et de ces poètes du XIX° exilés en Uruguay : Lautréamont, Jules Supervielle et Jules Laforgue. Sa mère est avocate et son père sera l’un des fondateurs de la Sécurité sociale. Il écrit très tôt des poèmes et voit tous les films possibles à la Cinémathèque, en cinéphile accompli. Il abandonne sa scolarité à 14 ans, ce qui ne l’empêche pas d’adhérer à l’Union des Étudiants Communistes où il fait la connaissance de Felix Guattari avec qui il travaillera à la clinique La Borde, haut-lieu de ce que l’on appelait pas encore, en 1963, l’anti-psychiatrie.

Après Guattari, ce sera Deleuze et des amitiés fortes qui vont jalonner sa vie, de Pierre Goldman (assassiné par Honneur de la police, un réseau de flics fascisants) à Antoinette Fouque (fondatrice du MLF) ; de Luc Bondy à Jean Hatzfeld. Butel est fidèle en amitié et il sera longtemps marié avec la fille de Maurice Merleau-Ponty, Marianne.

On croirait un monde intellectuel et germanopratin, sauf que Michel Butel ne se définit pas comme un intellectuel. C’est un artiste, écorché vif et épris de justice. En plus d’être un cinéphile (il s’essaiera à la réalisation avec un scenario qu’il va proposer à Alain Cuny), un romancier et un poète, il se veut surtout journaliste, mais un journaliste pas du tout comme les autres, on le verra.

En mars 1975, il lance un quotidien avec le futur nouveau philosophe Bernard-Henry Lévy, qu’on ne présente plus. Une aventure de presse peu banale et vouée à l’échec, puisque L’imprévu (c’est le nom du journal) cessera de paraître au bout de quelques numéros. On a en tout cas une petite idée de ce qui caractérise notre homme : quelqu’un qui ose et qui n’a pas peur de prendre des risques, même si on gage que ce n’est pas lui qui a mis le plus de billes dans l’aventure.

Après ce qui peut être considéré à bon droit comme un échec, il revient à ses premières amours, la poésie et la littérature. Il reçoit le prix Médicis en 1977 pour L’autre amour, son premier roman, paru au Mercure de France. Puis ce sera l’année suivante Le mensonge – chronique des années de crise et La figurante en 1979. Trois livres qui, à défaut de lui rapporter beaucoup en droits d’auteur, l’inscriront comme une figure originale du cirque littéraire parisien. On connaît mal ces romans qui sont encore pour moi à découvrir, et on se limitera à sa carrière de journaliste, si le mot « carrière » peut avoir le moindre sens pour lui.

Après quelques piges comme critique littéraire aux Nouvelles Littéraires sous l’ère Jean-François Kahn et Philippe Tesson, il est membre de l’équipe des Nouvelles, hebdomadaire de gauche né sur les décombres des prestigieuses Nouvelles Littéraires. Il est d’ailleurs assez curieux de ne trouver aucune trace de ce journal dans Wikipedia et d’autres sites encyclopédiques, comme si ce canard n’avait jamais existé. Il a pourtant paru entre octobre 1982 et juin 1984 avec une chronique assurée par Cavanna lui-même (plus des dessins de Gébé si ma mémoire est bonne) et une équipe restreinte, ex du Nouvel Observateur ou des Nouvelles Littéraires. Kahn lancera L’événement du jeudi en novembre 1984, laissant Les Nouvelles disparaître, faute de lecteurs.

C’est en 1984, la même année, que Butel lancera L’autre journal, mensuel qui fut un temps hebdomadaire. Butel et sa complice Claire Parnet réunissent autour d’eux des plumes telles que Delfeil De Ton, Francis Marmande, Paul Pavlovitch, Michel Cournot, Michel Cressole, Selim Nassib ou Jean Hatzfeld ; les trois derniers étant des ex de Libération n’ayant pas apprécié son tournant « libéral – libertaire », se tournant du côté du pouvoir et des marchés. L’Autre journal a un ton et Butel en donne le la avec des chroniques enlevées, des enthousiasmes et des coups de gueule qu’on retrouvera dans L’Azur. La rédaction du journal se déchire sur les guerres en ex Yougoslavie comme sur la guerre du Golfe, Butel restant campé sur des positions pacifistes. L’autre journal disparaît des kiosques en 1992.

Il fonde l’hebdomadaire Encore la même année, mais c’est L’Azur qui va pouvoir s’installer dans la durée (un an on le répète), même si le titre souffrira toujours d’une impécuniosité criante. 4 pages donc, on l’a dit, avec une magnifique photo légendée en couverture et, à l’intérieur, des courtes nouvelles enlevées, des poèmes inspirés, des histoires drôles (juives en particulier) et des chroniques politiques et culturelles qui font tout le sel d’un journal qu’il fabrique seul, sans publicité bien sûr et sans aucune promotion. Les mauvaises langues diront qu’il en était aussi le seul lecteur, ce qui est faux bien entendu.

Les aperçus de Butel sur la politique – nationale et internationale – sur la société et sur la culture sont à chaque fois pertinents et originaux. L’angle est toujours surprenant et le style flamboyant. Butel est aussi un redoutable polémiste qui trempe sa plume dans le vitriol. Il cite à tous bouts de champ ses figures totémiques : Socrate, Saint-Just, Nietzsche, Marx, Freud et… Mendes-France. Il les aime autant qu’il déteste toute la droite, la social-démocratie et François Mitterrand à qui il voue une haine farouche. Pour lui, Mitterrand est la quintessence du bourgeois français, social-démocrate en temps de paix et pétainiste en temps de guerre. Il est aussi le ministre de la justice qui a refusé la grâce des condamnés à mort pendant la guerre d’Algérie. Il n’épargne pas non plus son camp, l’extrême-gauche, sauvant du naufrage l’ultra-gauche des anarchistes, des conseillistes et des situationnistes, tout en exécrant la violence.

Mais si Butel a ses détestations, il a aussi ses admirations. À commencer par Deleuze et Guattari, mais aussi Guy Debord, Pierre Goldman, son ami, les cinéastes Pasolini ou Godard, le jazzman Thelonious Monk ou le dessinateur Chaval. Et des sportifs aussi, tels Fausto Copi ou des résistants comme Manouchian qu’il vénère. Il faut dire que la Shoah et les camps ont été décisifs dans la formation de sa sensibilité et qu’il est vent debout, avec panache, contre tout ce qui peut se rapprocher du fascisme ou du nationalisme. La grande affaire de Butel est politique au sens noble, comment changer la vie, changer les rapports entre les gens, les rapports de production, la consommation, avec une approche situationniste basée sur le bouleversement des structures sociales et économiques, le jeu, l’imagination…

On a en même temps un panorama assez complet de la France de ces années-là : la mort de Debord en premier, la Coupe du monde de foot aux U.S.A, la cohabitation Mitterrand – Balladur, Le Monde de Colombani et Pleynel, le Libération de July et Joffrin, Pasqua et Pandraud, Elkabbach et Duhamel, les socialistes qui se déchirent, le Front National qui monte… La chronique s’arrête sur les élections présidentielles où, même s’il déteste les socialistes, il appelle tous les gens de gauche à voter Jospin : « pas une voix des électeurs de gauche ne doit manquer à Lionel Jospin ». Tant il déteste encore plus Chirac et son monde, cette droite dite classique aux relents populistes et nationalistes, racistes et sécuritaires.

On lit ça, chaque numéro, comme on déguste des chocolats dans une boîte. On a du mal à décrocher et on s’aperçoit qu’on a passé des heures dans ce gros livre, toujours curieux de la suite, de ce qu’il va bien pouvoir dire, à qui il va s’attaquer, qu’est-ce qu’il va défendre ? Puis ce sera, après un spécial été , un rendez-vous non honoré pour septembre 1995 et l’appel à un mouvement qui restera lettre morte. Butel est asthmatique et sa santé est fragile, perclus de dettes et lâché par tout le monde.

Il sortira encore un roman, L’autre livre en 1997 et lancera un journal, encore un, L’impossible, en 2012 . Il arrêtera l’année d’après, sa santé se détériorant. Il joue son propre rôle dans le film de Podalydès Versailles-Chantiers (1998) et sort un ultime livre, L’Enfant, en 2004.

Michel Butel rejoindra le monde de la nuit en juillet 2018, après une vie exemplaire et une œuvre aussi foisonnante qu’étonnante. Un grand bonhomme d’une bonté à toute épreuve et qui détestait les tièdes. Un grand oublié, surtout.

L’Azur – Michel Butel – L’atelier contemporain.

15 mai 2023

Comments:

Je ne l’ai pas connu personnellement, mais c’était une figure de l’époque et mon ami Michel Cournot, qui collaborait à « l’Autre journal », m’avait parlé de lui.
Sàuf erreur de ma part, c’ést « l’Autre journal » qui avait publié un trés long dialogue entre de Marguerite Duras et François Mitterrand. Entretien au cours duquel l’écrivaine avait dit au président: « Je suis plus célèbre que vous », lequel lui avait répondu « Je sais, Marguerite ». Je suis donc étonné (si mes souvenirs sont confirmés) que Butel ait ouvert lés colonnes de son « autre journal » aux propos d’un homme auquel Didier dit qu’il vouait une haine farouche.

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