Des matchs arrêtés après invasion de supporters, des pétards ou des fumigènes balancés dans les cages du goal adverse, des tirs de mortier sur un terrain de foot, des dirigeants et des joueurs agressés… Sans parler des désormais habituels cris de singe racistes ou des non moins traditionnels slogans sexistes et homophobes lancés depuis les tribunes. Des footballeurs qui n’hésitent plus à afficher des positions contestables, là où ils avaient l’habitude de se taire ou de ressasser des banalités, sans parler de ceux inquiétés par la justice pour des violences sexistes et sexuelles. On ne parle même pas des scandales financiers. Pourra-t-on continuer à jouer au football alors que tous les indicateurs sont au rouge et que les stades sont devenus des volcans où les joueurs dansent encore. Pour combien de temps ? Rappel des faits.
Ça se passait en mai dernier. Les Girondins de Bordeaux jouaient gros en accueillant Rodez. Ni plus ni moins que l’accession en Ligue 1 où ils auraient accompagné Le Havre A.C. Le F.C Metz était à l’affût, espérant une contre-performance des Bordelais.
Au bout d’un quart d’heure de jeu, Rodez marque à la surprise générale. Bronca dans le public, d’autant que l’attaquant ruthène en fait des tonnes, allant jusqu’à narguer les supporters de Bordeaux face à leur tribune. L’un de ces supporters, particulièrement excédé, réussit à s’échapper de la tribune et s’en va agresser l’attaquant adverse. Bilan, match perdu pour Bordeaux condamné à prolonger son calvaire en Ligue 2 et c’est Metz qui accompagne Le Havre à l’échelon supérieur. Tout ça pour ça.
Plus récemment, fin septembre, c’est Clermont Foot qui reçoit Montpellier et les Montpelliérains se baladent, avec rapidement deux buts d’avance. Un supporter balance un pétard dans les cages du gardien sénégalais de Clermont Diaw, qui, commotionné, quitte le terrain. Le match est arrêté et on n’en reste là. À rejouer, décide la commission de discipline de la LFP.
À l’étranger, c’est un match entre l’Ajax Amsterdam et Feyenoord Rotterdam qui tourne au vinaigre. On sait la rivalité qui oppose les deux équipes majeures du championnat néerlandais. Feyenoord plante rapidement deux buts aux amstellodamois et c’est l’émeute. Un flot de supporters de l’Ajax envahit le terrain et l’arbitre, débordé, décide de mettre un terme à ce triste match.
L’épisode n’est pas isolé et des scènes de ce genre ont souvent lieu en Amérique latine mais, ici en Europe, c’est plutôt rare. Pas rarissime hélas, mais ça reste inhabituel.
En banlieue parisienne, un match de Ligue 1 Arkema (football féminin) entre le Paris S.G et Reims est interrompu par un tir de mortier, un feu d’artifice tiré par des spectateurs n’ayant pu obtenir une place, si l’on en croit L’équipe.
En National 3 (équivalent de la cinquième division), un matche entre Poitiers et Tours est interrompu du fait de jets de projectiles et de bagarres dans les tribunes entre supporters à la suite d’un but célébré trop bruyamment.
D’ailleurs, le football amateur n’est guère épargné par ces batailles picrocholines, au contraire. On ne compte plus les joueurs frappés, les arbitres agressés, jusqu’à une tête de porc retrouvée dans la case du vestiaire d’un entraîneur maghrébin, entre autres joyeusetés. C’est qu’on sait aussi rire.
On pourrait multiplier les exemples, mais à quoi bon ? On a saisi l’état d’esprit de supporters fanatisés qui refusent la défaite et font tout pour créer des incidents susceptibles de faire rejouer le match. Une triste tendance qui malheureusement se banalise.
Parallèlement, on ne compte plus le nombre de dirigeants et joueurs agressés pour leurs mauvaises performances. D’abord des excités de la tribune Loire à Nantes, mais aussi du chaudron stéphanois, du stade Matmut Atlantique des Girondins de Bordeaux ou du Groupama Stadium de Lyon plus récemment ; l’Olympique lyonnais effectuant un début de saison calamiteux avec 3 points en 9 matchs. Là aussi, les supporters s’en mêlent et le métier de dirigeant n’a jamais été aussi risqué ; présidents, directeurs sportifs ou entraîneurs. Une vindicte qui n’épargne pas non plus les joueurs, comme on a pu le voir au Paris Saint-Germain l’an dernier.
Et puis ce caillassage de bus et cette agression caractérisée du nouvel entraîneur de l’Olympique Lyonnais, Fabio Grosso, le dimanche 29 octobre, par des supporters marseillais abrutis, remettant en question le déroulement de O.M – O.L, finalement reporté. Une agression accompagnée d’injures racistes et de saluts nazis de part et d’autre. Presque la routine.
Dans un autre registre, on a vu Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur, soupçonner Karim Benzema, sinon d’antisémitisme, au moins d’islamisme pour avoir osé envoyer un tweet attestant de son soutien au peuple palestinien après l’agression du Hamas, le 7 octobre, et condamnant les représailles de l’État d’Israël. Délit de sale gueule ? Pire, Youssef Attal, l’arrière droit de l’OGC Nice, se voit suspendu par son club dans le cadre d’une enquête pour « apologie du terrorisme ». Il faut dire que l’international algérien, titulaire chez les Fennecs, n’y est pas allé de main-morte, soutenant le Hamas et relayant sur Instagram les discours d’un prédicateur islamiste à la tonalité résolument antisémite.
Il fut un temps où les interviews de footballeurs se limitaient à des banalités du genre : « on prend les matchs un à la fois » (difficile d’en jouer trois en même temps) ; « on n’a pas eu la réussite » ; « l’essentiel c’est les 3 points » ou autres « l’arbitre ne nous a pas fait de cadeaux ! ».
On progresse dans le discours et nos footballeurs deviennent des témoins engagés. Neymar soutient l’église évangéliste au Brésil et Bolsonaro quand les anciens Casagrande, Juninho ou Raïs ont soutenu Lula Da Silva lors de sa campagne. On sait maintenant quelles sont les opinions politiques de nos dieux du stade, et depuis longtemps déjà, quand Lilian Thuram ou Vikaj Dhorasoo affichaient leur soutien à la gauche et aux associations antiracistes alors que Zidane ou Platini n’avaient d’yeux que pour Sarkozy pour l’un, Chirac pour l’autre.
Il y a aussi les affaires, des faits de violence ou de harcèlement sexuel. Depuis les scandales occasionnés par les violences, sur le terrain et ailleurs, des Paul Gascoigne, des Joey Barton ou des Vinnie Jones, on est monté d’un cran avec des violences sexuelles et sexistes. On pourrait citer dans ce cadre Benjamin Mendy, l’ex défenseur de Manchester City, finalement acquitté, qui se refait une conduite au F.C Lorient. On a aussi Ben Yedder, l’attaquant monégasque, qui reste droit dans ses bottes et nie tout en bloc. On a aussi, dans le genre, le même Neymar, qui coche décidément toutes les cases, l’arrogance en plus.
Est-ce bien utile de revenir sur les cris de singe et insultes racistes qu’on entend dans tous les stades du Calcio mais qui n’épargnent aucun pays d’Europe, la palme revenant aux pays de l’Est et à leurs brigades de supporters fascisants.
Les mêmes se régalent de slogans homophobes et malheur aux joueurs qui ont fait leur « coming out ». Le Nancéien Olivier Rouyer, ami de Platini, n’est passé aux aveux que 20 ans après avoir raccroché les crampons, mais ce fut le cas pour un Johann Gourcuff, dont la carrière a été brisée. Pas homosexuel, on se souvient aussi d’un Benoît Pedretti, traité jadis par le président montpelliérain bas de plafond Louis Nicollin de « petite tarlouze ». Le même Pedretti, maintenant entraîneur de l’AS Nancy Lorraine, a également des problèmes avec des supporters racistes qui ont injurié copieusement les joueurs de couleur du Red Star. Il est vrai que racisme, sexisme et homophobie vont souvent ensemble. On s’est par ailleurs habitué à ce que chaque dégagement du gardien de l’équipe adverse soit rythmé par un « oh hisse enculé ! » du plus bel effet.
Les enjeux médiatiques, financiers et sportifs sont devenus tellement importants qu’on n’accepte plus la défaite et la dramatisation qui est faite par les journalistes sportifs va dans le sens d’un « malheur au vaincu » insupportable. On invente des rivalités parfois fictives et les matchs exceptionnels qui vont avec, comme ce « classico » pour PSG – O.M (ou Real – Barça en Espagne) ou, mieux, ce « Olympico » pour les matchs opposant Lyon à Marseille, sans parler des derbys Lyon – Saint-Étienne, Nice – Monaco ou Lens – Lille. Le genre ça va être chaud.
Plus grave, dans un pays où la violence sociale est de plus en plus prégnante, la fierté des classes populaires va souvent se réfugier dans le supportérisme et l’amour du maillot, jusqu’à ne plus tolérer ni revers ni contre-performances.
L’entraîneur du Liverpool F.C des années 1960 – 1970, Bill Shankly, répondait, à la question « pour vous, le football est vraiment une question de vie ou de mort ? » par : « c’est beaucoup plus que ça !». La phrase est restée célèbre mais, plus sérieusement, on peut se demander si les passions populaires attisées par la crise sociale et exacerbées par les médias et une presse sportive pousse-au-crime ne vont pas finir par rendre impraticable ce sport de gentlemen joué par des voyous, contrairement au rugby où c’est exactement l’inverse, selon la légende.
Mais on peut se rassurer en se disant que tout sera fait pour ne pas tuer la poule aux œufs d’or, trop d’intérêts en jeu, quitte à jouer dans des stades bunkérisés protégés des supporters les plus turbulents. Dernier stade de la gentrification des stades. Bientôt, on fera venir des figurants neutres et sachant se tenir, froids partisans loin des passions populaires et de leurs excès. Science-fiction pour foot frictions. Mais les prévisions sont difficiles, surtout pour ce qui concerne l’avenir.
29 octobre 2023
PS : une pensée pour Bobby Charlton, rescapé du crash aérien qui a décimé l’équipe de Manchester United en 1959. Lui était un vrai gentleman footballeur et on retiendra son jeu subtil et élégant, que ce soit avec les 3 lions en 1966 en Coupe du monde, ou avec Man U en finale de la Coupe d’Europe des clubs champions en 1968, contre le Benfica de Eusebio. Il était l’exact opposé de son coéquipier George Best, mais les deux figures étaient tout aussi attachantes.
Très bon article, écrit juste avant le décès d’un supporter nantais de la brigade Loire avant Nantes Nice… Que c’est triste 😔