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UN PAYS QUI SE TIENT SAGE – de David DUFRESNE

document france info

On a d’abord connu David Dufresne comme chroniqueur de fanzines et critique rock au magazine Best en tant que spécialiste ès punk rock et rock indé. Puis ce fut l’éphémère quotidien Le Jour et des chroniques et des reportages hors des sentiers battus pour Libération.

Depuis quelques temps et à la faveur du durcissement des manifestations et de leur lot de bavures policières, Dufresne fait œuvre de salubrité publique en tenant le compte des blessures, mutilations et autres victimes de ces violences sur son site Allo Place Beauvau. Se disant lassé du journalisme traditionnel, il est passé à l’écriture avec Dernière Sommation, roman paruchez Grasset et au documentaire avec ce film aussi impressionnant par les images montrées que par la pertinence des commentaires.

Le propos en est relativement simple. Des images de manifestations (de Gilets jaunes principalement) sévèrement réprimées par la police pour autant d’affrontements de rue brutaux et violents entrecoupées d’analyses et de commentaires de personnalités diverses. Il y a là les sachants (sociologue, historienne, politiste, philosophe…), mais aussi des femmes au foyer, des ouvriers, des jeunes et des policiers (dont un représentant du syndicat CGT Police).

Dommage, et c’est le seul reproche qu’on puisse faire à ce documentaire, que les noms ne soient pas mentionnés à l’image au fur et à mesure que les gens parlent ; on ne les reconnaîtra que dans le générique de fin. Un générique qui nous informe également que plusieurs hauts représentants de l’intérieur et de la police nationale ont décliné les invitations à s’exprimer. Dommage encore une fois, car ce documentaire honnête donne aussi la parole à la défense de l’État et de sa police, à charge, question de point de vue, mais aussi un peu à décharge.

Parmi les intervenant-e-s, on reconnaît l’historienne Mathilde Larrère, l’avocat William Bourdon, la juriste (et spécialiste des juridictions internationales) Monique Chemillier-Gendreau ou le romancier Alain Damasio, entre beaucoup d’autres, moins connus (de moi en tout cas). De courts commentaires ou des bouts de dialogue nourris par des questions précises sur la théorie de Max Weber selon laquelle l’État détient le monopole de la violence, sur les trois violences distinguées par Don Helder Camara (violence institutionnelle, violence révolutionnaire et violence répressive) ou encore sur un article de la Déclaration des droits de l’homme qui appelle le peuple à se soulever si la violence exercée par l’État est abusive, injuste et disproportionnée.

Nous y sommes. Depuis au moins les mouvements contre les lois El Khomri (2014), la police se sent légitime à réprimer tous azimuts. Le maintien de l’ordre républicain, s’il a jamais existé, est devenu désordre violent où on blesse, où on mutile, où on brutalise. La palme revient bien entendu aux manifestations des Gilets jaunes (les images montrées vont de novembre 2018 à février 2019), et spécialement quand ceux-ci se sont mis en tête d’investir les lieux de pouvoir (Arc de triomphe, Assemblée nationale, Élysée…) ou les endroits où se pavane la grande bourgeoisie (Champs-Élysées, Fouquet’s). Pour Macron – que l’on voit un peu dans le film avec ses leçons de morale, son grand débat et sa dialectique ampoulée face à Poutine -, l’irruption des manants dans le saint du saint du pouvoir est tout simplement impensable et inadmissible. Pour lui et ses sbires, ces gens-là sont leur cauchemar.

La phrase de Pasolini signifiant qu’il se sentait plus proche d’un flic fils d’ouvrier que d’un étudiant casseur fils de bourgeois est citée, preuve s’il en est que Dufresne a sûrement plus de tendresse pour des Gilets jaunes en colère que pour les blacks blocks, même si sont relativisées les déprédations envers les banques ou les assurances prises comme symboles d’un capitalisme mortifère.

« Les deux mâchoires d’un même piège à cons », disait Jean-Patrick Manchette en parlant du terrorisme, de la violence et de l’appareil répressif qu’elle appelle. Même s’il n’est pas question évidemment de renvoyer les deux camps dos à dos et que les images montrent bien que la violence policière meurtrit (mains arrachées, œil crevé, joue perforée…) quand les répliques se limitent souvent à des jets de pierre ou de bouteilles. On voit bien à un moment qu’un quarteron de policiers est coincé dans une rue et que le gros du cortège des manifestants attend qu’ils puissent s’enfuir pour les poursuivre. Preuve éclatante que la violence « légitime » est admise et que leur violence à eux reste sous contrôle et s’interdit de franchir certaines limites.

Ce sont toutes ces questions que pose ce documentaire honnête et intelligent, à l’image de son auteur. Les images presque insoutenables de violence sont contrebalancées par des argumentaires construits, des analyses savantes et sensibles. Un film qui invite à la réflexion, au débat, au dialogue et au dissensus. Toutes choses que veut éviter l’ordonnateur du « grand débat » censé en finir avec ce caillou dans la chaussure du quinquennat Macron, cette insurrection des Gilets jaunes, laquelle est loin d’être terminée, et on s’en réjouit.

Vu au Métropole à Lille. Une séance est prévue au Fresnoy à Tourcoing, le 21 octobre, avec un débat en présence de l’auteur.

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