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LE LION EST MORT HIER SOIR.

Il était moche et teigneux. Très laid et très méchant. Norbert « Nobby » Peter Stiles avait coutume d’ôter son dentier avant son entrée sur le terrain, ce qui lui vaudra le surnom du lion édenté, lui qui était titulaire indiscutable, dans les années 60, de l’équipe nationale anglaise au maillot frappé des trois lions et du Manchester United des Best, Charlton et Francis Law. Une légende.

C’est surtout durant la coupe du monde (world cup) 1966 que Nobby Stiles s’est illustré. Positionné comme deuxième milieu de terrain, avec Bobby Charlton, mais plus défensif que sir Bobby porté, lui, vers l’offensive. Le rôle de Stiles était d’enrayer les attaques adverses et d’écarter le danger par tous les moyens : coups de latte, tirage de maillot et autres croche-pattes. Et de donner des grands coups de botte vers l’avant, dans la tradition du foot anglais, « kick and rush ». Peu académique, Stiles était un habitué des expulsions, l’objectif étant de rester le plus longtemps possible sur le terrain. Comme on dit en rugby, il y a ceux qui jouent du piano et ceux qui les déménagent. De sa vie, Nobby Stiles n’a jamais joué de piano.

L’équipe nationale d’Angleterre et son club phare du moment, le Manchester United de Matt Busby, avaient tous deux adopté, avec une longueur d’avance, le 4-2-4, qui devait mettre au rebut le fameux WM, catenaccio ou pas. Stiles était quasiment le premier véritable demi défensif dans cette configuration, inaugurant un poste qui allait devenir capital dans le football moderne.

On se souvient de La World cup de Wembley 1966 et ce match de quart de finale contre l’Argentine. Les « animals » argentins emmenés par Rattin seront ainsi baptisés par la presse de caniveau, et la reine se dira choquée par l’attitude des joueurs sud américains qui n’hésiteront pas à venir provoquer, gestes obscènes à l’appui, la loge royale. Outrageous ! Shocking ! Damned ! 15 ans avant les Malouines.

Dans un genre moins spectaculaire, Stiles continuait son travail de sape sur les offensives adverses, la semelle qui traîne et le bras raccourci. En porteur d’eau. Autant le Manchester United de l’époque proposait un football chatoyant avec des attaquants élégants (les Best, Law ou Kidd) – sans parler de cet archétype du gentleman qu’était Bobby Charlton – autant Stiles se distinguait par son physique ingrat et ses manières de voyou. Hooligan.

Le lion édenté avait pourtant mangé la gazelle du Mozambique Eusebio, lors de la finale de la coupe d’Europe des clubs contre le Benfica de Lisbonne, en mai 68, et bien lui en avait pris, puisque Man U décrochait le titre après avoir remporté trois fois le championnat d’Angleterre dans ces années-là, seulement concurrencé par le Liverpool F.C ou les Spurs de Tottenham. Le vieux lion d’Old Trafford défendait les couleurs (rouges et noires) d’une équipe en reconstruction, décimée par un accident d’avion dix ans plus tôt. Le drame a endeuillé le football anglais autant que la tragédie du Heysel (1984) ou celle de Sheffield (1990). Il va redescendre ensuite d’un cran, relégué à des taches défensives en défense centrale, avec Fitzpatrick, un joueur au même profil disgracieux.

Mais 1968 marquera le déclin du lion. Il est encore sélectionné pour la coupe d’Europe des nations remportée par l’Italie des Facchetti, Rivera ou Mazzola (l’Angleterre jouera la petite finale contre l’URSS après son élimination par la Yougoslavie), mais les jambes commencent à ne plus suivre et les fautes se multiplient. Lors de la coupe du monde de 1970 au Mexique, Stiles figure dans la sélection mais ne joue pas, remplacé poste pour poste par des joueurs plus techniques et moins casse-pattes, tels Peters ou Mullery.

Au début des années 70, Stiles ira jouer à Brighton, en deuxième division, avant d’aller entraîner le Preston North End un échelon en dessous, en troisième division. Sa réputation d’entraîneur et ses compétences de fin tacticien vont cependant contribuer à la faire rebondir à l’international. Ainsi prendra-t-il en charge les White Caps de Vancouver avant de revenir sur le sol anglais pour présider aux destinées du West Bromwich Albion, club prestigieux de Birmingham, dans les années 80.

Happy end ? Stiles reviendra prendre une petite revanche à Manchester United, où, au début des années 90, il aura à s’occuper des jeunes pousses du club prestigieux, en sergent recruteur va de la gueule et sévère. C’est ainsi que passeront sous sa férule les futures vedettes du club, les David Beckham, Paul Scholes et Ryan Giggs. Élevés à la dure.

Puis Stiles vend ses breloques, coupes et médailles, se disant aux abois financièrement. Il inquiète encore plus le monde du football lorsqu’il est interné une première fois pour des crises de démence. De placements en hôpitaux psychiatriques à séjours en hôpitaux, sa vieillesse est un calvaire. Le vieux lion agonise en hurlant, et il mourra d’un cancer de la prostate, le 30 octobre de cette année.

Nobby Stiles aura acquis à la dure le statut de légende du football britannique, voire international. Il est de ces joueurs qui ont démontré qu’on pouvait peser sur le terrain, au plus haut niveau, avec un maigre bagage technique et une combativité de tous les instants. Stiles n’a jamais été un surdoué du foot, juste un gars issu des classes populaires volontaire et combatif compensant son manque d’aisance par une agressivité permanente, un engagement physique exemplaire et un sens inné de la tactique.

En fait, un précurseur du football moderne, hélas. Stiles, sans style mais avec du cœur, et des tripes !

Comments:

Merci pour ce superbe hommage à Nobby Stiles (je me demande dans quel journal il en aura un pareil).
Hommage qui m’a rappelé les grandes heures de M U, équipe favorite de mon adolescence avec l’idole incontestable du moment l’irlandais du Nord Georges Best..
Une anecdote me revient, Sur RTBF, En plein commentaire sur l’action dans le camp adverse de MU le commentateur s’interrompt par un « OH ! de Nobby Stiles vient de descendre » (je crois bien me souvenir que ce fut son mot) son vis-à-vis.. L’arbitre n’a rien vu évidemment et Nobby n’a pas dû être sanctionné. Si ?
Je te laisse dire quel match et à quelle heure;
Sacré Nobby, je l’aimais bien cet homme sans savoir tout ce que tu en as dit.

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