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PRINTEMPS ROSE : LE ROCK DÉCADENT

La pochette du premier album de Roxy Music. La fée rose.

On a parlé de Rock décadent, de Glam (pour Glamour) rock ou encore de Glitter thing, du nom d’un chanteur pour minettes qui sera condamné pour abus sexuel sur mineurs. C’était il y a 50 ans, au printemps 1972, et, après les années hippies psychédéliques et l’Acide rock ; après le Blues Boom, le Hard-rock et le Rock symphonique et « progressive » ; Bowie et Roxy Music imposaient une nouvelle esthétique dans des poses maniérées et des allures androgynes. L’outrage était à la mode et le « rock des pédés » (selon la rude expression de Frank Sinatra) pouvait enterrer les pop stars dinosaures, annonçant les années punk et new wave. La vague « camp » connaîtra des répliques aux États-Unis. Voici son histoire.

On laissera de côté toutes les starlettes du Glam rock, les Gary Glitter, David Essex, Alvin Stardust, Sweet et autres Suzy Quatro. Il n’y a que quelques 45 tours à retenir de toute cette volaille poudrée et maquillée, dont le « Ballroom Blitz » de Sweet ou le « I Love Rock’n’roll » (put another dime on the juke-box baby) de Suzy Quatro. On ne parlera pas non plus de T. Rex, les précurseurs. Allons directement à l’essentiel, à Bowie et à Roxy côté anglais, avec le retour de Mott The Hoople et des Pretty Things. Aux New York Dolls, au Blue Öyster Cult, aux Dictators ou aux Sparks aux États-Unis, ce qu’on appellera aussi le « rock du Watergate ».

On est en mars 1972, le jeune David Jones – qui a dû changer de patronyme pour ne pas qu’on le confonde avec un autre anglais de Manchester leader, des Monkees sous le nom de Davy Jones – se morfond dans les bureaux du producteur Tony De Fries. Une carrière encalminée, après des débuts au temps du Swinging London avec des groupes sans succès et une aventure en solo marquée par quelques albums (David Bowie, Space Oddity, The man who sold the world) au succès discret.

De Fries a fondé la maison de production Mainman et est le manager de David Jones, devenu donc Bowie (pour les « Bowie knives » des romans de William Burroughs). Il est réputé dur en affaire et peu scrupuleux, élève des requins que sont Mickie Most et Allen Klein. De Fries a vu dans Bowie l’occasion de donner un coup de projecteur sur la petite entreprise dont il est le seul actionnaire ; le détail a son importance, quand le beau David s’estimera floué, bien plus tard.

Grâce à son entregent, il fait signer David Bowie chez RCA et le succès de Hunky dory, sorti en décembre 1971, tarde à venir. Un succès qui viendra au printemps 1972 avec « Changes », single qui en est extrait, et la découverte d’un jeune éphèbe aux cheveux auburn qui porte des chemisiers de femme et dont les photographies rappellent l’école de Bloomsbury.

Les 11 titres de l’album sont d’ailleurs excellents, et on retient notamment « Andy Warhol », « Life On Mars ? » ou encore « Oh You Pretty Thing ». Son univers décadent et théâtral s’inspire à la fois du Hollywood de l’âge d’or, du Velvet Underground, de la pantomime, de la danse et de Lewis Carroll. Des chansons comme « Andy Warhol » ou « Song For Bob Dylan » font clairement preuve d’une fascination pour les stars, pour la décadence et pour les mythologies rock’n’rolliennes.

Après un printemps rose, des concerts sold-out et des disques en tête des hit-parades, l’été se présente à merveille avec la sortie de The rise and fall of Ziggy Stardust (and the spiders from mars) en juin. Il a constitué un groupe derrière lui avec Mick Ronson (guitare), Trevor Bolder (basse) et Woody Woodmansey (batterie). Ziggy est le nouveau personnage qu’il entend incarner, un chanteur décadent au look androgyne, une star d’un futur de science-fiction. L’album devient vite un classique et les hits se succèdent : « Suffragette City », « Rock’n’roll Suicide », « Hang On To Yourself » et surtout « Starman ». Un concept-album, comme on disait à l’époque, qui narre à travers ses titres l’ascension et la chute – comme son nom l’indique – d’un chanteur ambitieux rêvant de gloire et de puissance et qui finit dans le caniveau, le nez dans la poudre.

1972 sera son année, et Ziggy Bowie continuera sur sa lancée avec l’excellent Aladdin sane (a lad insane?), enregistré aux États-Unis avec notamment « The Jean Genie » (pour Jean Genet) et « Panic In Detroit ». Bowie joue de sa bisexualité cultivée et d’une image troublante qui fascine. Le reste, dans le genre, est moins bon avec Pin-up’ s, album de reprises en hommage au British Beat en octobre 1973 et le médiocre Diamond dogs en avril 1974. Il est temps pour Bowie de changer de style, ce qu’il fera plus d’une fois en caméléon génial.

Dans la période, Bowie fera prendre le tournant décadent à Mott The Hoople, le groupe de Ian Hunter qui deviendra un modèle du genre avec les albums All the young dudes, Mott et The Hoople, de 1972 à 1974. Il aura aussi le mérite de remettre en selle les Pretty Things dont il aura été l’un des fans les plus fervents, leur chanteur Phil May lui ayant servi de modèle.

Pour Roxy Music, les ingrédients sont les mêmes : poses alanguies, maquillage outrancier, vêtements unisexes ; velours, fourrure et satin. Des dandys électriques dont la musique s’inspire des pionniers du rock’n’roll et du College rock, avec la technologie moderne et le synthétiseur, manié avec habileté par Brian Eno. Bryan Ferry chante, déguisé en Teddy-boy ou en costume de Zorro, selon l’inspiration. Derrière lui, Eno aux claviers, Phil Manzanera à la guitare, Andy Mac Kay au saxophone et, dans l’ombre, Graham Simpson et Paul Thompson pour la section rythmique. David O’ List, le guitariste d’origine ancien des Nice, s’est fait virer pour absence de glamour.

Roxy Music sort en ce printemps rose, en juin 1972, produit par le parolier de King Crimson Pete Sinfield. Sur la pochette, une créature court-vêtue en rose poussière et bleu pâle. « Re-make Re-model », comme « To H.B » (à Humphrey Bogart) sont les hymnes de toutes les nostalgies hollywoodiennes et l’ensemble de l’album est un modèle de classe et de finesse. Les doigts de Eno courent sur le synthétiseur, le sax de Mac Kay émeut par ses langueurs, la guitare de Manzanera est tout simplement magique et la voix de Ferry plane sur tout cela, en majesté.

« Virginia Plain », l’un des plus grands singles de rock toute catégorie, sort en août et Roxy récidive avec deux albums parfaits : For your pleasure (c’est cette fois Amanda Lear qui pose en bustier de cuir et talons-aiguille) avec « Do The Strand » et Stranded avec « Song For Europe », tous deux en 1973, leur année à eux. Entre temps, Bryan Ferry a lancé sa carrière solo avec deux albums où il reprend à sa manière, des standards du rock’n’roll et de la pop music. On citera pour mémoire ses reprises fabuleuses de « Smoke Gets In Your Eyes » ou «de « These Foolish Things » (titre du premier album en solo). Malgré de bons titres, la suite est moins flamboyante : Country life 1974 avec « All I Want Is You » puis Siren en 1975 avec « Love Is A Drug ». Le groupe s’essouffle et s’éloigne des critère esthétiques du rock décadent pour une nouvelle vie, à partir de 1979. Viva Roxy Music !

Aux États-Unis, on tient en Lou Reed et son Velvet Underground le précurseur du rock décadent, avec sa poésie du désespoir et sa musique sublime qui doit presque autant au rock’n’roll qu’à la musique contemporaine. Plus la poésie sale d’un Hubert Selby ou d’un Delmore Schwarz. Avec sa trilogie Tranformer (1972), Berlin (1973) et le live Rock’n’roll Animal (1974), Lou Reed posera les bases du rock décadent américain.

Le Blue Öyster Cult n’a pas le look efféminé des Anglais, mais le groupe new-yorkais (ex Ultimate Spinach et Soft White Underbelly) formé par Buck « Dharma » Rosier, Eric Bloom, Alan Lanier et les frères Bouchard puisent leur inspiration dans la Science-fiction et l’ésotérisme. Ils sont guidés par les anciens rock critiques Sandy Pearlman et Murray Krugman et leurs textes sont écrits par le journaliste – philosophe Richard Meltzer, auteur inoubliable du classique The aesthetics of rock.

Côté musique, guitares saturées et voix d’outre-tombe, ça donne The Blue Öyster Cult (1972), Tyranny and mutation (1973) et le sulfureux Secret Treaties (1974). Une trilogie qui leur vaut la suspicion de la presse rock et en particulier de Lester Bangs qui, dans Creem, leur fait un procès en sorcellerie. Il est vrai que le Cult cultive l’ambiguïté avec des symboles ésotériques (la croix à l’envers, symbole nihiliste), une musique malsaine et des textes nietzschéens faisant l’apologie de la force et de la violence.

Il n’empêche, même si leur musique se banalise par la suite, le Cult, avec cette trilogie rouge et noire (« The Red And The Black ») aura écrit l’une des plus belles pages de l’histoire du rock U.S.

Les Dictators sont un peu la version comique du Blue Öyster Cult, avec beaucoup d’autodérision. Ils lorgnent parfois vers ces groupes parodiques comme Sha na na ou Flash Cadillac & The Continental Kids avec des relents des Mothers de Frank Zappa. Qu’on ne s’y trompe pas quand même, Dick « Handsome » Manitoba et sa clique sont capables de petits trésors mélodiques qui parsèment des albums comme Go girl crazy (1976) ou Manifest destiny (1978). Des tendres, en fait.

Dans le genre travelos camés poussant l’outrage jusqu’au mauvais goût, les New York Dolls de David Johansen, une sorte de Jagger américain, sont parfaits. Aux guitares, le chérubin héroïnomane Johnny Thunders et Sylvain Sylvain, sorte de poupée fardée, plus Art « Killer » Kane à la basse. Jerry Nolan est à la batterie, le premier batteur – Billy Murcia – étant mort étouffé après que Killer (le surnom n’est pas usurpé) lui ait versé une tasse de café brûlant dans le gosier, à son corps défendant. C’est en tout cas ce que veut la légende.

Princes de l’éphémère et du frivole, les Dolls s’inspirent du College rock, avec haute dose d’électricité, pour donner une musique fulgurante et jouissive. Le premier album, The New York Dolls, produit par Todd Rundgren (avec le superbe« Trash ») est une complète réussite, alors que le second, Too much too soon , compose une sorte de American Graffiti des temps modernes.

Entre personnages de Selby et mignons du Satyricon de Pétrone, on regrettera les New York Dolls et leur fatras insolent et joyeux. On pourra se consoler avec les albums solo de Johansen et, surtout, ceux des Heartbreakers de Johnny Thunders, mais c’est une autre histoire.

On en termine avec les Sparks, les frères Ron et Russell Mael qui, avec les d’autres frères, Earl et Jim Mankey, fondent Half Nelson au début des années 1970. Half Nelson est aussi le nom de leur premier album, sorti chez Bearsville en 1971 et produit par Todd Rundgren. Sans succès. Half Nelson devient les Sparks en 1972, toujours basés à Los Angeles, et sortent chez Warner A woofer in tweeter’s clothing, album excellent avec des perles comme « Girl From Germany » ou « Angus Desire ». Bien meilleur que leur Kimono my house (1974) qui leur vaudra pourtant un succès international avec le single « This Town Ain’t Big Enough For The Both Of Us ».

Les coups de feu claquent et la voix de crécelle de Russell Mael (grand échalas permanenté) répond aux accords de piano de son frère Ron (look entre Chaplin et Hitler). Le reste (Propaganda en 1974, Indiscreet en 1975) est dispensable et il faut attendre  N°1 in heaven pour réentendre parler des Sparks, en 1979, un album produit par Giogio Moroder, c’est tout dire. Et la musique du film de Leos Carax Annette, plus récemment. On passe la main.

Tant il est vrai qu’on avait déjà remarqué chez les Sparks une certaine tendance au mauvais goût, lorgnant vers le Disco ou du côté de Queen. Bien que Angelinos, ils seront assimilé au « rock du Watergate », selon une formule journalistique qui fit florès dans ses fichues années 1970.

Rock du Watergate après rock des pédés. Richard Nixon et Andy Warhol, Edgar J. Hoover et Truman Capote, Gore Vidal et Nico. America, America. Honey, it’s a suburban tragedy !

Oops ! on a oublié la mère Alice (Cooper).

29 mars 2022

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