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NOTES DE LECTURE (37)

PAUL VALÉRY – TEL QUEL 1 – Idées / Gallimard

Paul Valéry jeune, une belle tête d’honnête homme. Photo Wikipedia.

Paul Valéry, l’écrivain, le poète, l’essayiste, le philosophe. Une œuvre colossale dont finalement peu de choses sont restées. Monsieur Teste pour le roman, La jeune Parque, Palmes ou Charmes pour la poésie, Regards sur le monde actuel pour les essais. Une cinquantaine d’ouvrages dont la liste impressionne, mais on ne retient finalement de Valéry que sa critique du roman (« la Marquise sortit 5 heures »), sa clairvoyance politique (« les civilisations sont mortelles ») et son acuité poétique (« le premier vers vous est donné »). C’est déjà beaucoup.

Dans Tel quel 1 (il y aura un deuxième volume après sa mort en 1945), Valéry y va de ses aphorismes et de ses apophtegmes sur des sujets divers : littérature, arts, philosophie, morale, politique, poésie… La première partie, la plus intéressante, s’intitule Choses tues. On connaissait le Choses vues de Victor Hugo puis les Choses bues d’Antoine Blondin. Un esprit brillant qui doute de tout et nous fait douter avec lui, loin des béquilles rationalistes d’un Descartes ou d’un Pascal. C’est pourquoi on a parfois du mal à le suivre, lui qui jouit avec raffinement du paradoxe et du contradictoire.

On est obligés de relire plusieurs fois ces courts fragments de textes, sans être jamais certain de les avoir bien compris, mais avec l’idée qu’on est devant l’un des plus grands esprits du temps. Une sorte de Mallarmé qui aurait lu Bergson et aurait retenu les leçons d’un Jaurès. Ça fait beaucoup pour un seul homme.

Après les Choses tues, on a les Moralités puis les Ébauches de pensée avant une longue section consacrée à la littérature (Valéry nous fait soupçonner une mystique de la littératures comme Mallarmé tenait pour une mystique de la poésie) et des Cahiers de 1910 où il est à nouveau question de morale, d’angoisse, d’ironie, de religion, de science, d’esprit… Et on referme un tel livre en se disant qu’on est passé largement à côté et qu’il faut pour l’apprécier vraiment avoir des bases philosophiques que nous n’avons pas. C’est frustrant en un sens, mais aussi modeste et raisonnable comme attitude devant tel un monument à la gloire de l’esprit humain.

ELSA TRIOLET – L’ÂGE DE NYLON VOL . 1 – ROSES À CRÉDIT – Folio / Gallimard

On connaît surtout Elsa Triolet par Aragon. Dans le couple infernal qu’ils ont formé, c’est lui qui aura tout pris. Aragon chantera toujours sur tous les tons son amour d’Elsa et ces louanges parfois à la limite de l’emphase n’auront pas peu contribué à nous faire passer à côté d’une œuvre littéraire qui, sans jamais atteindre le génie d’Aragon (et puisque la comparaison s’impose) n’en est pas moins estimable.

Néanmoins, on comprend à la lecture de Roses à crédit que Triolet n’a jamais eu le talent de son grand homme. Roses à crédit s’inscrit dans cette trilogie appelée L’âge du nylon et qui comprend aussi Luna-Park et l’Âme. Une fresque romanesque qui, pour reprendre la comparaison, n’a rien de la puissance et de la force du Monde réel d’Aragon. Mais Triolet est Triolet après tout, et elle a quand même écrit de bons livres, d’autant plus à saluer qu’elle était russe et avait décidé d’écrire en français.

Roses à crédit, c’est l’histoire de Martine et de Daniel, un couple formé dans l’après-guerre, lui un jeune résistant horticulteur dans la ferme de son père, elle une pauvrette issue d’une famille misérable dotée d’une beauté rare. Martine s’extrait de son milieu et finit dans un institut de beauté à Paris quand Daniel est passionné par ses travaux d’horticulture et l’invention d’une rose nouvelle, un hybride qu’il a inventé.

Mais tout se dérègle, Martine se laisse griser par la folie des grandeurs du confort moderne et du crédit. Elle finit par participer à des jeux télévisés, par détourner la clientèle de son salon et par organiser des bridges. Son mari la délaisse et, invité aux États-Unis pour commercialiser ses découvertes, se fiance à une Américaine et entend divorcer. L’amour est mort.

Lui part en Californie avec sa nouvelle femme, divorce obtenu. Elle retourne dans son village pour la succession de sa mère morte, après une dépression et un séjour en clinique psychiatrique. La déesse de la beauté est devenue une épave. Au village, elle y rencontre Bébert, un routier dernier amant de sa mère, avec qui elle envisage de refaire sa vie avant d’être dévorée par les rats après quelques jours de complète déréliction dans cette cabane insalubre.

Triolet parle des temps modernes, du nylon, du plastique, du confort et du crédit. Les êtres sont avilis par la société de consommation et y perdent leur âme, comme des pies attirées par ce qui brille et non ce qui instruit, ce qui élève, ce qui cultive.

Les derniers chapitres sont édifiants mais le rythme est lent et l’écriture plate. Les plus de 300 pages de ce roman auraient pu être raccourcies pour plus d’efficacité et une lecture plus cursive. Il s’agit néanmoins d’une charge sur la société de consommation de masse et de la standardisation des années 1950, un peu à la manière des Choses de Georges Pérec. Mais là où Pérec atteignait au surréalisme, Triolet se cantonne à un réalisme d’une banalité confondante qui ne facilite pas la lecture. Bref un roman décevant au final, mais il doit bien s’en trouver d’autres lui rendant justice.

PEF – ALLER DOUBLE – NRF Gallimard

C ‘est un petit livre que l’on m’a offert et que j’ai lu d’une traite. Aucun mérite, avec ses 60 pages écrites gros. PEF, c’est Pierre-Élie Ferrier, à ne pas confondre avec le PEF homonyme des Robin des Bois, triste troupe comique lancée par le pitoyable Faruggia sur Canal +.

PEF est connu pour ses livres pour enfants chez Gallimard / Jeunesse. Autant dire inconnu de moi jusqu’ici. Ami de Topor, il a donné ses premiers dessins comme lui à la revue Arts, travaillé avec Anne Sylvestre et illustré l’Humanité Dimanche. C’est aussi un militant de l’éducation populaire, engagé dans le milieu associatif et proche du PCF. Né en 1939, quelqu’un qui a été marqué par la seconde guerre mondiale et la résistance.

Il s’agit d’une odyssée à moto entre la banlieue parisienne (Villeneuve Saint-Georges) et le fin fond de la Bourgogne, Chalon sur Saône, où vivait sa grand-mère. Une odyssée à moto qui fait écho à celle de son frère aîné qui fit la même route à vélo bien des années plus tôt, tué sur cette route alors qu’il s’accrochait à l’arrière d’un camion.

On traverse l’Yonne, le Morvan, la Nièvre et la Saône-et-Loire. C’est la route de l’enfance, de l’en France, avec ses garages à l’ancienne, ses bistrots abandonnés, ses routes nationales (la RN6 ici). C’est la route de la nostalgie et du bonheur qu’on ne connaît que dans la jeunesse, alors que tout est encore virtualité, avant d’affronter les tristes réalités de la vie.

PEF cite Rabelais, Camus, Marcel Aymé. Son style tout en phrases courtes et percutantes fait penser à Céline, un Céline humaniste qui aurait atteint à la sagesse. C’est en tout cas remarquable de sensibilité et d’émotion retenue. Un grand petit livre. Une belle découverte. Merci Francis !

SÉBASTIEN JAPRISOT – L’ÉTÉ MEURTRIER – Denoël

Sébastien Japrisot, anagramme de Jean-Baptiste Rossi son vrai nom, est un bon faiseur du polar français, ce qui n’est pas forcément péjoratif. Beaucoup de ses romans ont été adaptés au cinéma, citons pour mémoire : Compartiment tueurs (Costa-Gavras), Piège pour Cendrillon (Cayatte), La dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil (Litvak) et plus récemment Un long dimanche de fiançailles (Jeunet). Sans oublier cet Été meurtrier, de Jean Becker, dont on se souvient des personnages incarnés par Isabelle Adjani, Alain Souchon ou la grande Suzanne Flon (entre beaucoup d’autres).

On connaît l’histoire, ne serait-ce que par le film : une jolie fille arrive avec sa mère dans un village des Alpes de Haute-Provence et elle séduit Pin-pon, un pompier volontaire, un brave type qui travaille dans un garage. On apprend qu’elle entend venger sa mère, une Autrichienne, violée par trois camionneurs, persuadée qu’elle est née de ce viol, 20 ans plus tôt. Le père de Pin-pon, décédé, est soupçonné ainsi que deux hommes devenus des notables à Digne. Elle entend retrouver les coupables en passant par la famille du supposé violeur – l’Italien – et faire de Pin-pon l’exécuteur de la sentence de mort prononcée par elle. En outre, elle a rendu son père paralysé en le frappant à coups de pelles dans une crise de démence, à 9 ans.

Après son mariage avec Pin-pon, elle poursuit l’enquête sur le viol de sa mère et s’aperçoit qu’elle a fait fausse route. Elle finit par retrouver les vrais coupables, finalement abattus par son père qu’elle tenait pour un lâche, l’année de ses 9 ans, en 1962. Elle disparaît quelques jours après son mariage et Pin-pon refait le parcours qu’elle vient d’accomplir avant un placement en hôpital psychiatrique à Marseille pour psychose. On l’a retrouvée errant sur la plage après être allée à Avignon. Pin-pon qui va enquêter et tuer à son tour, et se tromper comme elle.

Un récit très structuré et une intrigue particulièrement bien imaginée. Un récit choral où chaque personnage a sa partie : Pin-pon (au début et à la fin), Elle (Éliane, la fille), sa mère appelée Eva Braun pour son accent et la vieille tante sourde de la famille de Pin-pon. Une famille bien décrite de français moyens avec la mère acariâtre, sa sœur qui donne l’impression de délirer mais qui voit clair et les deux frères : Mickey, un coureur cycliste amateur et Bou-bou, un gamin passionné de science-fiction. Plus des tas de personnages annexes dont cette Calamité, ancienne institutrice d’Éliane et amoureuse d’elle malgré la haine qu’elle lui a toujours inspirée.

Bref, c’est du solide, du costaud et du roboratif. Japrisot n’est pas un styliste, mais il sait faire parler ses personnages comme dans la vie, avec des expressions populaires, des petites blagues et des discours fatalistes. C’est de la littérature populaire, mais de la bonne, celle des bons faiseurs, les Simenon, Le Breton, Simonin pour rester dans le polar et, dans un genre différent, les Robert Merle, Pierre Boulle ou René Barjavel.

Le roman date de 1977, à une époque où la littérature populaire policière donnait encore des œuvres de cette qualité. Loin, très loin des Lévy, Musso et Bussi actuels. On s’en doute.

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