Le site de Didier Delinotte se charge

MONDIAL 2022 (1) : QATAR, TRÈS TARD EN SAISON

Le logo de la coupe du monde 2022. On ne sait pas trop ce que ça représente. Si vous le savez, écrivez-nous. On se sentira moins bête. Photo Wikipedia.

Même si on en a déjà parlé, on revient sur cette calamiteuse coupe du monde dans un pays sans tradition footballistique qui peut se prévaloir d’un bilan écologique et social désastreux. On reviendra la prochaine fois sur les aspects footballistiques, même s’ils paraissent un peu secondaires dans ce contexte. Avant un bilan final qui fera l’objet d’un troisième volet. En attendant, on en remet une couche sur cette véritable aberration résultant d’une décision scandaleuse où on trouve les noms de Sepp Blatter, du cheikh Tamim Ben Hamad Al Thani (émir du Qatar), de Nicolas Sarkozy et de Michel Platini. La dream team !

Depuis quelques semaines, le quotidien L’Humanité consacre une rubrique aux mort d’accidents de travail au Qatar, pour répondre au ministre quatari du travail qui avait eu le culot de nier ces morts et de n’en concéder qu’une dizaine. « Qui sont-ils ?», avait demandé le sinistre, et un début de réponse lui est donné. Une excellente initiative. Le Guardian en recensait 6500, un chiffre certainement exagéré basé sur les non retours de salariés des chantiers de la Coupe du monde collectés dans tous les consulats concernés, du Moyen-Orient jusqu’en Afrique du Nord en passant par l’Asie. On peut néanmoins écrire sans certitude que le chiffre doit avoisiner les 5000, ce qui est déjà énorme. 5000 morts d’insolations, de brutalités, de déshydratation et de malaises dus à la pression sur les chantiers semblables aux pyramides de jadis, soit l’édification de stades géants où doivent se jouer les matchs, à Doha, la capitale, et dans les quelques villes-champignons alentour. Un projet démentiel qu’on doit aux personnalités citées ci-dessus.

L’émission de France 2 Complément d’enquête et des dossiers de presse (notamment celui de Politis) nous en disent plus sur ce qui a sous-tendu le choix du Qatar comme organisateur de cette Coupe du monde. Le pays, concurrencé par les États-Unis, n’avait aucune expérience à ce niveau et surtout aucune culture footballistique, contrairement aux Émirats Arabes Unis ou à l’Arabie Saoudite où existent des championnats de haut niveau, avec des joueurs en fin de carrière ayant évolué dans les championnats les plus prestigieux d’Europe. Rien de tout cela au Qatar, où on part de zéro et où il s’agit surtout d’attirer l’attention internationale sur un petit pays qui se veut un état stratégique de par ses ressources pétrolières et ses accointances diplomatiques avec les grands d’Europe et d’ailleurs. N’oublions pas que l’un des sommets de l’OMC, en 2001, s’est déroulé à Doha et que la chaîne de télévision Al Jazeera émet depuis le Qatar, émirat détesté par les autres monarchies pétrolières essentiellement en raison de sa complaisance avec l’Iran chiite, dans un environnement régional sunnite ou wahhabite.

Il faut remonter aux temps de la Sarkozie triomphante, soit au début des années 2010. C’est en 2010 que l’émir du Qatar et ses affidés ont l’intention de racheter le Paris Saint-Germain Football Club, un club endetté et qui connaît des performances moyennes en dépit des vedettes alignées toutes les semaines au Parc des Princes. En 2011, le PSG termine quatrième, loin derrière Lille, Marseille et Lyon, le trio de tête, et perd la finale de la Coupe contre le LOSC, lui offrant un doublé coupe et championnat qu’il rêverait d’obtenir.

Sarkozy est un supporter du PSG et il ne s’en est jamais caché. Il s’est mis d’accord avec les dirigeants de l’époque pour faire place nette aux qataris qui mettent des sommes colossales au tapis et vont faire du PSG l’équipe dominant le championnat de France de la tête et des épaules, compétitive au niveau européen. Sarkozy est aussi un grand admirateur de Michel Platini, l’idole de sa jeunesse. Ils sont tous les deux nés la même année (1955) et l’ascension politique de Sarkozy au sein du RPR puis à l’UMP a correspondu à la montée en puissance de Michel Platini, de Nancy à la Juventus de Turin en passant par Saint-Étienne. Michel Platini est le patron de l’UEFA et à même de faire pencher la balance au cas où le choix s’avérerait difficile, mais il lui faut convaincre Blatter et faire jouer des relations cultivées depuis des années dans le football international dont il reste l’une des figures de proue.

Sarkozy profite de sa relation d’amitié avec Platini pour pousser les pions du Qatar, en concurrence avec les États-Unis pour l’organisation du Mondial 2022. Platini n’est pas chaud et Blatter est plutôt pour un tournoi aux États-Unis, rémunérateur en terme de sponsoring, de billetterie et de puissance médiatique. Platini fait tout de suite valoir les inconvénients d’une coupe du monde au Qatar et de l’impossibilité de jouer l’été, saison où se déroule ce type de compétitions. Les Al Thani et Sarkozy ont prévu l’objection, et on pourrait adapter les calendriers nationaux en laissant un trou de la mi-novembre à la mi-décembre, ce qui correspondrait à la trêve hivernale. Pour le reste, les budgets sont illimités et il est question de contrats de ventes d’arme qui seraient favorisés par l’attribution de la coupe du monde aux Qataris. C’est en tout cas la thèse défendue par l’émission de France 2.

Platini se laisse convaincre, mais Blatter reste sceptique et il ne se laissera faire qu’après une réunion avec les principaux protagonistes : Platini et Sarkozy bien sûr, mais aussi Al Thani, le 23 novembre 2010. L’affaire est entendue, et Blatter est toujours entendu par la justice et le Parquet national financier pour un pacte de corruption auquel il aurait souscrit avant de donner sa bénédiction pour le Qatar, à la grande satisfaction de Sarkozy. Il se défend encore depuis Zurich, chargeant Platini et disant à qui veut l’entendre que le Qatar peut remercier la France. Certes.

Mais Blatter avait fini par se ranger aux désirs du trio, moyennant finance on peut le penser. Il s’était en tout cas résolu à ne pas faire de contrepoids au lobbying de Platini, retournant un à un les représentants de tous les continents, jusqu’à obtenir l’attribution du Mondial au Qatar, en 2012.

Les États-Unis, qui s’ouvrent à nouveau au Soccer après l’échec des années 1970 – 1980, sont vent debout contre cette décision entachée d’irrégularité, mais les jeux sont faits et Blatter s’en lave les mains. Le monde sportif parle unanimement d’aberration et de choix incompréhensible ; quelques pseudo-humanistes plaidant pour le Qatar et contre le monopole des grands pays de football. Tel Jacques Vendroux, journaliste sportif bien connu du P.A.F actif lui aussi à la manœuvre qui explique à qui veut l’entendre que ceux critiquant l’attribution de la coupe au Qatar sont les mêmes que ceux qui s’opposent à la mondialisation du football, comprendre à son expansion sans limites. De la vieille Europe à l’Amérique du sud en passant par l’Afrique, l’Amérique du Nord et l’Asie. Pour un peu, le discours serait de tenter de prouver que ce choix relève de l’humanisme, voire du tiers-mondisme et de la critique d’un occident arrogant et dominateur.

À l’heure des jeux, maintenant que les sélections sont constituées et que les pays s’apprêtent à s’affronter, beaucoup commencent à s’en mordre les doigts. Si Blatter exprime maintenant son scepticisme sur la réussite de la compétition, on parle de plus en plus de boycott pour un bilan social et écologique désastreux et pour faire briller les feux d’un émirat où règnent la corruption et la répression s’exerçant à l’égard des minorités religieuses et des opposants politiques, des femmes et des homosexuels, le tout sous les yeux enamourés de la France, la première à dénoncer les dérives « islamo-gauchistes » et le terrorisme islamique mais la première aussi à trouver des vertus aux monarchies pétrolières autocratiques, surtout lorsqu’on peut leur vendre des armes et toutes sortes de technologies militaires.

Un boycott ? Soyons réalistes, les affaires sont lancées et il sera impossible d’en inverser le cours. Une vague de protestation s’était déjà élevée, en 1978, contre la tenue du Mondial dans une Argentine alors sous le joug d’une des dictatures les plus sanguinaires d’Amérique latine, celle de Jorge Videla, du plan Condor et des escadrons de la mort. Maurice Clavel, Michel Foucault, Sartre et tout ce que le pays comptait alors de nouveaux philosophes s’était fendue de tribunes et de pétitions pour qu’au moins l’équipe nationale n’aille pas en Argentine. Ce fut peine perdue et tous ces vibrants appels ont été lancés dans un désert d’indifférence.

Après le relatif échec d’un collectif français contre les Jeux Olympiques parisiens de 2024, les consciences et les belles âmes n’ont pas cru bon de renouveler ce genre de mobilisation vouée à l’échec. Même si on peut lire ça et là des appels au boycott, des actions hostiles au Qatar et des tribunes indignées, le gros des troupes suit sur l’air de « y vont quand même pas nous gâcher notre belle coupe du monde qui n’a lieu que tous les 4 ans ».

On verra les silhouettes élégantes de Nicolas Sarkozy et de Michel Platini dans les tribunes d’honneur, avec les sbires de Al Thani qui leur serviront le champagne. On verra surtout un monde du football devenu une ploutocratie délétère hyper-médiatisée. Le pire du capitalisme.

Pour la première fois depuis ma première coupe du monde à la télé en 1962, je ne regarderai pas.

11 novembre 2022

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Catégories

Tags

Share it on your social network:

Or you can just copy and share this url
Posts en lien