Le site de Didier Delinotte se charge

GILLES PERRAULT : UN HOMME À PART

Gilles Perrault sans pull-over et sans orchestre (rouges). Photo wikipedia

Journaliste, historien, essayiste et romancier, Gilles Perrault est mort cet été. Je garde de lui le souvenir d’un homme engagé croisé lorsqu’il soutenait les 7 de Lezennes, ces postiers syndicalistes réprimés. Perrault aura été un brillant essayiste, qu’il traitât de Henri Curiel, de Hassan II, de Ranucci ou de Leopold Trepper. Retiré dans sa Normandie d’adoption, il n’avait plus rien publié depuis longtemps. Une conscience et un intellectuel courageux, qui a dû pourtant subir la haine et la vindicte des roquets de l’ultra-gauche. Quelques balises d’un parcours exemplaire.

Parlerait-on de Gilles Perrault dans ce blog s’il n’avait été, tardivement, un soutien au mouvement social et, pour tout dire, une conscience de cette fin du XX° siècle, sur tous les fronts de lutte.

Dans le Nord, on connaît Gilles Perrault pour son soutien aux 7 de Lézennes, ces postiers d’un grand centre de tri de la banlieue lilloise criminalisés pour faits de grève requalifiés en séquestration. C’était en décembre 1990 et l’affaire allait faire grand bruit.

Les grèves à Lézennes étant rituelles en période de fin d’année, la CFDT, cette année-là, avait décidé la reprise, laissant les syndicalistes de Sud, alors un petit syndicat non représentatif, seul face à la direction. D’où les sanctions lourdes qui s’en sont suivies avec des demandes de révocation, ce qui ne s’était pas vu depuis les années 1950.

Un livre fait état de cette lutte finalement victorieuse, même si les camarades y ont laissé des plumes, mutés et barrés dans leurs carrières. Il a pour titre L’acharnement, acharnement dont a fait preuve la direction de La Poste qui voulait faire coup double : briser une grève en faisant des exemples et casser l’essor d’un syndicat offensif – SUD PTT – en sanctionnant ses principales figures.

J’ai le souvenir d’un Perrault intervenant à Lille, souvent accompagné de Mgr Gaillot, de Léon Schwarzenberg et de Albert Jacquard ; toutes ces personnalités venues là à l’appel de la LDH. Les interventions de Perrault étaient les plus claires mais aussi les plus éloquentes et les plus lyriques. On avait à faire à un tribun, au service du peuple. Rien que pour ça, le personnage fascinait, mais le bonhomme était beaucoup plus qu’un porte-parole des opprimés.

Né Jacques Peyroles à Paris en 1931, il fait de brillantes études à l’Institut d’études politiques avant de s’orienter vers une carrière d’avocat. À peine s’est-il familiarisé avec le barreau qu’il part faire son service militaire en Algérie, après la guerre, dans les parachutistes. Ce sera le premier chef d’inculpation des gauchistes qui lui chercheront noise.

Il y en aura d’autres. Sous divers pseudonymes, Peyroles devenu Perrault publie des romans policiers, la plupart chez Fleuve noir, l’éditeur de notre San Antonio national. Ses talents de plume le font remarquer par Pierre Lazareff, pape du journalisme à l’époque, qui le recrute pour un hebdomadaire, Le nouveau candide, censé concurrencer l’Express et France Observateur, jugés trop anti-gaullistes. Perrault côtoie dans cette rédaction le réactionnaire atrabilaire Jean Dutourd, futur académicien et éternel anar de droite, ou encore l’ultra catholique André Frossard, qui fera plus tard « cavalier seul » au Point. Loin de ses ambitions, l’hebdomadaire disparaîtra dans l’indifférence générale, en 1967.

Des débuts plutôt marqués à droite, donc, mais Perrault, contrairement à beaucoup de ses contemporains, commencera à droite pour finir à l’extrême-gauche. D’habitude, c’est plutôt l’inverse, du col Mao au Rotary, selon la formule de Guy Hocquengheim. Le chœur des gauchistes lui reprochera toujours ce passé ambigu, allant jusqu’à lui faire un procès en antisémitisme.

Après ces débuts dans le journalisme, Perrault va prendre sa pleine dimension d’essayiste et d’enquêteur. Il a déjà réalisé des travaux d’historien sur le débarquement et sur la seconde guerre mondiale, et il publie, en 1967, L’orchestre rouge sur un réseau d’espionnage clandestin (pléonasme?) qui combattra le nazisme avec à sa tête un certain Leopold Trepper.

S’en suivront une série de d’essais et de documents dont les plus célèbres seront, dans l’ordre, Le pull-over rouge, Notre ami le roi et Un homme à part. Trois essais rigoureux et documentés qui vont marquer les dernières décennies du siècle.

Tout d’abord Le pull-over rouge, sur l’affaire Ranucci, condamné à mort pour le meurtre d’un adolescent. Perrault mène la contre-enquête et dénonce les insuffisances de l’enquête policière. L’animateur Philippe Alfonsi l’invite sur Europe 1 où Perrault parle de forfaiture, s’attirant les foudres de la corporation et des syndicats de police. Il n’empêche, la contre-enquête est crédible et laisse en tout cas planer le doute. Robert Badinter s’en souviendra quand il s’agira de proposer d’abolir la peine de mort.

Notre ami le roi, encore plus politique, est un document à charge contre Hassan II, son régime, sa police et ses services secrets, ce qu’on appelle le Makhzen, ou l’appareil étatique marocain. Les dessous d’une politique sanguinaire et brutale où les opposants ne font pas long feu et où le peuple a tout intérêt à se taire. Perrault s’indigne des rapports cordiaux que le roi du Maroc et sa cour entretiennent avec la France, tous régimes confondus. On lui en voudra d’avoir dénoncé une complicité qui a connu ses grandes heures avec les Ben Barka ou les Oufkir.

En 1980, Perrault, déjà auteur de plusieurs scenarii, travaille avec Michel Deville pour son film Le dossier 51, l’un des plus grands films d’auteur français où on voit les services secrets établir un dossier complet sur un citoyen lambda soupçonné, sans la moindre preuve, d’espionnage. Un cauchemar paranoïaque implacable qui a marqué des générations de cinéphiles.

Henri Curiel était un Égyptien né d’une famille bourgeoise devenu militant tiers-mondiste, porteur de valise pendant la guerre d’Algérie. Curiel assassiné, comme Pierre Goldman, par un groupe auto-baptisé Honneur de la police. Là encore, Perrault décortique l’affaire et remonte les pistes jusqu’aux services secrets israéliens et aux militaires algériens, les uns avec l’aval des États-Unis, les autres encouragés par l’URSS. Un cas d’école de la géo-politique à travers l’impérialisme des grandes puissances et leurs vassaux.

Des auteurs de polar comme Didier Daenynckx, Jean-François Vilar ou Serge Quadruppani feront à Perrault un procès en sorcellerie, débusquant la moindre erreur factuelle de ses livres pour en faire un plagiaire ou un bidonneur, presque un imposteur. On lui reprochera son passé de parachutiste, ses piges dans la presse de droite et un antisémitisme dont il se défendra toujours avec énergie.

C’est dans les années 1990 que Perrault prend sa dimension d’homme public. Il donne de son énergie et de son temps pour défendre toutes les causes qui lui tiennent à cœur, travaillant aussi bien avec les comités de Sans-papiers, le DAL, les chômeurs, les taulards et les victimes du rouleau compresseur capitaliste. Il fait partie, avec les personnalités citées en début de cet article, des consciences politiques et sociales d’un pays qui, avec Chirac et Pasqua, s’enfonce dans la nuit sécuritaire et anti-sociale. Il devient également un habitué des colonnes du Monde Diplomatique qui apprécie ses talents de pamphlétaire.

« Je suis désormais inscrit à l’ANPE de la militance », écrira-t-il, lui qui aura été une figure pacifiste pendant la guerre du Golfe, qui aura dénoncé Papon, combattu le Front National et aura été à l’origine de Ras L’Front. En 1997, il sera président des amis de l’Humanité et militera pour la libération des prisonniers ex Action Directe. On connaît moins son combat pour la libéralisation de l’euthanasie et le droit de mourir dans la dignité.

Perrault sera blessé de devoir faire face à d’incessantes attaques menées par des chevaliers rouges désireux de se faire une personnalité de plus en plus médiatisée. On veut en faire un imposteur et un démagogue, et l’essayiste en viendra à des sujets plus légers. Des romans où éclatent ses talents d’écrivain, comme Le garçon aux yeux gris, qui deviendra un film d’André Téchiné sous le titre Les égarés. Car Perrault est aussi un écrivain sensible et inspiré, en plus d’être un essayiste rigoureux. En tout cas, il se réfugie dans sa Normandie d’adoption et cesse de publier.

Il y est décédé le 3 août 2023, loin du tumulte de la politique et loin de tous ceux qui ont tenté de le déshonorer. Pour plusieurs générations de militants, Gilles Perrault restera un phare, une conscience, un exemple, et on retiendra autant ses talents de plume et sa rigueur journalistique que ses qualités de tribun.

Des gens comme lui laissent un vide immense car ils auront fait partie des rares intellectuels et universitaires capables de s’engager et de mener des campagnes militantes. En tout cas, dans les syndicats SUD PTT et plus généralement à Solidaires, on ne l’oubliera pas.

30 août 2023

Comments:

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Catégories

Tags

Share it on your social network:

Or you can just copy and share this url
Posts en lien