William Kentridge au LAM de Villeneuve d’Ascq jusqu’au 3 décembre 2020
Je ne savais rien du plasticien William Kentridge, avant qu’une amie ne m’en parle et ne me recommande l’exposition dont il sera ici question.
Kentridge est un sud-africain né en 1955 à Johannesburg, et il est le fils d’un couple d’avocats engagés dans la lutte anti-apartheid. La famille, et ce n’est pas anodin, a de lointaines origines juives ; lituaniens ayant fui les pogroms d’Europe.
Son premier souvenir remonte au massacre de Shaperville en 1960, soit, pour rappel, la répression à balles réelles d’une manifestation anti-apartheid qui va se solder par le lourd bilan de 69 morts. On comprend bien que l’univers de l’artiste va inclure l’horreur et l’abjection d’une société profondément inégalitaire où une caste de riches blancs défendent leurs intérêts – et leur pouvoir – à coup de tortures, de terreur et d’exécutions.
Mais cet univers se fait de plus en plus métaphorique au fil de l’évolution de l’artiste. On parle souvent à tort d’art total, mais l’expression – ou le genre artistique – trouve tout son sens avec Kentridge.
Son expression picturale a tout à voir avec l’expressionnisme, celui d’un George Grosz ou d’un Otto Dix. Des visages hallucinés comme figés dans des visions d’horreur, des cris picturaux au-delà de la souffrance. Mais on pourrait aussi parler de constructivisme russe dans ce qu’il propose par la suite, comme de Dadaïsme avec une volonté, sinon de choquer, d’en appeler désespérément à la conscience du monde en lui montrant une réalité en tous points insupportable.
On peut ensuite parler d’art total quand on voit le bonhomme aussi à l’aise dans la peinture que dans l’architecture, la musique, le cinéma, la vidéo, le théâtre, le mime, le dessin, la sculpture… Ce qui s’appelle faire feu de tout bois, et on n’a pas ici à faire à un touche-à-tout, fût-il de génie. Non, tout est dans l’urgence et la nécessité d’exprimer, de montrer, de dire avec par exemple cet Ubu omniprésent symbolisant le mal fait par les puissants et les oppresseurs, autant pour satisfaire à leurs appétits de destruction et de puissance que pour s’amuser ou se distraire dans un hubris monstrueux.
Kentridge dessinateur est fascinant, avec ces taches d’encre mouvantes dont les formes peuvent aller de la mygale au texte imprimé d’un livre en passant par une chevelure humaine. Il y a de la magie en lui, du Méliès avant que le cinéma ne devienne trop bavard. Et puis il faut le voir en action, comme sur scène, en personnage de bourgeois occidental dévidant les fils de l’absurde dans des mises en scène désopilantes. On a même droit à une performance avec un discours de Trotsky – le vieux – prononcé lors de son exil d’Istanbul, et dans un français impeccable s’il vous plaît, sur les tentations du gauchisme et du centrisme (au sein de la Gauche, la vraie, incarnée par lui et ses premiers partisans).
Kentridge n’a jamais cru aux processus politiques de type « vérité et réconciliation » en Afrique du Sud, mais ce genre de supercherie – ou du moins c’est ainsi qu’il semble les considérer – a aussi essaimé au Rwanda, en Argentine, au Chili et ailleurs. L’individu profondément moral que son œuvre laisse deviner ne saurait se contenter de ces psychothérapies collectives, fussent-elles à l’échelon national et dans les bons sentiments. Pour lui, le mal ne saurait se diluer dans la parole et les oppresseurs doivent payer, d’une façon ou d’une autre. La responsabilité de l’artiste est aussi de demander des comptes à la société et on n’est pas ici chez les poseurs et les fumistes de l’art contemporain. Un artiste très politique, on l’avait compris.
Kentridge : il va me falloir ranger un nouveau nom propre dans ma mémoire encombrée, mais je lui ferai une place de choix car l’artiste comme l’homme le méritent.
Pour prolonger les impressions/expressions de Kentridge vous trouverez les romans percutants d’André Brink et l’edifiante autobiographie de Mandela à la librairie de ce Musée dqui me fit découvrir avec mon épouse et mes enfants l’Art Moderne et Contemporain ….