Peut-être encore plus qu’au Brésil, la football est une religion en Argentine et la ferveur qu’il suscite prend une dimension quasi mystique. Buenos Aires peut être considérée comme la capitale mondiale du football ; chaque quartier, chaque banlieue n’attendant que le moment d’en découdre avec le club voisin. Des écrivains comme Borges, Sabato ou Bioy Casares ont tous évoqué cette ferveur, parfois pour s’en moquer et la condamner pour ses penchants chauvins et nationalistes encouragés par toutes les dictatures, mais toujours en respectant une passion populaire que tout humaniste doit essayer de comprendre. 6 clubs de Buenos Aires donc, les plus capés et les plus connus parmi une kyrielle d’autres.
6 clubs : Argentinos Juniors, Boca Juniors, River Plate, Independiente, le Racing et San Lorenzo. Dommage de passer sous silence des clubs méritants et valeureux comme le Velez Sarsfield, l’Atletico Huracan ou le Ferrocarril Oeste, mais il fallait bien faire un choix. On en touchera un mot en fin d’article.
Argentinos Juniors est surtout connu pour avoir vu débuter Diego Armando Maradona, le prodige du foot mondial récemment décédé. Les rouges d’Argentinos n’ont pas le palmarès fourni de ses rivaux de la capitale, les quelques lignes inscrites par le club l’ont été au milieu des années 80 et, avec Maradona, le club s’est classé deuxième du championnat en 1980. On retiendra une victoire en copa libertadores (à l’échelon du sous-continent) en 1985 et une coupe intercontinentale remportée l’année suivante aux dépens de la Juventus de Platini. Pas si mal.
Les couleurs rouges du club ne sont pas dues au hasard, car ce club du quartier populaire de Villa Crespo a été fondé par des socialistes et des anarchistes, baptisé au départ Los Martires de Chicago en souvenir des syndicalistes assassinés. L’appellation change rapidement pour devenir l’Association Athlétique Argentinos Juniors afin de souligner sa vocation de club de jeunes, avec un centre de formation régulièrement pillé par les grosses cylindrées de la capitale.
Parmi les joueurs qui ont fait leurs premières armes chez les Juniors, on peut citer Riquelme, Redondo, Borghi, Battista ou Sorin, la plupart ayant joué chez les grands d’Espagne. Les mêmes Borghi et Battista qui deviendront les entraîneurs les plus célèbres, avec l’ex Marseillais et Parisien Gabriel Heinze. Viva los rojas !
Une autre dimension avec les jaunes et bleus de Boca Juniors, les locataires de la Bombonera (boîte à bonbons), lieu de pèlerinage du quartier populaire de La Boca ; le Juniors étant ajouté en référence aux racines britanniques du football. C’est le club le plus populaire de Buenos Aires, avec River Plate, et les derbys entre les deux ténors du championnat argentin sont réputés pour leur ferveur et leur violence. Le palmarès du club est impressionnant avec, tout au long de son histoire, 34 titres de champion et 3 coupes d’Argentine, plus 5 Copa libertadores et 3 coupes intercontinentales.
Ce sont des immigrés italiens qui ont fondé le club, les joueurs étant toujours baptisés du nom des « génois » (los Xeneizes). L’une des périodes les plus fastes du club est celle où Carlos Bianchi, le goleador rémois, entraîne le club, de 1998 à 2004. D’autres entraîneurs prestigieux l’ont aussi emmené vers les sommets, tels La Volpe, le divin chauve Di Stefano, Menotti ou Pastoriza. Parmi les joueurs, il faut reparler de Diego Maradona qui, après Argentinos, rejoint Boca pour une victoire en championnat (1981) avant de partir pour le Barça et Naples. Autres joueurs illustres, le même Riquelme, passé lui aussi par Argentinos, Rattin, la terreur des anglais durant la World Cup 1966, celui qui défiait la reine en tribune d’honneur depuis le terrain de Wembley, et Marzolini, joueur avant d’être entraîneur. Dans l’effectif actuel, un vieux cheval de retour (37 ans), Carlos Tevez, retour de Chine après Man U et la Juve, et l’ex de Benfica et Interiste Lisandro Lopez.
Le club n’a plus le lustre d’antan, mais la Boca est toujours grande ouverte pour tout avaler.
Autres rouges et blancs (blanc barré de rouge et short noir), River Plate, basé au nord de la capitale dans le quartier de Belgrano où le club évolue dans le stade dit « el monumental », d’une contenance de 60.000 places. River Plate a toujours été considéré comme le club de la bourgeoisie, ce qui explique cette rivalité centenaire plus qu’inamicale avec le club populaire de Boca. Les supporters de River appellent d’ailleurs ceux de l’équipe adverse « les bouseux » tout au long des « super classicos » prenant l’allure de combats à mort. River Plate pour Rio de la Plata, le chantier de construction du port où travaillaient les marins ayant fondé le club. Un club au palmarès impressionnant lui aussi, avec le record des victoires en championnat (36), 3 coupes, 4 Copa Libertadores et une coupe intercontinentale en 1986.
Le club a compté dans ses rangs des légendes du football comme Alfredo Di Stefano, futur madrilène, ou Omar Sivori, grand nom de la Juventus et, dans la période plus récente, des dizaines d’internationaux parmi lesquels Passarella, Battistuta dit Battigoal, Ruggeri, Crespo, Saviola, Higuain ou Ayala. Plus l’Uruguayen Enzo Francescoli et un petit français du nom de David Trezeguet, venu rejoindre le club de ses ancêtres après la carrière que l’on sait. Sans conteste l’effectif le plus huppé du championnat argentin.
L’entraîneur actuel, Gallardo, est un autre de ces glorieux internationaux de l’Albiceste et il a eu de glorieux prédécesseurs comme le Brésilien Didi, Passarella, Gallego ou Diego Simeone maintenant à l’Atletico Madrid. On trouvera peu de joueurs connus dans l’effectif actuel, la plupart ex joueurs du championnat espagnol revenus au pays en conquistadors. Ce qui n’empêche pas « Los Millonarios » (pour ses transferts aux montants somptuaires) de toujours se classer dans le trio de tête du championnat. Une vieille habitude.
Une habitude qu’avait aussi l’Independiente, tout de rouge vêtu. C’est un club de lointaine banlieue, Avellaneda, mais il n’en est pas moins considéré comme l’un des grands clubs de Buenos Aires. Los diablos rojos (diables rouges) sont le troisième club argentin côté palmarès, juste derrière River et Boca. Un bilan largement positif : 16 championnats, 2 coupes mais, surtout, 7 copa libertadores et 2 coupes intercontinentales en 1973 et 1984 (trois fois finalistes). On peut dire que, du milieu des années 60 au début des années 80, l’Independiente a été la plus grande équipe d’Amérique latine avec les Brésiliens de Santos et les Uruguayens de Penarol.
Même si le club, entraîné autrefois par l’ex international Americano Gallego et à présent par Lucas Pusineri, a quelque peu levé le pied ses dernières années, il a compté dans ses rangs des joueurs comme Balbuena (récemment décédé), Omar Pastoriza, Daniel Bertoni, Jorge Burruchaga ou Enzo Trossero. Plus récemment, les Milito, Cambiasso, Forlan ou Aguero avant son exil mancunien. Pas de vedettes mondialement connues dans l’effectif actuel pour une équipe dont l’heure de gloire est passée. Le C.A Independiente, malgré des entraîneurs capés dans la période moderne (Menotti encore, Burruchaga, Bertoni, Ruggeri ou Oswaldo Piazza) n’est plus qu’un club légendaire dont les titres se font de plus en plus rares. En attendant une ultime renaissance ?
Il en va de même pour le Racing, qui a connu des jours meilleurs. Leur maillot est le même que l’équipe nationale, ciel et blanc rayé verticalement. Le club est lié historiquement au péronisme et son stade a été baptisé du nom de El présidente. Les couleurs du club sont inspirées des français du Racing Club de France comme du drapeau national et le Racing Buenos Aires vient aussi d’Avalleneda, comme son rival de l’Independiente.
C’est l’un des premiers clubs argentins, se revendiquant ouvertement du nationalisme pour concurrencer les Anglais, jusque-là maîtres du ballon rond y compris en Amérique latine.
9 titres de champion de suite entre 1913 et 1921 et des éclipses avant renaissance dans les années 50 et un doublé copa america et intercontinentale en 1967. Après une mise en faillite en 1999, le Racing renaît de ses cendres et remporte deux titres (2014 et 2019) dans la période récente.
Des entraîneurs comme Alfredo Basile ou Diego Simeone (tous deux également anciens joueurs) et des joueurs comme Diego Milito, Ricardo Villa ou le gardien Fillol. Rien de flamboyant dans l’effectif actuel. Il faut dire que le foot argentin a baissé de pied.
À noter pour l’anecdote que « La Academia » du Racing était supportée à la fois par Astor Piazzola et Carlos Gardel. Football samba au Brésil, football tango ici.
Terminons avec San Lorenzo, San Lorenzo de Almagro pour être complet. Comme son rival Huracan, c’est le club du quartier d’Almagro, à la fois supporté par sa sainteté François et l’acteur Viggo Mortensen. L’unanimité. Il faut dire que le club s’est construit à l’ombre des soutanes et sous la protection des églises, avec une dimension patriotique qui fait référence à la bataille de San Lorenzo, capitale pour l’indépendance du pays face aux Espagnols. Los Matadores, c’est leur nom, jouent sous les mêmes couleurs que le Barça, rayé verticalement grenat et bleu marine.
Malgré des débuts professionnels dans les années 30 et un titre de champion, San Lorenzo a connu une longue éclipse avant de revenir dans les années 90, avec plusieurs titres dans la période récente, de 1995 à 2013 (avec une copa libertadores en 2014).
Des entraîneurs comme Carlos Bilardo ou Bora Milutinovic, mais surtout des joueurs comme Lavezzi, Civelli, le Brésilien Silas, les Uruguayens Acosta ou Abreu ou encore le Paraguayen Chilavert. Des joueurs, on le voit, venus de tout le continent. Œcuménique autant que xénophile, le bon San Lorenzo.
Fin du voyage. On aurait pu parler aussi des bleus du Velez Sarsfield de Carlos Bianchi, el goleador, des verts du Ferrocarril Oeste (chemins de fer ouest) d’Angel Marcos ou encore des rouges de l’Atletico Huracan, de Javier Pastore. Mais cet article serait trop long.
« Vivons couronnés de gloire, ou jurons de mourir glorieusement », comme le dit l’hymne national. Ça semble s’appliquer aussi aux clubs de foot.
15 mars 2021