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GIRONDINS DE BORDEAUX: JUSQU’À LA LIE

Alain Giresse sous le maillot marine et blanc des girondins de Bordeaux, son club de toujours

Décidé à ne plus renflouer le club, déficitaire de 80 millions d’Euros, le fond d’investissement (autant dire de pension) américain King Street a retiré ses billes. Il avait succédé à M6 comme principal actionnaire du club après le retrait du groupe GACP, un autre fond U.S. Surendetté, le président Longuépée doit d’urgence trouver un repreneur sous peine de devoir abandonner le monde du foot professionnel dont les Girondins étaient l’un des plus beaux fleurons. Mais il a encore des exigences financières, et le club accumule les défaites depuis deux mois. Tout est donc près pour le scénario catastrophe.

110 ans, cet âge est sans pitié, ou, pour Bordeaux, cépage est sans pitié, comme l’écrivait Blondin parodiant Victor Hugo. Malgré un effectif séduisant et un tandem attaché au club (Jean-Louis Gasset comme entraîneur et Alain Roche comme directeur sportif), Bordeaux enquille les défaites et, même sportivement, son avenir en Ligue 1 n’est plus assuré. D’autant que le marasme économique et le retrait de l’actionnaire principal fait craindre une relégation sportive, financière et administrative dans les bas-fonds du football français, en National 1 dans le meilleur des cas. Plutôt que de se demander comment on en est arrivés là, remontons un peu le temps pour voir à quel point les marines à chevron blanc auront marqué des générations de supporters et simplement d’amateurs.

Sans remonter aux temps héroïques, on va prendre le club tel qu’il était dans les années 60, finaliste des coupes de France 1964 et 1968 et, à la fin de cette décennie, souvent dauphin en championnat de l’AS Saint-Étienne avant de céder la place au rival marseillais. Les Girondins se composaient alors d’une défense de fer avec Montès dans les buts ; Moévi et Chorda comme arrières latéraux, Baudet et Calléja en défense centrale ; Rey et Abossolo en milieu de terrain et une attaque formée de Keita, Couécou, De Bourgoing et Robuschi. Deux ailiers au style diamétralement opposé mais d’une rare efficacité : le Malien Keita, à ne pas confondre avec celui de Saint-Étienne, dribbleur virevoltant et feu follet incontrôlable, et Robuschi, ailier gauche massif et court sur pattes dont les déboulés rapides forçaient les défenses. Au milieu, Didier Couécou, buteur d’un réalisme assassin au physique de mauvais garçon style nouvelle vague. Un football très physique, voire brutal, inspiré du catenaccio italien de l’Inter de Milan de Helenio Herrera. Déjà un grand cru.

Dès les années 70, Bordeaux, malgré l’éclosion de jeunes joueurs de talent comme Giresse, Bergeroo ou Gallice, n’a plus les moyens de suivre un marché des transferts dominé par l’Olympique de Marseille, Saint-Étienne ou, déjà, le PSG. Le club termine régulièrement dans le ventre mou du classement, parfois même à la limite de la zone dangereuse.

La décennie 80 sera celle des Girondins de Bordeaux, sous l’égide de Claude Bez, un expert-comptable ayant fait fortune dans l’immobilier qu’on dit proche du Front National. Les internationaux français se bousculent au stade vélodrome, pas encore le stade Chaban-Delmas : Soler, Girard, Gemmrich, Tigana, Lacombe, Trésor puis Vercruysse, Touré, Ferreri, Domergue… Les jeunes pousses éclosent, comme l’inamovible Alain Giresse, et le portefeuille est grand ouvert pour faire venir des stars internationales, à commencer par l’entraîneur Raymond Goethals, les Allemands Dieter Muller et Klaus Allofs et les jumeaux Vujovic. Aimé Jacquet succède à Goethals et Bordeaux est champion en 1984, 1985 et 1987, année du doublé. Thouvenel, Rohr et le gardien de l’équipe de France Dominique Dropsy viennent renforcer encore la défense avec Léonard Specht et Patrick Battiston, et un milieu de terrain de rêve, un autre carré magique composé de Tigana, Jean Fernandez, Giresse et Girard. Les bombers allemands font le reste et Bordeaux pointe aussi son nez en coupe d’Europe, éliminé par la Juventus de Platini en demi-finales, en 1985 (l’année du Heysel) et, en demi encore, sortis par Lokomotiv Leipzig en coupe des coupes en 1987. Bordeaux au firmament du football européen, mais pas pour longtemps.

La crise se profile avec la mégalomanie et l’autoritarisme de Claude Bez et le début des années 90 voit le club relégué administrativement en deuxième division, avec un déficit, nié par Bez, de l’équivalent de 45 millions d’Euros. Une paille. Bez est poussé à la démission mais il s’accroche comme la moule sur le rocher. Il sera obligé de passer la main et le gros moustachu mourra d’une crise cardiaque en 1999. La triste fin d’un self-made man qui s’est rêvé en Bernard Tapie.

Mais Bordeaux n’est pas mort et réapparaît vite dans l’élite après une saison au purgatoire. Le lunetier Alain Afflelou tient les cordons de la bourse et Rolland Courbis succède à Mémé Jacquet en tant qu’entraîneur. Le club revient décrocher des places d’honneur avec Slavo Muslin et Gernot Rohr qui prennent la suite de Courbis. En 1996, c’est la finale de la coupe de l’UEFA qu’ils perdent avec les honneurs face au Bayern, avec quelques petits nouveaux ayant pour noms Zinedine Zidane, Bixente Lizarazu, Christophe Dugarry ou Ibrahim Ba. Du lourd et du costaud. En demi, ils ont sorti le Milan AC de la grande époque 3 à 0 après une défaite 2-0 à San Siro. Entre temps, M6 et De Tavernost ont pris le commandement à la place d’Alain « il est fou » Afflelou retourné à ses bésicles.

En 1999, c’est un nouveau titre pour les Girondins entraînés cette année-là par Elie Baup, l’homme à la casquette. Zidane part à la Juve, Dugarry chez le rival marseillais, Lizarazu au Bayern et toujours du sang neuf avec les Feindouno, Wiltord, Darcheville ou Micoud. L’Olympique Lyonnais a maintenant pris la place de Marseille et de Bordeaux au sommet du foot hexagonal. Après avoir recruté le Portugais Chalana, en demi-teinte, ils décrochent le gros lot avec Pedro Miguel Pauletta, l’aigle des Açores, qui marque comme qui rigole. Une coupe de la ligue en 2002, mais des classements modestes en championnat. Les grandes cuvées ne sont plus que souvenirs. L’équipe flirte même avec la deuxième division avant de retrouver une place de dauphins de Lyon à l’issue de la saison 2005 – 2006. C’est reparti pour l’Europe et pour une deuxième coupe de la ligue, épreuve qu’ils affectionnent, en 2007. L’Argentin Cavenaghi, le Marocain Chamakh, Vikaj Dhorasoo et le jeune Johan Gourcuff consolent le club du départ de Pauletta pour le PSG.

Et puis c’est le miracle Laurent Blanc, le président, deuxième du championnat, toujours derrière Lyon, en 2008 ; coupe de la ligue, une de plus, l’année suivante où ils remportent aussi un nouveau titre de champion. Le nouveau président (le vrai), Jean-Louis Triaud, exulte et Blanc va bientôt pouvoir partir entraîner la sélection nationale puis le PSG la tête haute. Pas avant d’avoir éliminé, en coupe d’Europe, le Bayern et l’Inter de Milan en 2009-2010 avant de tomber contre le rival lyonnais qu’ils retrouvent en quarts de finale.

La suite est plus compliquée et les grandes heures du club sont passées. Les années Tigana sont un calvaire et les Girondins flirtent encore avec la relégation, malgré la présence d’Alou Diarra ou d’Ulrich Ramé dans les buts. Malgré le limogeage de Tigana et le recrutement dispendieux de quelques cadres (Diabaté, Marange, Plasil, Gouffran), Bordeaux peine à convaincre, malgré une qualification pour l’UEFA en 2012 et une coupe de France remportée aux dépends d’Évian-Thonon l’année suivante. Des résultats en dents de scie et, au final, l’éviction de Francis Gillot au profit de Willy Sagnol. Malgré un groupe ambitieux (Chalmé, Pallois, Khazri, Kamano), Bordeaux termine régulièrement en milieu de tableau et il faut attendre l’arrivée de Jocelyn Gourvennec pour retrouver l’Europe. Otavio ou Cafu ont remplacé les joueurs considérés comme caractériels du genre Thelin, Ménez ou Crivelli, et Costil est maintenant dans les buts.

En 2018, M6 se retire pour résultats insuffisants. Bordeaux vogue sous pavillon américain et c’est parti pour la valse des entraîneurs et le renouvellement à 50 % de l’effectif à chaque intersaison. Les Américains veulent des résultats mais les Girondins finissent les dernières compétitions entre les 12° et 14° place, avec pourtant des joueurs du calibre d’Otavio, Pablo, Koscielny et autres Ben Arfa. François Pinault en appelle aux propriétaires des grands crus bordelais pour mettre la main au portefeuille et quelques entrepreneurs locaux pointent le bout de leur nez, déjà dissuadés par les tarifs exigés par Longuépée, l’homme à abattre des supporters locaux.

Que les gros salaires lèvent le doigt ! Le club va devoir se séparer de la quasi-totalité de son effectif professionnel, quelle que soit la tournure des événements. À moins d’un généreux mécène qui viendra éponger la dette, mais plus personne ne rêve. Les joueurs considérés comme à haut potentiel sont appelés à trouver un nouveau club et la masse salariale doit baisser drastiquement.

C’est aussi la pandémie qui aura donné le coup de grâce, avec billetterie, droits télé et sponsoring en berne. Le foot aura vécu largement au-dessus de ses moyens et il y aura des morts. Bordeaux est le premier d’une longue série et, si les grands clubs ne meurent jamais, ils peuvent être gravement blessés ou malades pour longtemps. Triste cuvée et horrible piquette pour cette année 2021 où les marines et blancs se préparent à vivre quelques saisons en enfer, avant retour en grâce ? C’est en tout cas à espérer tant Bordeaux – mais aussi Nantes et Nîmes eux aussi mal en point – aura laissé de traces chez les nostalgiques d’un football français aux couleurs sépia du passé.

1° mai 2021

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