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LE DÉMANTÈLEMENT D’EDF, TREIZIÈME TRAVAIL D’HERCULE

Hercule en playmobil et en plein travaux

On s’était mobilisés en 2007, alors qu’on annonçait l’ouverture du capital d’EDF – GDF. En fait, un premier pas vers le démantèlement actuel. GDF deviendrait Engie et serait plus tard acoquiné avec Suez pour le gaz, soit une privatisation de fait ; quand la marque EDF resterait pour la commercialisation et que l’on créerait ERDF pour la production. Le tout chapeauté par Enedis qui distribue l’énergie de tous les opérateurs. C’est déjà compliqué mais ça va le devenir encore plus avec ce que nous prépare la Commission européenne, la direction d’EDF, le gouvernement et les sacro-saints marchés. Tentative d’éclairage, si on ose dire.

En 2007, notre comité local d’Attac Roubaix – Tourcoing avait organisé des débats publics autour de la « contre » réforme d’EDF / GDF avec, déjà, la présence d’Anne De Bregeas pour SUD Énergie et des syndicalistes de la CGT. Débats publics menés au plus près des citoyens, dans les centres sociaux et les comités de quartier. En support, nous pouvions compter sur les excellents documentaires de Gilles Balbastre, notamment EDF : les apprentis sorciers. Depuis, Gilles a réalisé un autre documentaire sur l’énergie (Main basse sur l’énergie) coproduit avec les syndicats des Mines et de l’Énergie de la CGT.

C’est d’ailleurs un panorama des effets néfastes et délétères de la privatisation des services publics que Gilles Balbastre a concocté ces 15 dernières années : EDF donc, mais aussi La Poste (La poste, un mauvais pli), l’éducation (Cas d’école), la SNCF et le frais ferroviaire (SNCF une erreur d’aiguillage, Vérités et mensonges sur la SNCF et, plus récemment, Transport de marchandises : changeons d’ère). Il se dit qu’il a en préparation un documentaire sur Orange / France Télécom. Un panorama presque complet donc, ne manque guère que la santé. On ne saluera jamais assez le travail de bénédictin fourni par le documentariste, précis, documenté, pédagogique, drôle et enlevé avec la parole des salariés en témoignage et les contorsions des dirigeants, des économistes dits classiques et des politiques en contrepoint, comme en démonstration permanente de la prédation et de la cupidité des représentants d’un système qui voit dans les services publics une charge pour l’État et dans les statuts des personnels administratifs une aberration économique à laquelle il convient de mettre un terme.

Le credo du marché est l’insécurité des salariés et leur exposition aux risques. Amusant quand on voit les ententes et les connivences au plus haut niveau pour éliminer justement ce satané risque, mauvais pour les affaires.

Alors, aux dernières nouvelles (l’Humanité du 26 avril), Hercule ne s’appellerait plus Hercule mais la « grande EDF », ce qui ne change rien aux projets funestes et antisociaux en préparation. Rappelons que le projet est de scinder EDF en 3 sociétés : une maison mère publique avec le nucléaire (EDF bleu ciel), une régie au statut bâtard, vraisemblablement semi-public, pour l’hydraulique et l’hydroélectrique (EDF Azur) et une société dédiée aux énergies renouvelables (EDF vert), dont le capital serait ouvert aux intérêts privés. La stratégie est à la main de la Commission européenne, avec un Bruno Lemaire qui pousse les feux et Jean-Bernard Lévy, le PDG, qui a pour mission de réussir la transformation.

On ne va pas détailler tout le projet et ses implications (voir à ce sujet l’article de Anne De Bregeas et de David Garcia – Qui veut la mort d’EDF? – dans le Monde Diplomatique de février 2021 ou les nombreux articles de Erwan Manach dans Politis), mais on se contentera de répéter les grandes lignes, les constantes de la privatisation des services publics.

D’abord, la segmentation des marchés : résidentiels, professionnels et entreprises, avec des tarifs adaptés à chaque type de clientèle et la fin programmée des péréquations tarifaires (investissements onéreux pour certains raccordements compensés par les recettes qu’en occasionnent d’autres). Ensuite, la filialisation qui est un élément important de toute privatisation, avec un démantèlement par activité et la mise en concurrence des salariés. Les restructurations ou la séparation entre les activités commerciales, dites « branche clients », et les activités techniques de production, d’exploitation et de maintenance. Ne pas oublier une haute autorité pour jouer les arbitres par définition impartiaux et la réduction du service public à des tarifs « sociaux », des obligations plus ou moins respectées de couverture et de respect de l’égalité des territoires. On voit ce que ça peut donner concrètement avec le haut débit de France Télécom ou la suppression des petites lignes pour la SNCF, par exemple. Enfin, cela ne va pas sans modification des statuts des personnels et des règles de gestion incluant les mobilités, les promotions, les formations, les salaires et primes et le temps de travail.

Il y a aussi les tarifs qui partent généralement à la hausse pour les particuliers, et plutôt à la baisse pour les professionnels et les entreprises. Dans le cas d’EDF, ça se complique avec un prix de vente de l’électricité fixé par l’Autorité Nationale de Régulation de l’Énergie (soit l’ANREH), ce qui permet aux fournisseurs privés d’électricité d’acheter l’énergie à vil prix à EDF et de la revendre avec les bénéfices qui vont bien. C’est ainsi que n’importe quel margoulin peut se bombarder courtier en énergie et se faire du gras sur le dos de l’ex opérateur public. Hein Beigbeder ? (le frère).

Il y a 75 ans, le statut des électriciens et gaziers d’EDF / GDF a été instauré par Marcel Paul, député communiste, dans la foulée du Conseil national de la résistance. Il s’agissait à l’époque de réguler un marché de l’énergie dans le sens du bien public et de l’intérêt général. Car l’électricité a la particularité de ne pas se stocker, ce qui nécessite une intervention forte de l’État à travers le service public. C’est aussi ce qu’on a pu appeler le colbertisme, ou le rôle reconnu de l’État dans l’économie.

Au début de cette année, on a vu les compagnies d’électricité du Texas rehausser leurs tarifs après une catastrophe climatique qui a isolé des villes entières. Aux USA toujours, on se souvient de la faillite d’Enron, l’opérateur privé ayant remplacé la Pacific Gas and Electric, après avoir spéculé sur les cours de l’énergie avec des stratégies de trader et au mépris total du consommateur, finissant par occasionner des black out et des coupures de courant. Des licenciements en masse et les retraites des salariés réduites à néant. Quand l’économie casino s’empare d’un bien public.

Quelle riposte ? Les syndicats sont unanimes pour contester le projet, mais les quelques manifestations organisées contre Hercule et son monde ont jusqu’ici peiné à mobiliser hors de la profession. La CGT fait valoir ses propositions par la bouche de Sébastien Menesplier, secrétaire général de la FNME – CGT : « Nous pensons qu’il faut sortir l’énergie du marché et qu’il faudrait donc créer deux établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC), l’un pour l’électricité et l’autre pour le gaz. Créer de telles structures permettrait de rendre cohérent tout le processus – la production, la distribution, la commercialisation, mais aussi les fonctions support » (L’Humanité ibid). Solidaires Énergie est-il sur la même ligne ? C’est ce que nous dira Anne De Bregeas lors de l’émission Angles d’Attac consacrée à Hercule, le 15 mai prochain sur Radio Campus.

D’autres manifestations sont prévues courant mai dans toute la France, notamment le 11 à Nantes, le 18 à Lyon, le 20 à la centrale de Gardanne et au barrage hydraulique de Pau et le 25 à Flamanville. C’est la dernière ligne – à haute tension – droite et la mobilisation des forces syndicales, des usagers et des mouvements sociaux, avec l’appui des politiques (puisqu’on compte même sur le sujet un certain nombre de députés centristes et de droite qui y sont résolument opposés) sera seule capable de mettre un terme aux spéculations hasardeuses des marchés, et d’un gouvernement français et d’une commission européenne à leur service.

Des pétitions à destination du grand public ont également été mises en ligne, notamment celle à l’initiative de la CGT pour une énergie publique avec déjà 88175 signatures au 29 avril, pour un objectif atteignable de 100000. Pour signer, http://energie-publique.fr

Mais qu’on ne s’y trompe pas, la lutte qui s’est engagée sera rude et, si Bruno Lemaire a acté l’abandon de la dénomination Hercule dans une interview accordée à Ouest France, ce n’est qu’une question d’habillage et le projet est maintenu avec l’ambition d’une consultation du parlement en pleine période estivale, le temps des mauvais coups.

La réforme de l’assurance chômage, celle des retraites, la loi ASAP et le démantèlement total des derniers services publics en réseau font partie de l’arsenal gouvernemental pour rembourser « coûte que coûte » une partie de la dette, sans rien demander, sûrement par timidité, aux grandes fortunes, aux privilégiés, aux GAFA et aux multinationales qui échappent à l’impôt. Ceux-là n’ont rien à craindre du monde d’après que leur prépare Macron et le « plus jamais ça ! » des mouvements sociaux doit être la plateforme unitaire pour leur résister.

29 avril 2021

Émission Angle d’Attac sur le projet Hercule avec Anne De Bregeas (secrétaire Solidaires Énergie). Le samedi 15 mai entre 12 et 13h sur Radio Campus Lille (106.6).

Comments:

Pour moi, l’EDF reste un vieux souvenir de jeunesse, et il ne m’est plus vraiment facile de comprendre les ramifications de ce dont tu parles, mais je te remercie pour me rappeler ainsi les notions du temps et de la distance qui s’agrandissent chaque jour.

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