MAN CITY : LA DREAM TEAM?

Caracolant en tête du championnat anglais depuis de nombreuses années, les Citizens de Manchester City disputent leur première finale de Coupe d’Europe des clubs champions, comme on disait naguère. Champions League, maintenant, avant la Super League ? Longtemps dans l’ombre du rival mancunian Manchester United, le club est maintenant juché sur le toit de l’Europe. La meilleure équipe du monde, à n’en pas douter.

Pour les spécialistes, ce n’était qu’une demi-surprise de voir Manchester City sortir le Paris Saint-Germain (pourtant tombeur du Barça et du Bayern aux tours précédents) en demi-finale de la champions League. Trois buts (un à l’aller et deux au retour) de l’Algérien Mahrez, citizen natif de Sarcelles, passé par Le Havre (en deuxième division) et par Leicester avec qui il a remporté le championnat en 2016, avant la suprématie des ciels et rouges (maillot bleu ciel à liserés rouges pour être précis).

Manchester City a longtemps été le parent pauvre du football mancunian, à l’instar des blues d’Everton pour la ville de Liverpool. Comme le FC Liverpool, les rouges et noirs de Manchester United, club fondé par des catholiques italiens et irlandais, étaient le club phare de la ville, collectionnant les victoires en championnat et en coupe, plus une coupe d’Europe en 1968 avec les Best, Charlton, Stiles et autres Law. Man U a ensuite recruté ce qui se faisait de mieux dans le football européen : les Whiteside, Hughes, Giggs, Robson, Jesper Olsen, Strachan avant les plus récents Giggs, Scholes, Neville ou Beckham, sans parler du King Cantona national immortalisé par Ken Loach. Le club est basé dans la banlieue de Manchester, à Old Trafford, alors que les Citizens évoluent au cœur de la ville, ayant toujours attiré un noyau de supporters issus de la classe ouvrière et majoritairement protestants.

Mais l’heure de gloire de Man U est passé, malgré les renforts des Pogba, Fernandes, Cavani ou Martial ; et c’est le voisin qui a pris la lumière au fil du temps. Une lumière achetée à prix d’or. À l’époque où le Paris Saint-Germain était racheté par les Qataris, Manchester City se donnait à l’Émirat d’Abu Dhabi et à l’homme d’affaires émirati Khaldoon Al Mubarak. Un homme d’affaires avisé qui a su faire entrer dans le fromage des Chinois (China Media Capital) et des Américains (Silver Lake Partners), restés l’un et l’autre à 10 % du capital quand le groupe de Mubarak garde ses 80 %. Une majorité confortable.

Les prolos de City sont donc devenus des nouveaux riches. Comme dans un conte des mille et une nuits, un prince du désert a transformé la citrouille en carrosse, ou l’âne en dromadaire. City n’a plus comme sérieux rivaux en Angleterre que Chelsea (l’adversaire en finale de coupe d’Europe), le Liverpool FC et les Spurs de Tottenham ; les anciens cadors de Manchester Utd et Arsenal se voyant relégués au mieux aux places d’honneur. Que de chemin parcouru !

C’est dans les années 60 et 70 que le club tient son rang avec des joueurs internationaux comme Francis Lee ou Colin Bell (plus l’Écossais Denis Law qui a fait des infidélités à Man U). Une montée en First league en 1963 pour un titre de champion en 1967 – 1968, une coupe d’Angleterre en 1969 et une coupe d’Europe des vainqueurs de coupe en 1970 aux dépens des Polonais du Gornik Zabrze (tombeurs de l’Olympique de Marseille au premier tour). Deux coupes de la ligue en 1974 et 1976, cette dernière gagnée grâce à une superbe talonnade de Law contre le rival honni de Man U. Une Madjer avant la lettre. C’est après que ça se gâte.

De transferts ratés en contre-performances, le club est relégué deux fois dans les années 80, funestes pour lui. Deuxième puis troisième division. La honte pour des Skyblues habitués à rivaliser avec les grands du royaume. Une embellie en 1992 où ils remontent en Premier League, mais le ciel bleu se couvre et City, après une honorable 9° place, se bat pour éviter une relégation qui finit quand même par arriver en 1996, aggravée d’une autre au troisième échelon au terme de la saison 1997-1998. C’est l’averse après une belle éclaircie. Les Citizens sont en passe de se voir rayés de la carte du football professionnel mais un homme providentiel va les tirer des profondeurs où ils sont tombés . Il s’agit de Kevin Keagan, l’ex ailier du Liverpool FC et du Hambourg SV qui fait remonter le club en deuxième, puis première division avec un club beaucoup mieux géré. Le meilleur joueur sans ballon (dixit la presse sportive) de Scunthorpe fait des merveilles, à telle enseigne qu’en 2002, City bat Man U et remporte le derby et l’année suivante, les Citizens renouent avec l’Europe en participant à la coupe de l’UEFA. Inespéré pour un club qui a longtemps végété dans les divisions perdues du foot briton. Qu’on croyait perdu, sans espoir de retour.

Nouveau stade en 2004, le City of Manchester Stadium et nouvel entraîneur avec Stuart Pearce qui succède à Keagan. Des classements décevants et des scénarios qui se répètent : après une première partie de saison intéressante où les Citizens atteignent des places d’honneur, ils ratent la suite et terminent régulièrement vers la 15° place, flirtant avec les positions de relégables qu’ils ont trop longtemps connues.

Ancien entraîneur de l’équipe nationale d’Angleterre, l’équipe aux 3 lions, le Suédois Sven Göran Eriksson prend les choses en main en 2007 avec le Thaïlandais Thaksin Shinawatra comme président. Des résultats en dents de scie et Eriksson est vite menacé de licenciement mais les supporters de City, excédés, se mobilisent pour qu’il reste en place. Pour la première fois, la fronde a triomphé mais Eriksson cédera quand même le banc en 2008 au profit du Gallois Mark Hughes, ex gloire de Manchester Utd comme du Bayern et du Barça. Pas un loser, lui. Un winner.  

C’est durant l’été 2008 que les skyblues passent sous pavillon émirati et Al Mubarak sort le carnet de chèques. Les Citizens se mettent à l’heure italienne, avec d’abord Roberto Mancini puis Manuel Pellegrini sur le banc. Les Italiens étaient jusqu’ici une spécialité de Chelsea avec Vialli et Zola. Après les entraîneurs, des joueurs comme l’Argentin Aguëro, ex Atletico Madrid et meilleur buteur du club, ou le Bosnien Dzeko. Manchester City, comme tous les grands clubs anglais, ira chercher fortune à l’étranger.

Et ça repart. Le retour des riches heures avec une collection de titres (2012, 2014, 2018, 2019 pour un doublé et 2021). Quand ils ne sont pas premiers, les Citizens sont deuxièmes ou troisièmes ou vainqueurs de la cup comme en 2011. L’argent ruisselle, qui permet de recruter des joueurs de classe internationale comme l’Ivoirien Yaya Touré, les remarquables techniciens espagnols Senna et David Silva, les Belges Kompany et Debruyne, les Brésiliens Fernandinho et Jesus. Manchester City se qualifie régulièrement pour les quarts ou les demi-finale de la Champions League, barrés seulement par le Real ou le Barça.

D’autant qu’après le Barça et le Bayern, Pep Guardiola s’en mêle et devient l’entraîneur. Le meilleur tacticien d’Europe amène le club au sommet, avec, en plus, des joueurs nouveaux aux noms prestigieux : les Portugais Bernardo Silva et Joao Cancelo, le Turco-Allemand Ilkay Gurdogan, l’Espagnol Ferran Torrès, plus les jeunes Français Aymeric Laporte (ex Athletico Bilbao) et Benjamin Mendy. À noter, deux ex Monégasques dans l’effectif – Mendy et Bernardo Silva – la seule équipe française à avoir réussi à battre Manchester City en coupe d’Europe. Fernandinho est passé arrière latéral et l’effectif s’est enrichi d’un gardien brésilien exceptionnel du nom de Ederson Moraes. Quand on a longtemps dit que le point faible des sélections nationales brésiliennes était le poste de gardien de but…

Plus quelques anglais quand même, après tout, on est en Angleterre : Walker et Stones en défense, et le buteur Raheem Sterling parmi les plus connus. Il y avait aussi ce gardien de but aux fortunes diverses du nom de Joe Hart, ses contre-performances et buts casquette encaissés ne l’empêchant pas de figurer en équipe nationale.

Peut-être pas la dream team, mais le meilleur amalgame possible entre joueurs surdoués, le tout chapeauté par le plus grand entraîneur du monde, sans conteste. On saura le 29 mai si Manchester City va enfin remporter une Champions League. Ils tournent autour depuis tant d’années que ça devrait le faire cette année, mais je suis très mauvais pronostiqueur.

Manchester City est actuellement 6° au classement des clubs à l’indice UEFA. Avant une récente défaite en championnat, le club n’avait pas perdu depuis plus d’un an. Seul le Bayern de Munich serait capable actuellement de rivaliser avec eux. Mais les skyblues ont ceci de particulier qu’ils jouent un football de rêve, un football d’attaque, à la fois offensif, physique et technique. Et très tactique, avec un Guardiola qui veille au grain et les empêche de céder à la facilité, ou à l’euphorie. Rarement une équipe en Europe a été aussi séduisante, et il faut remonter au grand Real des débuts de la compétition, à l’Ajax Amsterdam des années 70 ou au Milan AC des années 90 pour voir un football aussi chatoyant. Alors, une équipe de rêve ? Au moins une équipe qui fait rêver. La revanche des méprisés de la glorieuse cité de Manchester, cité des Hollies, des Buzzcocks, des Smiths et de Joy Division. Et de la famille Fosdyke, de Bill Tidy qui, comme chacun sait, s’est enrichie par la tripe et l’opiniâtreté de ses membres. Ô Madchester.

15 mai 2021