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SWEET GENE VINCENT

Le couronnement de Elvis Presley vu par Guy Peelaert. On remarquera l’absence de Gene Vincent, excusé, en même temps que Jerry Lee, Buddy Holly, Chuck Berry, Little Richard et Bo Diddley. Ça fait beaucoup… Seul Cochran est présent, au milieu des roitelets.

« Sweet Gene Vincent », c’est ainsi que le chanteur anglais Ian Dury lui rendait hommage dans les années 70. 1971 n’a pas été qu’un millésime funeste pour Jim Morrison, l’année a aussi vu disparaître Eugene Vincent Craddock, en octobre. Les blousons noirs parisiens l’avaient surnommé affectueusement Gégène, comme les loubards appelleront Lou Reed Loulou. Histoire tortueuse d’un marin vétéran de la guerre de Corée devenu une idole du rock’n’roll avant de sombrer dans l’oubli, l’alcool et le bouddhisme zen. Martyr cuirophile au romantisme noir et à la casquette bleue.

Déjà, sa date de naissance est douteuse et l’erreur persistante d’un officier de l’état civil empêchera toujours de savoir si Gene Vincent Craddock est né un 11 ou un 17 février. Il est sûr, en revanche, qu’il s’agit bien de l’année 1935 et que le lieu de naissance est Norfolk, un port de Virginie, la Virginie restée confédérée pendant la guerre de Sécession alors que sa voisine occidentale faisait justement sécession pour rester au nombre des États de l’Union.

Son père est un militaire qui surveille l’avancée des Uboats allemands pendant la guerre alors que sa mère tient un commerce d’alimentation. L’enfant grandit dans les rues de Norfolk et il se passionne pour les musiques populaires du Sud, Hillbilly, Bluegrass, Country’n’western. On l’appelle déjà le Screamin’ Kid, à cause de sa manie de hurler à tue-tête et en permanence des classiques dixies. Mais sa palette s’est élargie avec le blues et le gospel.

Il interrompt une scolarité laborieuse pour s’engager dans les marines en 1952 et, mineur, ses parents doivent signer une décharge pour accomplir son vœu. Les guérillas communistes, aidées par l’URSS de Staline et la Chine de Mao pour une fois d’accord, viennent taquiner les armées stationnées à la frontière du Sud, et c’est le grand conflit de la guerre froide qui durera 3 ans. Gene est réquisitionné mais, contrairement à la légende, il participera peu aux combats et sa jambe raide aura pour origine l’accident avec sa moto Triumph, achetée avec sa prime de réengagement. On pense devoir l’amputer, mais il s’en tirera avec une armature en fer et une réforme définitive.

Son séjour à l’hôpital lui aura permis d’écrire quelques chansons mêlant des influences country et rhythm’n’blues devant beaucoup au succès d’un petit gars de Memphis du nom d’Elvis Presley. Il a ouvert la brèche dans laquelle vont foncer toute une génération de chanteurs blancs et noirs parmi lesquels notre Gene, Eddie Cochran, Jerry Lee Lewis, Chuck Berry, Little Richard Penniman, Buddy Holly, Carl Perkins, Bill Haley, Roy Orbison et autres Bo Diddley. Le rock’n’roll est né et sa naissance daterait de l’an de grâce 1952, quand le disc-jockey Alan Freed emploie pour la première fois le mot magique.

Parmi les chansons écrites sur son lit de douleur, « Be-Bop-A-Lula » qu’il interprète avec un groupe baptisé The Virginians lors d’un concours de chant à Norfolk, et un membre du jury est un disc-jockey de la radio locale WCMS, Sheriff Tex Davis qui deviendra son manager et écrira des chansons avec lui. Davis croit tenir son poulain, celui qui rivalisera avec Elvis. Il emmène Gene en studio avec un nouveau groupe comprenant le guitariste Cliff « Galopin » Gallup. La formation est baptisée les Blue Caps, en référence à l’éternelle casquette bleue portée par le benjamin du groupe, Dickie Harrell (15 ans), mais aussi à la casquette bleue dont se coiffe Ike Eisenhower durant ses parties de golf. Trois titres sont enregistrés, dont le fameux « Race With The Devil » avec bien sûr « Be-Bop-A-Lula », et Davis fait parvenir la bande à Ken Nelson, directeur artistique chez Capitol.

Le 4 mai 1956, le groupe est invité à réenregistrer la démo et quelques autres titres à Nashville. Eugene Vincent Craddock devient Gene Vincent tout court, «And his Blue Caps ». Un premier simple extrait des sessions sort un mois plus tard, avec Woman Love en face A. Très peu de passages radio et aucun succès avant que les animateurs radio ne se décident à passer la face B, ce « Be-Bop-A-Lula » qu’on estime plus dansant. Bientôt succès planétaire pour ce rockabilly épileptique. Un premier album, Bluejean bop est enregistré dans la foulée, dans le conditions du live et « Race With The Devil » sort pour prouver au monde que Gene Vincent n’a pas qu’un seul hit sous le pied. Une tournée américaine s’ensuit en septembre, mais plusieurs membres des Blue Caps, dont Cliff Gallup, rendent leur tablier et tout le monde repart en studio. Le single « Bluejean Bop » sort fin septembre, et c’est à cette époque qu’est tournée la séquence du film de Frank Tashlin La blonde et moi, avec Jayne Mansfield et Tom Ewell. Même si Cochran, le kid de Bells garden (Californie) et Little Richard, la pêche de Georgie, tiennent la vedette côté rocker, Gene peut placer son « Be Bop A Lula » qui contamine la jeunesse d’une Amérique endormie dans le paradis d’opérette technicolor des années 50. Supplié par Nelson et Davis, Gallup accepte de reveniret d’enregistrer le deuxième album, Gene Vincent and the blue caps, qui sortira en 1957. La guitare acoustique et la contrebasse ont été remplacés par la basse et la guitare électrique. Gallup est, avec Scotty Moore (et Chuck Berry), le plus grand guitariste de rock’n’roll et ses soli sont mortels. L’année voit le départ de Sheriff Tex Davis et Gene Vincent souffre de plus en plus de sa jambe malade. Une tournée au Canada n’en a pas moins lieu, mais c’est au Howard Miller Show de Chicago qu’il triomphe avec 30000 personnes et un disque d’or remis pour «Be-Bop-A-Lula ». Il est au sommet, aussi brillant chanteur que songwriter et homme de scène, mais le ciel va s’obscurcir.

« Lotta Lovin’ », enregistré dans les studios Capitol, n’a pas le succès escompté, de nouveaux départs affectent les Blue Caps, et un Gene Vincent caractériel en serait la raison, de même que son divorce d’avec Ruth Ann Hand et sa séparation d’avec Davis. Il part en tournée en Australie avec son pote Eddie Cochran et Little Richard. Les rockers aux antipodes. Il passe au Ed Sullivan Show en novembre et convoque les Blue Caps rescapés pour l’enregistrement de son troisième album, en décembre 1957.

Sorti en mars 1958, l’album est à considérer comme l’un des plus grands disques du genre : Gene Vincent rocks and the blue caps roll ! C’est tout à fait ça : un Gene Vincent en état de grâce qui déroule ses hymnes d’éternel adolescent torturé tandis que l’orchestre envoie des bâtons de dynamite à faire se remuer des statues. C’est encore un succès et Gene se remarie avec Darlene Hicks, l’une de ses fans, mais tout va aller de travers. « Baby Blue » se ramasse alors qu’il fera un succès en France et, même si « Say Mama », en novembre de la même année, le remet en selle, les Blue Caps n’existent plus après un dernier enregistrement, A Gene Vincent Record Date, sorti en 1959 et où il se murmure que c’est l’ami Cochran qui tient la basse. L’album fait un flop ainsi que les deux suivants, (Sounds like Gene Vincent et Crazy times sortis respectivement en 1959 et 1960) passés inaperçus. Les roucouleurs crantés du College rock ont déjà pris la place des rockers dans le cœur des teenagers. L’Amérique puritaine se réjouit du naufrage du rock’n’roll et accueille avec des sourires mielleux les Fabian, Frankie Avalon, Del Shannon, Dion et autres chanteurs de charme. C’est la malédiction des rockers.

C’est en Europe, en décembre 1959, que Gene Vincent va tenter de ressusciter. Quelques rockers anglais comme Tommy Steele, Marty Wilde ou Billy Fury perpétuent la légende. En plus des concerts, le producteur Jack Good l’invite dans son émission Boys meet girls où il apparaît tout en cuir avec médaillon, comme Brando dans l’Équipée sauvage. Le 15 décembre, des fauteuils sont cassés en son honneur à l’Olympia. Déjà oublié par une Amérique à mémoire de lièvre, Gégène est, dans la vieille Europe, couronné dauphin d’un roi exilé en Allemagne pour cause de service militaire.

Début janvier 1960, Cochran vient le rejoindre en Angleterre où la mort avait aussi fait le déplacement. Il meurt le 17 avril dans l’accident du taxi qui les emmenait de Londres à la côte, à Bath. Gene s’en sort avec une clavicule et des côtes cassées, plus l’état de sa jambe qui empire. Rescapé par miracle de l’accident, il demeurera inconsolable de la mort de son ami et portera toujours un gant de cuir noir en souvenir. Un deuxième divorce et un troisième mariage plus tard, il reprend les concerts en Angleterre et enregistre une deuxième version de « Be-Bop-A-Lula », millésime 1962. C’est encore en France qu’il a le plus de succès et les Chaussettes comme les Chats s’en réclament.

Balayé par la vague pop – le Merseybeat des Beatles et le Surf rock des Beach Boys – Gene Vincent voit son contrat avec Capitol résilié. Il a des problèmes avec le fisc et ses disques ne font plus recette, ce qui l’oblige à donner des concerts de plus en plus minables, comme ce passage au Club des aigles, un cercle de motards de Mouscron (Belgique).

Il signe pour de petits labels dont Kama Sutra ou Buddah Records, et clame, sans qu’on sache bien si c’est sérieux, qu’il s’est converti au bouddhisme zen. Nonobstant l’apartheid, il entame une tournée en Afrique du Sud en 1964 et y trouve sa quatrième femme, la chanteuse Jackie Frisco. Il est devenu alcoolique et abuse des analgésiques et autres antidouleurs plus ou moins opiacés. Seule la France, patrie des rockers maudits, pense encore à lui.

Divine surprise en 1966, avec cet inespéré Bird Doggin’ et son pathétique « Love Is A Bird », un album du feu de dieu aux couleurs presque psychédéliques. Son chant du cygne avant un dernier The way the world turned blue en 1970 et, post mortem, ce Rock’n’roll heroes chez Big Beat en 1982, enregistrements de la BBC d’époque (début années 60) avec une face Vincent et une face Cochran et des notes de pochette signées de « Monsieur » Eddy Mitchell.

Sur la pochette de son dernier opus, il apparaît le visage bouffi, les cheveux morts et le regard éteint. Il souffre de plus en plus, envoie promener tout le monde et n’accepte plus la compagnie que de ses bouteille et ses pilules. On n’ose même plus parler de come-back et on s’apprête déjà à écrire sa légende. Après une dernière tournée calamiteuse en France en juin 1970 où le pathétique le dispute au ridicule, il meurt le 12 octobre 1971 d’une hémorragie stomacale. Loué soit Saint Eugene, comédien, héros rock’n’roll et martyr.

Le 25 juin 2021

Comments:

J’ai eu le privilège de voir Gene Vincent sur la scène de la Locomotive en 1966, et je te remercie pour ce rappel important et détaillé. Il méritait d’avoir une reconnaissance plus importante que ce que le monde du rock lui a donné.

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