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VERTS PÂLES

Dominique Rocheteau, dit l’ange vert, en 1976. Photo Wikipedia avec leur aimable autorisation (en tout cas on espère). Toutes les photos des « Verts » sont sous licence. Pas touche à la légende.

Avec 5 petits points en 11 journées (et aucune victoire), l’A.S Saint-Etienne de Claude Puel est bien partie pour retrouver la Ligue 2. Un malheur n’arrivant jamais seul, la FIFA menace d’interdire la couleur verte dans le cadre des retransmissions télévisées sous prétexte qu’elles ne sont pas assez prononcées et se confondent avec le vert de la pelouse. Quand on sait que le vert est partie intégrante de l’identité du club… Retour sur les années fastes du club, du milieu des années 1960 à la fin des années 1970, quand les Verts dominaient le football français et disputaient une finale de coupe d’Europe des clubs champions.

Au début des années 1960 , le Stade de Reims brille de ses derniers feux et l’A.S Monaco assure l’intérim avant l’éclosion des Verts de Saint-Etienne au premier plan. Déjà, en 1962, ils avaient battu l’AS Nancy en finale de la Coupe de France, sous l’œil goguenard du Général de Gaulle, et raflé des places d’honneur en championnat.

Les Verts de Jean Snella avaient fière allure lorsqu’ils ont remporté l’exercice 1964-1965, avec des joueurs comme Rachid Mekhloufi (retour de l’équipe du FLN algérien), Salif Keita (arrivé à Saint-Etienne depuis l’aéroport d’Orly en taxi), Robert Herbin, alors l’un des piliers de l’équipe de France avec Hervé Revelli. Plus son frère Patrick et les N’Doumbé, Jacquet, Tylinski ou Ferrier… Du beau monde !

Pas assez beau toutefois pour être dangereux en Coupe d’Europe des clubs champions où ceux qu’on appelle pas encore les Verts se font rétamer dès les premiers tours par des clubs modestes (les Suisses de La Chaux de Fonds en 1965 par exemple). Snella laisse la place à Albert Batteux, l’ex entraîneur du grand Reims et de l’équipe de France demi-finaliste en 1958.

L’année d’après, ils laissent le titre au F.C Nantes et la vieille garde prend congé. Mekhloufi interrompt sa carrière sur blessure et Keita va bientôt partir chez les rivaux de l’O.M d’un Marcel Leclercq animé des ambitions les plus dévorantes et payant cash des transferts dispendieux.

Les Tylinski, Ferrier et autres N’Doumbé raccrochent les crampons, mais une nouvelle génération fait son entrée au stade Geoffroy-Guichard et tout le chaudron (le cœur des supporters) s’enflamme pour eux. Eux ? André Guy, Larqué, Polny, Broissart, Bosquier, Camerini, Carnus ou Bereta. Presque tous internationaux, même si l’équipe de France est à la ramasse dans ces années-là.

Saint-Etienne collectionne les titres de champion et les coupes de France, trois de suite (1968 en finale face à Bordeaux ; en 1969 contre l’O.M et en 1970 où les Stéphanois écrasent le FC Nantes). La même année, ils remportent le championnat avec 11 points d’avance sur Marseille. Avec des recrues venues de l’étranger comme le Yougoslave Samardzic, on note une embellie en coupe d’Europe et Saint-Etienne passe enfin le premier tour en 1968, battu par Benfica qui perdra la finale contre le Manchester United des George Best et Bobby Charlton.

Le club est la création corporatiste des magasins Casino, fondés par Geoffroy Guichard, directeur d’une chaîne de petits commerces aux couleurs vertes, d’où le vert du maillot. Pierre Guichard (le fils) prend la direction du club après-guerre, et Saint-Etienne a la réputation d’un club ouvrier (comme l’AS Nancy ou le RC Lens), aux racines populaires et au public de condition modeste réputé pour sa ferveur. Le club est aussi connu pour sa politique de formation et sort chaque année les futures vedettes du football hexagonal, laissant ses rivaux marseillais ou girondins se ruiner en transferts somptueux.

Albert Batteux a rendu son tablier et Jean Snella est revenu aux commandes, flanqué d’un découvreur de talents du nom de Pierre Garonnaire. Roger Rocher devient président et la structure se met en place d’un club qui ira faire un petit tour sur le toit de l’Europe. Surtout quand Robert Herbin, le grand ancien, prend les rênes.

Au début des années 1970, Marseille rafle la moitié des joueurs de Saint-Etienne, à commencer par Bernard Bosquier, Georges Carnus, Camerini ou Bereta. Leclercq sort le carnet de chèque et fait de l’Olympique de Marseille une équipe de France bis, avec les meilleurs à chaque poste et des recrues du niveau de Skoblar ou Magnusson.

Saint-Etienne respecte la tradition et la nouvelle génération de joueurs est issue du club : les Janvion, Farison, Lopez, Bathenay, Synaeghel, Sarramagna ou Rocheteau. Avec quand même deux joueurs clés venus de l’étranger, l’Argentin Oswaldo Piazza et le Yougoslave Ivan Curkovic dans les buts. S’ajoutent à cet effectif alléchant les quelques anciens restés fidèles et qui ont évolué avec Robby Herbin qu’on surnomme déjà le Sphinx : les frères Revelli, Larqué, Santini ou Merchadier.

Les Verts ne dominent plus le championnat de la tête et des épaules, et les victoires en coupe se font plus rares, mais l’équipe ainsi formée rivalise avec les plus grands dans les joutes européennes. C’est le cas en 1974-1975 où les Verts font un parcours presque parfait, avec éliminations successives du Sporting Portugal, de Hadjuk Split et du Ruch Chorzow avant de tomber en demi-finale contre le Bayern Munich des Muller, Beckenbauer, Breitner, Maier et autres Hoeness.

Un Bayern qu’ils retrouvent en finale, l’année suivante à Glasgow, au terme d’une épopée restée dans les mémoires. Les hommes de Herbin sortent le KB Copenhague, les Glasgow Rangers, le Dynamo Kiev d’Oleg Blokhine (au terme d’un retournement de situation incroyable comme ils en avaient alors le secret) et le PSV Eindhoven. À Glasgow, les Verts dominent la partie et, les poteaux eussent-ils été ronds, ils auraient triomphé, aux dires des supporters. Mais c’est, comme toujours, à la fin les Allemands qui gagnent d’une frappe sèche de Roth qui trompe Curkovic. Allez les Verts !devient néanmoins le slogan le plus prisé de l’hexagone, de cette France giscardienne qui rit aux blagues de Coluche et aux films de De Funès.

L’année d’après, les Verts sont éliminés par les Reds de Liverpool en quarts de finale. Piazza est absent pour le match retour et la crise commence à couver. Roger Rocher, le tempétueux président, est accusé de malversations, avec caisse noire et fausse billetterie, Herbin est poussé vers la sortie et les meilleurs joueurs, les Rocheteau, Bathenay ou Larqué, vont aller voir du côté du Paris Saint-Germain si l’herbe est plus verte.

On arrive au bout de l’hégémonie verte et des performances européennes, même si les Verts vont gagner 5-0 à Hambourg en Coupe de l’UEFA, en 1979. De beaux restes, d’autant que Michel Platini a rejoint le club avec Patrick Battiston, Zimako, Jean-François Larios et le Néerlandais Johnny Rep, tous trois venus de Bastia. Mais les Stéphanois ont du mal à retrouver le lustre d’antan. Tout juste encore des places d’honneur en championnat, malgré des éliminations incompréhensibles en Coupe.

En 1981, une finale de coupe de France perdue contre Bastia sous les yeux écarquillés de François Mitterrand et, en coupe de l’UEFA, une défaite contre Ipswich Town et on peut voir un Platini humilié signer un autographe à l’écossais d’Ipswich, Alan Brazil. L’année d’après, les Stéphanois mordent encore la poussière, battus par le PSG aux pénalties. Un PSG où évoluent maintenant Bathenay et Rocheteau, avec Jean-Michel Larqué comme entraîneur. Tout un symbole.

Le malaise est encore plus profond sur le plan économique, où Manufrance (la manufacture des Armes et Cycles) a pris la relève de Casino tout en battant aussi de l’aile. Viendront ensuite les américains des tracteurs Mc Cormick, mais le club ne cesse de reculer au classement et doit faire des adieux provisoires à l’Europe.

Platini parti à la Juventus de Turin et d’autres joueurs lui ayant emboîté le pas, Saint-Etienne en est à se traîner et fait plus parler de lui à la rubrique judiciaire qu’en page des sports. Herbin a été licencié et la valse des entraîneurs et des présidents peut commencer. 1984, année orwellienne, voit les Verts plonger en deuxième division et ils remonteront l’année suivante avec le polonais Henryck Kasperczak aux manettes.

C’est le début des années noires, avec le poste d’entraîneur devenu un siège éjectable et des présidents éphémères, souvent des aventuriers comme Charlie Chaker, homme d’affaire libanais. Les Verts en sont à faire l’ascenseur entre première et deuxième division.

Il faut attendre le début des années 2010 pour voir enfin Saint-Etienne faire honneur à sa réputation. Des joueurs comme Ruffier, Aubameyang, Guilavogui ou Zouma redonnent espoir aux supporters, avec Christophe Galtier sur le banc, qui se place sur une longue liste d’entraîneurs parmi lesquels Elie Baup, Robert Nouzaret, Frédéric Antonetti ou le Gallois John Toshack. Saint-Etienne retrouve même la coupe d’Europe (UEFA), rebaptisée Coupe Europa, où ils ne brillent plus. Hélas.

Quelques saisons moyennes où Saint-Etienne se classe en milieu de tableau et un nouveau rebond avec les Perrin, Lemoine, Khazri, Buanga ou Boudebouz (et une finale en Coupe perdue l’année du confinement), mais l’étincelle va vite s’éteindre pour laisser une équipe fébrile, peu inspirée et régulièrement dominée par n’importe quelle formation du championnat, accrochant au mieux des nuls inespérés.

Il était question d’un rachat par le fils du cambodgien Sihanouk, car les problèmes économiques du club n’ont pas été réglés, loin s’en faut. Avec une nouvelle descente à l’étage inférieur, c’en serait terminé des espoirs des supporters et des ambitions d’un club dont la légende ne s’écrira plus qu’au passé.

À moins d’un miracle, phénomène pas si rare à Geoffroy-Guichard, au temps où l’ange vert Dominique Rocheteau régalait le chaudron de sa classe, et où le Sphinx Robert Herbin fumait la pipe sur le banc de touche. Toute une époque, ou plutôt toute une épopée.

18 octobre 2021

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