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EM P.A.F FÉS

Affiche du prochain film-documentaire de Gilles Balbastre, avec son aimable autorisation

Le paysage audiovisuel français (PAF pour les intimes) n’en finit pas de se lézarder. Même s’il a toujours penché très à droite (avec les Bouygues, Lagardère, Drahi, Arnault ou Niel), c’est maintenant vers l’extrême-droite qu’il incline, avec l’arrivée en majesté du citoyen Vincent Bolloré, capitaine d’industrie breton qui a déjà racheté Canal + et fait de sa chaîne info (ex I TV devenue C News) la tribune de la droite la plus nauséabonde, avant rachat du secteur presse et édition de Lagardère, en cours. On parlera plutôt ici de la presse écrite, car il y a longtemps qu’on a déserté les étranges lucarnes et les guignols de l’info (au sens propre). La presse écrite, mais pas que…

Jusqu’à une époque encore assez proche, la presse d’extrême-droite rasait les murs, avec un quotidien à parution épisodique (Présent), et un mensuel antédiluvien royaliste (Rivarol). C’en était fini des hebdomadaires à scandale genre Le choc du mois, ou des publications grand public du Front National (National Hebdo), comme d’ailleurs de Minute, hebdomadaire se voulant une sorte de Canard Enchaîné de droite créé dans les années 1960 par des nostalgiques de l’Algérie française dont Jean Montaldo et dirigé dans les derniers temps par le sulfureux Patrick Buisson, éminence grise de sinistre mémoire de Sarkozy et préposé aux sondages qui rapportent.

Bref, on croyait être à peu près débarrassés de facho presse, de radio Pétain et de télé ultra-réac et en cela on se trompait, et lourdement encore.

D’abord, on était pas si tranquilles avec la presse de droite, celle du groupe Dassault (Le Figaro et Le Figaro Magazine), mais aussi celle de Pinaud (François), avec Le Point, hebdomadaire plutôt centre-droit devenu franchement droitier sous la rude férule du sémillant Franz-Olivier Giesbert. Est-il besoin de préciser que Le Figaro et Le Point, champions du libéralisme, sont les journaux les plus subventionnés par l’État ? On avait aussi l’Express, racheté par Patrick Drahi, qui avait abandonné l’ancrage centre-gauche de ses créateurs (Giroud et JJSS) pour donner lui aussi dans l’ultra-libéralisme décomplexé. Et puis, on a toujours Valeurs Actuelles, éternelle valeur sûre d’une droite néo-pétainiste ultra-réactionnaire. C’est l’ex presse Bourgine (Le nouveau journal), longtemps dirigée par François d’Orcival qui apparaît comme un modéré en regard du ramassis de fascistes plus ou moins revendiqués qu’on trouve aux avants postes.

À commencer par celui qui y éditorialise, Geoffroy Lejeune, une tronche de petit marquis courroucé qui viendrait de se faire souffleter et une plume fielleuse qu’il manie comme une épée brandie flamberge au vent contre les Arabes, les assistés, les chômeurs, les féministes, les islamo-gauchistes, la cancel culture et les « wokistes » ; ces trois dernières catégories dont la sémantique interroge ayant été créées pour discréditer la gauche et tout ce qui résiste encore. Mais Valeurs actuelles n’est pas qu’un torchon d’extrême-droite, si l’on en croit Macron qui s’y est laissé complaisamment interviewer et l’a qualifié au final d’excellent journal. Un connaisseur.

D’ailleurs, l’ex rédacteur en chef de Valeurs actuelles, un dénommé Louis De Raguenel, a été nommé récemment directeur de l’information à Europe 1. Europe 1 qui, comme Paris Match et Le journal du dimanche, s’apprête à tomber dans l’escarcelle de Bolloré, lequel a racheté les actions du fond d’investissement Amber Capital et menace la commandite de Arnaud Lagardère, obligé de vendre par appartement l’empire médiatique créé par feu son père, Jean-Luc Matra Hachette.

Bolloré est déjà presque chez lui à Europe et dans les deux titres qui font l’opinion du beauf. Il a même viré Hervé Gattegno, pourtant pas un gauchiste, de la direction du JDD et de Paris Match, le remplaçant par l’agité du bocal Jérôme Bellay pour le JDD, l’un des fondateurs de France Info qui avait hérité de la difficile mission de redresser Europe 1 en 1996 ; mission lamentablement échouée après avoir viré tous les historiques et transformer la station en sous RTL. Pour Paris Match, c’est Patrick Mahé qui s’y colle, journaliste tout terrain et surtout breton comme son patron, ça aide.

Mais Bolloré n’a pas que les médias en vue, il vise aussi l’édition où, déjà possesseur de Havas, de Canal, de Prisma et du groupe Éditis (dont La découverte, Laffont et Perrin pour une valeur de 725 millions d’Euros de C.A en 2020) il a maintenant Hachette livre dans le collimateur, premier éditeur en France et troisième dans le monde avec notamment Grasset, Stock, Larousse ou Le livre de poche, sous réserve du feu vert des autorités de la concurrence qui vont sûrement tousser. Des toussotement discrets qu’on se rassure, qui n’empêchent pas des capitalistes de détenir plusieurs médias et organes de presse, ce qui était interdit par les ordonnances de 1945 sur la presse.

On se souvient aussi que Bolloré a racheté Canal peu après la déconfiture du mégalomane Messier et qu’il a tout de suite déprogrammé Les guignols, jusqu’à ce que mort s’ensuive. Il est en train de faire de même avec Groland, dernière poche de résistance en voie d’extinction. De même, la liquidation de I TV s’était faite après une longue grève entamée par le personnel matée par ses soins, avant création de C News avec ses piliers historiques, ivres de bêtise et de méchanceté tels l’ex journaliste sportif Pascal Praud, l’agité du bocal Eric Zemmour (plus à l’antenne mais invité permanent), l’ultra-réac’ ex TF1 Jean-Claude Dassier ou Papy Figaro Yvan Roufiol. On peut ajouter à tout ça des vieux routiers de l’audiovisuel recalés de partout comme Laurent Weil, Marc Menant (qui fait l’histoire en alternance avec le pseudo-historien Frank Ferrand, émargeant aussi à Valeurs actuelles) ou le pitre langue de pute Jean-Marc Morandini et, pour faire bonne mesure, quelques journalistes chroniqueuses comme l’ex conseillère du CSA Christine Kelly, Sonia Mabrouk ou Laurence Ferrari (les deux dernières citées étant aussi appelées à faire les beaux jours d’Europe 1). Sans oublier l’indispensable papy Elkabbach, 84 ans aux fraises. Bref, la dream team ! Et on se refuse à parler d’Hanouna, l’amuseur public mégalomane de C8, autre chaîne bolloresque, mais de divertissement ou plutôt de temps de cerveau disponible, selon la formule copyright de Patrick Le Lay. Après la pieuvre Lagardère, le calamar Bolloré ?

La concurrence des BFM TV (de Drahi) et de LCI (de Bouygues) penche aussi à droite, à mesure que C News fait le buzz. Les chroniqueurs têtes à claque genre Eric Brunet ou Jean-Jacques Bourdin n ‘ont pas grand-chose à envier à leurs rivaux de C News. Et on ne parle même pas de RMC Infos ou TMC, radio et télé poubelle qui rappellent les WC9 de fiction de Groland. Banzaï !

À 5 mois d’une présidentielle qui sera déterminante, on a donc le choix, comme en politique, entre le centre-droit, la droite et l’extrême-droite. Surtout si on ajoute à ce panorama cauchemardesque TF1 fusionné avec M6 sous l’égide de Bouygues et RTL, elle aussi appelée à rejoindre le giron d’Altice (Drahi), de Vivendi (Bolloré) ou de Bouygues, qui rêve du grand chelem RTL TF1 M6.

Et encore n’a-t-on pas parlé de Daniel Kretinsky, oligarque tchèque roi du charbon et, pour les amateurs de football, président du Sparta Prague. Récemment épinglé dans le cadre des Panama papers, le Tchèque non sans provisions a pris des parts au Monde et à TF1 en même temps qu’il rachetait Elle, Télé 7 jours (ça existe encore?)et Marianne, Marianne dont beaucoup de lecteurs pensent encore que c’est un magazine de gauche pour une ligne éditoriale laïcarde républicaine pourfendant lui aussi le « woke », la cancel culture et l’islamo-gauchisme sous la houlette de Natacha Polony, l’autre star de l’info (avec Léa Salamé tout aussi nulle), installée à la direction par les historiques Jean-François Kahn et Maurice Szafran.

On pourrait aussi ajouter au tableau Le Parisien d’Arnault, tissu de stupidités toutes plus inintéressantes les unes que les autres ou le triste audiovisuel public avec ses journaux à la Pernaut pleins de météo, de reportages dans les terroirs, de micro-trottoirs affligeants, d’astuces conso et de people. Mais on va s’arrêter là.

D’autres, plus bienveillants qu’on ne saurait l’être, pourront invoquer Le monde, quotidien vespéral des marchés dont la lecture est aussi pénible que le positionnement politique est prudent. On sait que Beuve-Méry leur avait commandé d’être chiant, mais quand même pas à ce point-là. Libération est passé de July à Olivennes en passant par Joffrin, spécialiste du P.S et de Napoléon, toujours résolument moderne et largement illisible, au moins pour les pages culturelles. À part l’excellent Lançon qu’on salue-t-au passage). Quoi d’autre ? L’Obs qui n’en finit pas de se recentrer jusqu’à en devenir insipide. Charlie Hebdo, de moins en moins drôle et dont les petites provocations hebdomadaires ne font plus rire qu’à moitié.

Certes, il y a encore des îlots de salubrité dans cet océan de médiocrité. Même si pas spécialement de gauche, Le canard enchaîné reste un bon journal avec des informations intéressantes, même si on peut regretter son peu d’appétence pour l’écologie et son allergie à toute fiscalité, fût-elle redistributive. Oui à la bagnole, non aux impôts et haro sur les déficits et la dette. Quand même, on a aussi les Porquet, Chalandon et Mercier, ça rachète pas mal de choses. Sans parler de Lefred Thouron, actuellement le plus drôle des dessinateurs de presse.

Pour le reste, des médias en ligne indépendants comme Médiapart, un quotidien comme l’Humanité, de moins en moins PCF et de plus en plus écologiste, un hebdomadaire comme Politis, malheureusement toujours en manque de moyens. Deux journaux au bord du dépôt de bilan et qui en appellent souvent à la générosité de leurs lecteurs.

Et puis Le monde diplomatique, une institution dont la lecture est toujours profitable pour qui veut comprendre le monde dans toute sa complexité. J’allais oublier les amis de Siné Mensuel avec les vénérables Delfeil De Ton et Willem. L’esprit Charlie, c’est là qu’il est désormais, et un peu dans Par Jupiter sur France Inter, à condition que ses animateurs s’arrêtent de rigoler à tout propos. Et aussi France Culture ou Arte, mais pour des audiences confidentielles, hélas.

Voilà, c’est tout ce qu’on a, et il faut faire avec. On ne parle même pas de la presse « pas pareille », des journaux de contre-information ou de critique des médias (Acrimed), hélas trop marginalisés. C’est pourtant l’éducation aux médias qu’ils proposent qui serait de nature à changer les choses. Eux et des gens comme Gilles Balbastre, éternel lutteur contre les médias dominants toujours en quête de financement pour son prochain film, Ceux qui tiennent la laisse, la suite de l’édifiant Les nouveaux chiens de garde (1).

Il suffit de relire cet article pour les connaître « ceux qui tiennent la laisse », mais ça ne répond pas à la question de savoir pourquoi tant de personnes se la mettent volontairement autour du cou, la laisse. Paresse d’esprit, conformisme, ennui, facilité, instinct grégaire ? Autant de comportements qui conduisent tout droit à des régimes autoritaires. C’est déjà le cas ? Ah bon !

(1) https://ceuxquitiennentlalaisse.info/

9 novembre 2021

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