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Y SHOOTE LE SHÉRIFF

La Yellow star. Un symbole bien américain pour un club de l’est. Tout se perd ! La mondialisation ?

D’abord, toutes nos excuses pour le jeu de mots lamentable du titre. Invité surprise dans le gotha des clubs européens, le Sheriff Tiraspol est un club inscrit dans le championnat de Moldavie (capitale Chisinau) où il truste tous les titres, mais la ville de Tiraspol est la capitale de la Transnitrie – un pays non reconnu par l’ONU – en fait une enclave entre la Moldavie et l’Ukraine, sur la rive droite du Dniestr. Le FC Sheriff a beaucoup fait parler de lui en battant les stars du Réal Madrid en septembre. Qu’est-ce que c’est que ce club ? Qui en tient les rênes ? Quel statut exactement ? Quels joueurs ? Autant de questions auxquelles on s’efforce de répondre ici.

On connaît quelques pays de part l’Europe de l’est qui servent de vitrines à ce qui reste de l’impérialisme soviétique : de l’Abkhazie en Georgie à la Transnitrie en Moldavie, sans parler du Haut-Karabach, de la Crimée ou de l’Ossétie du sud que se dispute l’ex-empire avec l’Arménie et l’Ukraine. Un peu de géopolitique pour les nuls : après la dissolution de l’URSS, les républiques qui la constituaient – à part la Russie bien sûr (plus la Biélorussie et l’Ukraine dans un premier temps avec la CEI) – ont pris leur indépendance, à commencer par celles situées aux marches de l’Asie, un peu après les pays Baltes. Mais la Russie de Poutine a réussi à maintenir quelques enclaves dans les pays nouvellement libérés du joug soviétique, souvent des minorités russophones ayant refusé l’assimilation dans les nouveaux États. Inutile de préciser que le jeu du pouvoir russe est d’entretenir ces minorités dans leur opposition aux différents États par tous les moyens, y compris par la guerre civile s’il le faut.

Des États non reconnus par la communauté internationale et par l’immense majorité des pays de l’ONU, mais Poutine n’en a cure. Ce sont des abcès de fixation qui lui permettent de rappeler que l’Union soviétique n’est pas totalement morte et qu’on a vendu un peu vite la peau de l’ours.

La Transnitrie est ce qu’on appelle un État-entreprise aux confins de la Russie et de l’Union Européenne. Un pays enclavé où quelques oligarques font la pluie et le beau temps, car le fait de se trouver dans l’orbite de l’ex Union soviétique n’empêche en rien les affaires, bien au contraire.

Et le Sheriff Tiraspol est une entreprise comme les autres, avec ses trois stades (dont le principal, le stade Chevchenko en hommage au joueur russe du Milan A.C, de 13000 places), sa piscine, son spa et son hôtel cinq étoiles. Un club qui détonne dans le championnat moldave réputé pauvre, là où, à Chisinau par exemple, les riverains du stade habitant les immeubles alentour peuvent voir les matches sans payer alors qu’à Suruceni, une tribune du stade inoccupée a été transformée en cimetière.

Les Moldaves n’aiment pas le Sheriff Tiraspol, accusé de faire une concurrence déloyale aux clubs locaux et de fausser le championnat. C’est vrai que l’argent sale des oligarques permet de faire des emplettes dans tous les continents et d’attirer dans ses filets quelques joueurs prestigieux souvent en fin de carrière. Mais les récents succès européens du Sheriff ont un peu changé la donne et le supporter moldave de base n’est pas peu fier de voir inscrit son pays sur la carte du football international.

D’ailleurs, les Moldaves se soucient de la Transnitrie comme d’une guigne ; les jeunes du pays n’y mettant jamais les pieds et se l’imaginant en fonction des informations distillées par les médias locaux, soit un camp retranché où prospère l’argent sale avec ses quelques grosses fortunes et ses beaucoup plus nombreux soutiers à leur service, dont beaucoup d’immigrés.

Le Sheriff joue en jaune et noir, avec une grosse étoile de shériff (d’où le nom) floquée sur les maillots. Un maillot qui n’a rien à voir avec les couleurs du drapeau du pays : rouge avec une bande verticale verte plus faucille et marteau réglementaires en jaune, héritages de l’empire soviétique dont le président-autocrate, Vadim Krasnoselsky, reste un indécrottable nostalgique. La monnaie du pays est toujours le rouble (de Transnitrie) et sa population dépasse les 505.000 habitants. Un mini-état donc, que se sont disputés historiquement l’empire Ottoman et la Roumanie et d’une superficie équivalente au département français des Pyrénées-Orientales, pour donner une idée.

L’indépendance de la Transnitrie n’est en fait reconnue que par trois autres États dont l’existence est elle-même contestée : l’Ossétie du Sud – Alanie, l’Abkhazie et le Haut-Karabakh ; même la Russie s’étant refusée, par prudence diplomatique, à reconnaître officiellement ce micro État. Pourtant, ce qu’on appelle « la république moldave du Dniestr » a sa propre constitution, son drapeau, son hymne national, son président et son parlement. Malgré, ou grâce à, leurs prestations de serment à l’ex régime soviétique, les dirigeants de la Transnitrie encouragent le capitalisme oligarchique le plus sauvage où les investissements et les profits sont encouragés. Le tout avec des médias muselés qui sont priés de chanter les louanges du satrape local.

Mais refermons le dépliant touristique, surtout pour un pays si engageant où ni vous ni moi n’irons très probablement jamais, pour passer au football.

Le club a été fondé en 1997 et évolue donc dans le championnat moldave où il rafle tous les trophées, coupes et championnats, avec, pour la première fois, une qualification pour les poules de coupe d’Europe, et pas n’importe laquelle : la Champions League où le Shériff est loin de faire de la figuration, battant le Réal, on l’a dit, après un parcours d’obstacle pour accéder aux poules qualificatives qui tient de l’exploit. Mais il semble que l’impossible n’est pas modave, pas plus qu’il n’est transnitrien.

Et on trouve du beau monde au Shériff. Beaucoup de sud américains dont Dulanto, un Péruvien qui a écumé les clubs de son pays, Arboleda, un Colombien lui aussi expérimenté. Sans oublier son compatriote Castaneda, avant-centre du Deportivo Cali, un club censé être tenu à bout de bras par les narco-trafiquants.

Et des Brésiliens comme s’il en pleuvait : Costanza, qui a joué au Botafogo et à Fluminense, les deux grands clubs de Rio de Janeiro ; de Sao Paulo celui-là, Bruno, un ancien joueur de l’Olympiakos ou encore l’autre Cristiano (Da Silva Leite), lui aussi de Rio, amené directement au Sheriff grâce à un réseau efficace d’agents de joueurs. Le tout sans préjudice d’un international de la petite île de Trinitad et Tobago, un dénommé Julien Keston.

Des Africains aussi, dont les internationaux maliens Adama Traoré (simple homonymie), passé par le FC Metz, et Moussa Kyabou. Leur homologue nigérian, Abdoul Moumouni, les Ghanéens Edmund Addo et Abdul Basit Khalid, ex joueur de l’Espérance de Tunis. Un Guinéen aussi, pour porter haut les valeurs de l’internationalisme, avec Momo Yansané, frère du Sékou Yansané stagiaire au Paris Saint-Germain. Un joueur du Malawi, Charles Petro et Nadrey Dago, un Ivoirien passé par le club croate d’Osijek.

Mais faut pas croire, on est quand même en Europe et on compte, dans cette incroyable légion étrangère, quelques joueurs bien de chez nous, ou enfin presque. Un Luxembourgeois par exemple, du nom de Sébastien Thill, ancien joueur de Niederkorn. Plus beaucoup de joueurs venus d’Europe de l’est ou un peu plus au sud, comme l’Ouzbek Yakhshiboev. Trois Grecs, Evangelou (ex Panathinaikos), Kolovos, ex de l’Omonia Nicosie et lui aussi de Panathinaikos et le gardien de but titulaire Asthanasiadis, de Thessalonique, artisan principal de la victoire historique contre le Réal. Quelques joueurs moldaves quand même, on est en Moldavie après tout. L’autre gardien, Celeadnic, né à Chisinau, comme d’ailleurs ses compatriotes Cojocaru, Gliga, Hatman, Scurtul ou encore Holodov. Cojocari, le presque homonyme de Cojocaru, lui, est né à Rezina. Soit huit joueurs du cru (ou presque) sur un effectif de plus de trente joueurs professionnels. Belousov, lui, est né à Tiraspol, et on ne peut à ce titre lui coller la nationalité moldave.

Pour faire bonne mesure, quelques dignes représentants de l’ex Yougoslavie (les Brésiliens de l’Europe, qu’on les appelait), avec le Bosnien Radeljica, le Macédonien (du Nord) Boban Nikolov (ex Vardar Skopje), le Slovène Bizjak ou encore le Serbe Dusan Markovic, gardien de son état lui aussi.

Voilà, une mosaïque et surtout une sorte de d’épitomé du football moderne dans toute sa démesure où des joueurs d’un peu partout viennent dans ce qui s’apparente à un nouvel eldorado. Des joueurs délaissés par la plupart des grands pays de football d’Europe et qui tiennent avec le Shériff une sorte de revanche, ou en tout cas une dernière occasion de briller et de donner des regrets aux grands d’Espagne, d’Angleterre ou d’Italie.

Un club à l’image du Chakhtar Donetsk, les Ukrainiens, avec des ex internationaux brésiliens comme Pedrinho ou Dodo. Mais c’est une autre histoire, pas si différente d’ailleurs.

On oublie de présenter l’entraîneur, Yuriy Vernydu, un Ukrainien lui, ancien de Dnipropetrovsk, et surtout le président, un homme d’affaires oligarque fondateur d’un club qui était au départ sa danseuse, mais qui maintenant lui rapporte gros.

En attendant la Transnitrie en phase finale de Coupe du monde. Un jour, peut-être… Sherif fais-moi peur ! V’là que ça me reprend (les jeux de mot foireux).

5 novembre 2021

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