Deux petits livres d’Attac avaient déjà évoqué les années Macron : « Cette crise qui n’en finit pas » (2017) et surtout, avec la Fondation Copernic, « L’imposture Macron, un business model au service des puissants », en 2018 . Il s’agit ici, avec Macron on fait le bilan (1) d’un constat de faillite en 23 points, qui couvre tous les domaines possibles de l’activité (ou souvent de la non activité) de Jupiter. Démocratie, libertés, écologie, travail, inégalités, santé, éducation, femmes, immigration, retraites… Tout y est mais, plutôt que de commenter ce livre précieux, on va se contenter de donner ici la vision qu’on a de Macron, vision certes personnelle autant que subjective, mais qui vient des tripes.
On connaissait le livre qu’il avait sorti en 2016, intitulé Révolutions, déjà en plein dans l’oxymore pour un président – philosophe qui fut l’élève de Paul Ricoeur. Macron, durant toute sa campagne de la fin 2016 et du premier trimestre 2017, n’en pouvait plus d’invoquer les grands principes humanistes la main sur le cœur et le regard tourné vers un ciel pris à témoin.
Un jeune Macron sorti d’un collège de jésuites d’Amiens dégoulinant d’humanisme mièvre et de fausse compassion très vite passés à la trappe par le bourgeois féroce mis au pouvoir par une caste d’affairistes sûrs d’avoir misé sur le bon cheval. Une sorte de Kennedy à la française. Jeune, à peine 40 ans, plus démocrate que lui tu meurs, attaché aux libertés individuelles et collectives, de droite et de gauche en même temps, pour une économie de marché avec des correctifs sociaux, féministe à fond et écologiste jusqu’au bout des ongles.
Élu en mai 2021, on a pu voir que les professions de foi et les déclarations d’intention de Macron étaient « de la pipe » (selon son expression), puisque ses premières mesures auront été la suppression de l’ISF remplacé par une petite taxe sur l’immobilier et, surtout, une « flat tax » ne pouvant aller au-delà de 30 % sur les revenus du capital. Mais il n’y en a pas que pour les riches, puisque, « en même temps », on baisse de 5 % les aides au logement (A.P.L) et on fait payer la CSG aux retraités. Sans parler des pauvres qui nous coûtent « un pognon de dingue » avec leurs allocations et leurs minima sociaux. La solidarité, ça commence à bien faire, pour paraphraser son illustre prédécesseur qui parlait, lui, de l’écologie.
On ne parlera pas ici de santé, d’éducation, de laïcité ou de culture. Plus qu’un bilan détaillé qu’on trouvera dans ce livre utile, on va surtout s’attarder sur les mots du président qui en disent long sur son mépris souverain pour le peuple comme sur sa gouvernance. Tout cela sent à plein nez le mépris de classe et l’ivresse du pouvoir, la jouissance de se sentir comme appartenant à une petite élite technocratique qui sait d’instinct ce qui est bon pour le peuple.
Son seul respect, s’il en est capable, va d’ailleurs aux entreprises, aux capitaux et aux capitaines d’industrie. Une trilogie qui se passerait bien de la démocratie, des partis politiques et des syndicats. Tous ces corps intermédiaires qui ne servent qu’à freiner la puissance de ceux qui savent, de ceux qui agissent.
« Jojo avec un gilet jaune qui a le même statut qu’un ministre ». Danielle Sallenave en a fait un livre (Jojo le gilet jaune), mais tout est dit dans cette phrase, son mépris du peuple et sa morgue de puissant. Si tout le monde a voix au chapitre, à quoi ça sert de s’être élevé jusqu’aux sommets de la méritocratie républicaine…
Les Gilets jaunes qui, quoi qu’on ait pu en penser, ont été le cauchemar de Macron et il a éteint le feu avec le grand débat pour lequel la participation requérait une belle dose de naïveté. Il a ensuite contourné l’obstacle avec son Référendum d’Initiative Partagée puis avec la Convention Citoyenne sur le climat, ne serait-ce que pour montrer qu’il était capable de s’asseoir dessus.
Il faut dire que l’écologie selon Macron est une écologie de marché, un capitalisme vert qui fonctionne au solutionnisme. Pas de problèmes, que des solutions ! Des solutions qui mettent en œuvre toute une ingénierie complexe laissée aux entreprises high tech avec une confiance aveugle dans la technologie et, surtout, une détermination farouche à ce que rien ne change dans nos modes de production et de consommation. Des solutions pragmatiques alliant solutionnisme écologique et intelligence artificielle. Car des gens comme Macron sont les derniers gardiens du temple capitaliste qui menace de s’effondrer avec les limites physiques atteintes par le réchauffement climatique et la catastrophe écologique en cours.
Et ce ne sont quand même pas « les gens qu’on croise dans les gares et qui ne sont rien » qui vont faire la loi, comprendre les simples citoyens qui n’ont aucune légitimité à peser sur les choses, tout juste à donner un avis sur lequel on pourra s’asseoir.
« Les non vaccinés, j’ai envie de les emmerder ». Après une gestion plus qu’erratique de la pandémie, Macron s’en prend aux antivax et à celles et ceux qui osent contester une politique sanitaire décidée en catimini dans les réunions des Conseils de défense. Mépris encore, auquel s’ajoute l’agressivité hautaine d’un chef d’état qui ne reconnaît plus comme citoyens les réfractaires à la vaccination. Après toutes les entraves aux libertés dont il s’est rendu coupable (état d’urgence, loi sécurité globale, loi séparatisme), après tant de bavures policières qui finissent par faire système, Macron va-t-il les déchoir de leur nationalité?
On a finalement à faire à un Monsieur Prudhomme du XXI° siècle, adorateur des sciences et des techniques, de l’informatique et de la numérisation, des voyages sur Mars et des exploits sportifs. Un homme du futur allergique aux institutions d’un autre âge : partis, syndicats, représentativité, délégation… Lui s’est entouré de la pire classe politique qui soit, mélange de centristes mous et de sociaux-démocrates renégats, avec des députés parmi les plus stupides qu’on ait jamais pu voir, prêts à tout voter comme à la parade selon les souhaits du chef.
Côté emploi, ou plutôt côté chômage, c’est pire encore. « Du boulot, moi je vous en trouve, il suffit de traverser la rue ». Il suffit surtout d’accepter n’importe quel emploi à n’importe quel salaire dans n’importe quelles conditions de travail. D’ailleurs, sa contre-réforme des allocations chômage a été conçue pour que les fainéants et les tire-au-flancs arrêtent de faire la fine bouche et se retroussent enfin les manches. On ne va quand même pas attendre qu’ils se trouvent un boulot qui leur plaise (il n’a pas dit ça mais il aurait pu).
Et les retraité-e-s ? Les gaulois réfractaires et vieillissants ne comprennent donc pas qu’on vit plus vieux et donc qu’on doit travailler plus longtemps ? Pas plus de 14 % du PIB, malgré une population vieillissante, des pensions à la baisse, des décotes et un âge pivot. Et puis, il y a les assurances et les fonds de pension qu’il faut bien faire vivre. La sécurité sociale, une invention d’un autre âge, comme les services publics.
On pourrait aussi parler des « premiers de cordée », à qui on doit respect et dévotion, des « gaulois réfractaires » qui refusent tout en bloc et ne peuvent être considérés comme des interlocuteurs valables, des Amish qui n’ont que des arguments irrationnels à opposer aux bienfaits des nouvelles technologies. Il aurait pu parler aussi des peureux qui craignent le nucléaire (quelle idée après Fukushima et Tchernobyl), lui qui rêve de nucléariser derechef un pays bien trop craintif quant aux prouesses technologiques du post-humanisme et des solutions innovantes.
À l’international, Macron maître du monde se comporte comme un adolescent qui prendrait ses désirs pour des réalités. Signataire de tous les traités de libre échange – à commencer par le CETA pour lequel il avait créé une commission ayant émis au final un avis négatif – atlantiste pro OTAN et farouche adversaire de toutes les dictatures communistes, qu’elles se situent en Amérique latine ou ailleurs, Macron se rêve en pacificateur et en médiateur de tous les conflits du monde, ce qui ne l’empêche pas de sanctuariser les dépenses militaires, de vendre des armes à l’Arabie Saoudite ou au Yémen, et d’envoyer la troupe combattre les djihadistes sur le théâtre africain.
Mais que les Africains et « tous ceux qui ne sont rien » par-delà les frontières ne s’avisent pas d’entrer illégalement dans notre cher et vieux pays. La police veille avec Frontex et les accords de Dublin. L’Europe est d’ailleurs son terrain favori, là où il peut critiquer à loisir les régimes illibéraux à l’est, se moquer d’un Bo Johnson en faire-valoir, former un couple épatant avec Merkel s’interposer en sage dans tous les conflits et apparaître comme le sauveur du monde, ou au moins un bienfaiteur de l’humanité.
Le pire est qu’il risque d’en reprendre pour cinq ans, quand on voit le désastre annoncé à gauche et les différentes nuances d’ultra-libéraux sécuritaires et fascisants qui lui sont opposés. Le pire n’est jamais sûr, ajoute-t-on dans ces cas-là pour terminer sur une note d’espoir. On en a tant besoin.
(1) : Macron on fait le bilan – Attac – Les liens qui libèrent – 2022
9 février 2022