On se souvient encore de Maryan Wisniewski et de ses chevauchées véloces à travers les lignes défensives adverses. Le chti (né à Calonne-Ricouart) a passé 10 longues années au Racing Club de Lens avant d’aller faire le bonheur de la Sampdoria de Gênes et retour en France à Saint-Étienne, Sochaux puis Grenoble, en deuxième division. C’était l’archétype de l’ailier droit et, avec Raymond Kopa, il incarnait ce genre de joueurs rapides, adroits et très techniques. Dribbleurs impénitents et buteurs à leurs heures.
C’était le temps du WM, avant le Catenaccio d’Helenio Herrera et de l’Inter de Milan, bien avant le 4 -2 -4 et les 4 – 3 – 3 et les divers schémas tactiques qui ont encore cours aujourd’hui.
On avait donc des arrières latéraux, un arrière central, des demis, des inters, un avant-centre et, surtout, des ailiers. Montherlant parlait de l’ailier comme un enfant perdu, et quiconque a joué à ce poste comprend très bien ce qu’il veut dire.
Wisniewski a débuté à l’U.S Auchel, comme un certain Jean Vincent, mais il est en fait l’homme d’un seul club, le Racing Club de Lens, phare du football ouvrier où les jeunes immigrés polonais qui voulaient échapper à la mine s’inscrivaient au centre de formation de Bollaert, pour le peu qu’ils soient un peu doués avec un ballon rond.
Doué, Wisniewski l’était incontestablement et c’est à 16 ans à peine qu’il signe chez les Sangs et Or, en 1953. Le club est habitué à faire débuter de jeunes joueurs encore adolescents. Ce sera le cas avec les frères Lech ou de Richard Krawczyk dans une équipe où les Marocains (Oudjani, Bousdira…) prendront la place des Polonais un peu plus tard. Le R.C Lens est ainsi un sismographe des vagues d’immigration du bassin minier artésien.
Mais revenons à Wisniewski, qui fait ses débuts professionnels en marchant (en courant plutôt) sur les brisées d’un Raymond Kopa, ex Angevin devenu Rémois. Deux joueurs illustres qui ont la même pointe de vitesse, la même aptitude à dribbler, la même clairvoyance et le même sens du beau jeu. Deux frères .
Première sélection en équipe de France à 18 ans, c’est un signe, contre les jaunes et bleus suédois en 1955 mais il faut attendre 1957 pour le voir marquer son premier but chez les Bleus, contre l’Islande. Il en est encore à jouer avec les juniors du R.C Lens qui décrochent la coupe Gambardella contre l’A.S Saint-Étienne. Son premier titre.
Kopa et Wisniewski vont se retrouver pour la Coupe du monde 1958 en Suède où, comme chacun sait, la France finira troisième après avoir été éliminée en demi-finale par le Brésil de Pelé et Garrincha. Les deux ailiers virevoltants sont maîtres sur les côtés et adressent des caviars à un Just Fontaine qui n’a plus qu’à les mettre au fond. Une équipe qui alimente toutes les nostalgies avec des fins joueurs comme Jonquet, Vincent, Piantoni, Marche, Théo et autres Douis.
À son retour de Suède, Wisniewski est emmené en prison entre deux gendarmes, car il se serait ainsi soustrait à ses obligations militaires. Rappelons que le tarif était à l’époque de 2 ans en Algérie pour tout appelé. Heureusement pour lui, son statut de joueur professionnel lui épargnera le bonheur d’avoir 20 ans dans les Aurès.
Il est sélectionné à nouveau en 1960, pour le premier championnat d’Europe des Nations (devenu l’Euro), où la France termine cette fois quatrième. Ce sera ensuite pour les Bleus une longue traversée du désert – malgré une oasis en 1966 et une qualification inespérée pour la World cup anglaise – et il faudra attendre Platini et le milieu des années 1970 pour en voir la fin.
Mais Maryan Wisniewski s’est déjà illustré en équipe de France, à l’occasion notamment de cet Angleterre – France de 1963 où il réalise le hat-trick (trois buts consécutifs), marquant entre les jambes de l’infortuné Springett, le portier anglais. Ce sera le début de la légende des gardiens anglais calamiteux, avant que les Banks ou les Shilton ne redorent le blason des Trois Lions.
Son but le plus célèbre, il l’a inscrit contre la modeste équipe d’Irlande du Nord, où il dépose délicatement le cuir dans le but adverse après avoir dribblé quatre joueurs de rang. Un but à la Maradona, ou à la Messi comme on veut.
Avec le Racing, Wisniewski a marqué un total de 93 buts toutes compétitions confondues, en 10 années de bons et loyaux services. Il sera remplacé à son poste par Georges Lech et seul Ahmed Oudjani, l’avant-centre marocain myope, se portera à sa hauteur.
Malgré la présence de Wisniewski, le Racing ne décrochera pas de titre, pas plus en championnat qu’en coupe, devant se contenter des places d’honneur derrière les grandes écuries de l’époque (Reims bien sûr, l’autre Racing – de Paris – Nice ou Strasbourg). Quand même, Lens finira deuxième pour les saisons 1956 et 1957 et remportera deux coupes Drago (l’équivalent de l’époque de la coupe de la ligue qui se joue à l’intersaison) en 1957 et en 1960.
Pas si mal, côté palmarès, d’autant qu’il n’en restera pas là.
Il quitte Lens, son club de cœur, pour s’expatrier à la Sampdoria de Gênes. Les dirigeants de la Samp n’ont pas été sans remarquer le talent d’un joueur exceptionnel qui, croient-ils, peut les faire rivaliser avec l’Inter, le Milan A.C ou la Juventus.
Les transferts de ce genre sont rarissimes à l’époque, et peu de joueurs français sont amenés à évoluer à l’étranger. Cela a été le cas de Raymond Kopa et de Lucien Muller, tous deux recrutés par le Real de Madrid et ce sera le cas un peu plus tard de Gilbert Gress au VFB Stuttgart ou de Georges Lech à Oakland (Californie).
Il ne brillera pas longtemps avec la Samp. Lens l’avait laissé partir pour renflouer ses caisses, et la Sampdoria va s’en séparer à son tour pour éponger ses dettes. C’est donc à Saint-Étienne, chez les Verts, qu’il rebondit.
L’A.S Saint-Étienne, en 1964, s’apprête à devenir le club qui domine le championnat de France avec des jours de talent tels Robert Herbin, Ferrier, Jacquet, Keita et Mekhloufi. Wisniewski est en balance au poste d’ailier droit et ne joue pas tous les matches, mais il peut en tout cas remporter ses premiers titres.
Après les Verts viendront les jaunes et bleus du F.C Sochaux, les lionceaux de la Peuge qui végètent dans le bas du classement en première division. C’est l’occasion pour Wisniewski de récupérer du temps de jeu et de rebondir, la trentaine presque atteinte. Bien lui en prend. Titulaire à part entière au Stade Bonnal, il joue une finale de coupe de France (perdue contre l’Olympique Lyonnais) en 1967 et redore le blason d’un club qui termine troisième du championnat saison 1967 – 1968. Sochaux après Lens, décidément, le jaune lui va si bien.
C’est un Wisniewski vieilli et sur le déclin qui va entamer une nouvelle saison, en 1969, avec le F.C Grenoble, en deuxième division. Un enterrement de première classe et, à l’âge du Christ en croix, Wisniewski n’a plus la vista et les ailes d’antan. D’autant que l’équipe est plutôt défensive et qu’il est souvent privé de ballons.
Pour épiloguer, Wisniewski entamera une résistible carrière d’entraîneur dans le club amateur de l’U.S Le Pontet, près d’Avignon. Il pourra rester quelque temps en Provence avant de s’en retourner au pays minier qui l’a vu naître. Il sera toujours proche d’un Racing Club de Lens qui lui aura donné sa chance, n’oubliant jamais ce qu’il doit au club.
Tout amateur de football n’oubliera pas Maryan Wisniewski, ses cheveux plaqués noirs et ses moustaches à la gauloise au-dessus d’un menton un peu en galoche.
Pour tout passionné de football qui a été enfant dans ces années-là, Wisniewski symbolise, au même titre que Kopa ou Piantoni, l’amour du beau jeu et d’un football pas encore totalement vicié par l’argent, la violence, le bling bling, le spectacle et tout le sport business.
Le vieux Gaulois, le surnom qu’on a pu donner aussi à un Patrick Revelli dont il avait certains traits physiques en commun, courait dans la plaine avec pour seules motivations celles de mouiller le maillot pour l’équipe et de faire plaisir aux supporters.
C’était il y a 60 ans et c’était encore les temps de la préhistoire pour un football qui va devenir planétaire et marchandisé.
Mais tant de joueurs de ces tristes temps seront définitivement oubliés quand on se souviendra encore de Maryan Wisniewski, l’ailier ailé.
20 mars 2022