Retour à Reims, c’est le titre d’un essai de Didier Éribon sur les transfuges de classe façon Annie Ernaut, récente prix Nobel de littérature. C’est aussi le titre de cette chronique du renouveau rémois. Comme quoi on peut très bien concilier football et culture. Une équipe dont on ne donnait pas cher de la peau en début de saison, avec des résultats calamiteux, un entraîneur autiste et des joueurs expulsés à chaque match. Ça s’est bien arrangé depuis sous la houlette du belge Will Still, auparavant entraîneur adjoint et préparateur physique. Récit d’une rédemption sous les cieux pluvieux de France et de Navarre.
D’abord à Lille, où le match se déroulait sous une pluie battante. Une demi-heure d’attente aux guichets pour retirer une place déjà commandée par Internet. La fille derrière le guichet est débordée et les supporters râlent, d’autant que certains se voient refoulés. J’arrive dans le stade, après voir cherché ma place, vingt minutes après le coup d’envoi. Au guichet, un facho en treillis près de moi toise de haut un Maghrébin qui semble s’excuser d’exister. C’est Lille, où une frange des supporters ultras fraye avec les fafs du coin, ceux de la Citadelle et de la Maison flamande. Leur caractéristique principale est de détester les Noirs, les Arabes et les Lensois, pas forcément dans cet ordre. Les supporters ont fait la grève des encouragements et un silence de cathédrale, comme on dit à Reims, règne depuis le début du match. Une pancarte s’élève où il est écrit : « le lundi, nous on travaille ». C’est lundi effectivement, le 2 janvier, avec un calendrier démentiel et des « boxing days » pour rattraper le retard pris à cause de la Coupe du monde au Qatar. Plus tard, Olivier Létang, le PDG du club, dira que le calendrier est ainsi fait et que le staff (comme ils disent) n’y peut strictement rien.
J’ai fait la route en métro puis dans une navette de supporters, tous lillois, entre la station Les Prés et le stade Pierre Mauroy, pour ceux qui connaissent. Des navettes gratuites uniquement affrétées pour trimballer des supporters de foot. On ne va pas s’en plaindre quand on les emprunte, mais c’est quand même un peu limite. Je jouis intérieurement de me trouver entassé dans ce bus avec des supporters anxieux qui me prendraient à partie s’ils savaient que j’étais venu pour l’équipe adverse. Pas pour les supporter bruyamment, non, pas suicidaire ; je sais me faire discret quand je sens la masse contre moi, mais simplement pour être présent et applaudir du bout des doigts des actions rémoises, qui sont rares dans cette première mi-temps.
D’où je suis, j’ai cru voir un attaquant rémois s’effondrer dans la surface après une « poussée fautive », comme on dit dans le jargon. Mais je suis loin, derrière le but en face, et j’ai pu me tromper, d’autant que la presse parle le lendemain d’une très légère et involontaire friction. Il eût été bien téméraire pour l’arbitre de siffler un penalty. Au lieu de cela, c’est Lille qui ouvre le score sous mes yeux. Jonathan Bamba ajuste un tir repoussé du bout des doigts par Diouf, le portier rémois, et, dans un deuxième temps, le Canadien Jonathan David ne lui laisse aucune chance. 1 – 0 à la pause et j’en suis à me demander si j’ai bien fait de venir.
Mais mon petit doigt me dit que ça peut changer. Superstitieux, je me dis que Reims n’a jamais perdu quand je suis présent ici. Un nul (1-1) en 2000 avec un arbitrage à la maison et un penalty lillois dans les arrêts de jeu, et une victoire en 2014 avec Odaïr Fortes l’attaquant capverdien qui reçoit le ballon en pleine face, et marque du même coup, involontairement. À chaque fois qu’ils ont perdu, sur des scores parfois sévères, je n’étais pas là, même s’il m’arrivait d’avoir ma place.
Lille domine mais ne parvient pas à marquer le deuxième but qui aurait tué le match. Angel Gomez entre en jeu puis Virginius et il faut des sauvetages en catastrophe des défenseurs et des parades de Diouf pour éviter le pire. Les supporters s’énervent et accusent les joueurs lillois de jouer à la baballe et de manquer de tranchant. Air connu, chanté sur tous les stades de France. Et puis, alors qu’il reste un bon quart d’heure, l’arrière latéral Desmet déborde sur la gauche et centre en retrait. Zeneli laisse intelligemment passer le ballon et c’est l’international suédois Jens Cajuste qui ajuste justement, le gardien Chevalier. Un partout la balle au centre.
Les supporters râlent et auraient râlé encore plus si le Kosovar Arber Zeneli avait marqué un coup franc direct qui passe juste au-dessus de la barre. Ils auraient râlé tant et plus si un contre mené par trois rémois contre deux défenseurs lillois, en toute fin de match, avait abouti. Mais il n’en est rien et on se contentera – moi en tout cas – du match nul, ne serait-ce que pour tous ces gens qui auraient tiré un nez de six pieds de long en cas de hold-up rémois car, sur l’ensemble du match, il faut bien avouer que cela en aurait été un. Et puis, on n’est pas sans cœur, allez ! Après tout, le LOSC, c’était l’équipe de mes frères et de mon père. Une pensée pour eux qui n’auraient pas aimé voir les Dogues se faire battre à la maison.
Comme j’ai décidé de ne plus aller à Reims. Trop galère et trop onéreux à force, prochain rendez-vous à Bollaert contre Lens au mois de mai, on a le temps. Là non plus, je ne les ai jamais vu perdre, en Ligue 2, victoire en 2011, l’année de la montée ; match nul pour leur première saison d’après relégation, en 2016 et victoire à l’extérieur en 2017 grâce à un but de Diego Rigonato, le petit brésilien qui avait bourlingué dans toute l’Europe et joue maintenant en Arabie Saoudite (par là, mec!). Là aussi, je m’efforçais de prendre une mine contrite en cas de but rémois et je quittais le stade en jubilant intérieurement, juste un peu gêné à la gare devant des jeunes en maillot sang et or se prenant la tête dans les mains. Mais c’est le jeu.
Pourquoi je vous parle de Reims aujourd’hui, d’abord parce que c’est mon club de cœur et aussi parce que l’équipe est en plein renouveau. Après des débuts lamentables (une seule victoire à Angers, la lanterne rouge, acquise dans la douleur et plusieurs défaites à domicile et au moins un expulsé à chaque match), les hommes d’Oscar Garcia étaient en position de relégables et le feu était dans la maison.
Garcia a été lourdé pour insuffisance professionnelle (à sa décharge, son fils se mourait en Espagne) et c’est le Belge Will Still qui a pris les commandes en octobre. Depuis, les Rémois ne perdent plus. Quatre mois sans défaites depuis la mi-septembre et une défaite à domicile contre Monaco. Même en tenant compte du mois de trêve pour cause Qatar, la performance est à souligner.
Still a mis fin à la désastreuse défense à trois et a remis des arrières d’aile, Focket et Desmet, ses compatriotes. Il a donné leur chance à des joueurs comme Van Bergen ou Cajuste et a laissé aux vestiaires des bourrins comme Lopy ou Gravillon. Bon choix, monsieur !
Depuis, Reims a battu Nantes, Auxerre et Rennes à la maison avant d’aller gagner à Ajaccio. Matchs nuls à Troyes, à Brest, à Lorient, à Montpellier et donc à Lille. Plus deux nuls à la maison dont un contre le PSG (eh oui), et l’autre contre l’OGC Nice aujourd’hui, l’équipe de Thuram, Delort, Laborde, Dante et des canonniers britanniques Ramsey et Barkley. Prochain match au Parc des Princes et sûrement une fin de série, mais l’exploit est à noter.
Au classement, Reims pointe à la 9° place, dans le ventre mou, comme on dit, ex æquo avec Lyon et Nice qui ont des budgets trois fois plus importants. 25 points à l’issue des matchs aller, 5 victoires (seulement), 10 nuls et 4 défaites (seulement aussi). Pas si mal, avec un Folarin Balagun qui compte dix réalisations et Yunis Abdelhamid, le doyen, qui figure plus souvent qu’à son tour dans l’équipe type de L’Équipe. Sans parler du japonais Ito, titulaire lors de la dernière coupe du monde avec le Japon.
Déjà éloignée la relégation, sauf coup dur et spirale infernale (Ajaccio, Brest et Strasbourg, les premiers relégables pointent à dix longueurs derrière et il faudrait qu’ils gagnent 4 matchs tandis que Reims en perdrait autant. Peu probable). Comme est peu probable une hypothétique qualification pour une coupe européenne, même la moins prestigieuse de toutes (la coupe Europa conférence), car Reims affiche 11 points de retard sur les premiers lauréats potentiels.
À par ça, on a quand même eu la peau du sinistre Le Graet, supposé harceleur sexuel et surtout triste sire devant l’éternel. La France a perdu la finale, Deschamps est reconduit et Pelé est mort (les deux dernières chroniques). Lloris et Mandanda font leurs adieux à l’équipe de France (qui va garder les buts?) et, surprise du chef, les Lensois de Frank Haise pointent à la deuxième place du classement quand le SCO d’Angers et ses internationaux marocains a déjà quasiment les deux pieds en Ligue 2 d’où sortira à coup sûr Le Havre, et peut-être Bordeaux, au 36° dessous l’an dernier à pareille époque.
Sic transit gloria footus, comme ne disaient pas les latinistes.
15 janvier 2023