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SENTIMENTAL FOOLS

Burt Bacharach et Elvis Costello, peints de mémoire. Photo wikipedia (again…).

Il y a eu Roux et Combaluzier, Jacob et Delafon, Smith et Wesson, Dupont et Dupond… Et David – Bacharach. Burt Bacharach a rejoint son complice Hal David au pays bleu de la bonne chanson. Pas vraiment rock, mais les chansons signées du duo n’ont jamais cessé d’être émouvantes, voire poignantes ; qu’elles soient interprétées par Dionne Warwick, Jackie De Shannon, Aretha Franklin, Cilla Black, Tom Jones ou les Carpenters. Toutes et tous chanteuses et chanteurs de charme. Hey crooner, tu fais marrer tous les rock’n’rollers !, chantait Guy Marchand. La mort de Burt Bacharach me ferait presque pleurer.

C’était au temps du Brill Building et de Tin Pan Alley. Pour faire court, des duos de compositeurs qui alimentaient chanteurs de variété et groupes pop en chansons à succès (on disait des tubes). Il y avait Leiber et Stoller, les duettistes qui écrivaient pour Elvis Presley ou Ray Charles, le trio Barry – Spector – Greenwich qui sévissait, lui, à Los Angeles, Mann – Weil ou encore Goffin – King. Leur métier était donc de concocter des ritournelles pour artistes en manque d’inspiration et, immanquablement, ces mélodies sucrées aux paroles sentimentales devenaient des succès de hit-parade matraqués à la radio et dans les juke-boxes. Un métier fort lucratif, on s’en doute, mais il y fallait des dons et, pour le dire autrement, du talent. David et Bacharach en étaient pétris.

Né en mai 1928 à Kansas City, Burt Bacharach a trempé dans le monde du jazz, devenant à 30 ans directeur musical et chef d’orchestre de Marlene Dietrich. Sa première composition, « The Blob », est une chanson vite faite pour le film éponyme de science-fiction de série Z avec Steve Mc Queen. Elle a été composée avec Mack David, le frère de Hal, lui aussi un musicien à tout faire en mal de reconnaissance. Burt Bacharach s’occupera des musiques et Hal David prendra en charge les paroles. Ainsi fut-il décidé.

Le duo commence doucement avec, dès 1958, « The Story Of My Life », par la chanteuse country Marty Robbins, et surtout « Magic Moments » pour Perry Como (un sous-Sinatra roucouleur). C’est leur premier hit et il y en aura beaucoup d’autres. Mais les deux amis travaillent encore séparément, Bacharach étant le pourvoyeur en mélodies des Drifters,qui sont avec les Coasters les rois du catalogue Atlantic. Mais c’est avec Dionne Warwick que le duo entre enfin en action, ensemble, pour une union qui durera jusqu’aux années 1970. Avec la chanteuse, ils ont trouvé l’instrument parfait pour véhiculer leur style tout en glissando, en rondeur et en finesse mélodique. Leur collaboration débute en 1962 et ils décrochent la timbale avec « Walk On By », n°1 en 1964, reprise en France sous le titre « Va Plus Loin » par Richard Anthony, le Haroun El Poussah du yéyé.

Rien que pour Warwick, ils écrivent « Anyone Who Had A Heart », « I Say A Little Prayer » ou « Make It Easy On Yourself », mais leur petit commerce marche tellement bien qu’ils font des infidélités à la chanteuse, composant tour à tour « Alfie » pour la Liverpuldienne Cilla Black (laquelle reprendra aussi « Anyone Who Had A Heart »), « Always Something Up To Remind Me » pour Sandy Shaw (repris chez nous par Monsieur Eddy), « What The World Needs Now » pour Jackie De Shannon ou encore « This Guy’s In Love With You » pour Engelbert Humperdinck. Autant de tubes basés sur des mélodies enchanteresses, légères, sentimentales et intimistes au possible dont le thème principal tourne autour des peines de cœur, des trahisons et des chagrins d’amour. Tout cela peut paraître parfois mielleux et dégoulinant de sirop, mais ça marche et c’est pour eux l’essentiel.

Il y en aura beaucoup d’autres car, dans ces années 1960 bénies, le couple fait feu de tout bois et, tel Midas, transforme en or le moindre accord de piano. En 1965, le Gallois Tom Jones se rend célèbre avec leur « What’s New Pussycat », qui fait un hit planétaire dans le cadre du film éponyme de Clive Donner (sur un scénario de Woody Allen). Déjà, Bacharach et David s’étaient essayés à la musique de film avec une chanson refusée par John Ford pour L’homme qui tua Liberty Valance. C’est finalement Gene Pitney qui va récupérer et chanter la chanson dédaignée par l’un des borgnes de Hollywood. Ils ne se sont pas découragés et ont composé « The Look Of Love » pour Dusty Springfied, chanson du film Casino royale en 1968, une parodie de James Bond et, l’année d’après, celle pour le film de George Roy Hill, Butch Cassidy et le kid. Ce sera encore un numéro 1, « Raindrops Keep Fallin’ On My Head », chanté par B.J Thomas (celui-là même qui chantera pour Midnight Cowboy le « Everybody’s Talkin’ » de Nilsson). En tout cas, la musique du film de Hill lui vaudra deux oscars à Hollywood et on se gardera de parler de la version française de Sacha Distel au titre fidèlement traduit mais ringarde au possible, à l’image du chanteur. L’ultime consécration viendra des Carpenters, groupe folk-pop niais, qui seront longtemps n°1 dans tous les hit-parades avec « Close To You ».

C’est aussi à Hollywood qu’il épouse la belle Angie Dickinson, sa réussite exceptionnelle et son physique de playboy ayant séduit l’actrice. Ce sera en cette année 1969 que le couple Bacharach – David sera au zénith, les années 1970 allant marquer peu à peu leur déclin. Il faut dire que, à l’époque du Blues boom, du Hard-rock et du Progressive rock, les chansons du duo se sont passablement ringardisées, même si leur champ d’action se situe plus dans l’orbe de la variété internationale que de la Pop music.

D’abord, les compositeurs qu’on croyait inséparables vont divorcer au début des années 1970, chacun reprenant ses billes après des différends financiers. Puis c’est au tour de Dionne Warwick, devenue la marraine de Michael Jackson, de claquer la porte, peu désireuse de continuer à populariser les ritournelles des deux compères. Pire, le mariage de Bacharach avec la plantureuse Dickinson bat de l’aile et, en solo, il essuie son premier échec avec les chansons de la comédie musicale Blue horizon, qui fait un four à Broadway. Bacharach a perdu la main et tout ce qu’il touche maintenant se transforme en plomb.

Il aura du mal à s’en remettre, d’autant que son téléphone reste muet ; les managers et producteurs estimant plus judicieux de faire appel à des compositeurs un peu plus dans le sens de l’histoire. David et Bacharach sont devenus des noms qui évoquent les vieilles nostalgies de mélodies sirupeuses et de couplets bien troussés. Des idiots sentimentaux (sentimental fools).

Une longue traversée du désert qui s’achève en 1981, quand Bacharach reprend du poil de la bête et épouse Carole Sager, elle aussi compositrice. Ils proposent une chanson pour le film Arthur, avec Liza Minelli, « The Best That You Can Do », chantée par Chistopher Cross, qui le fait renouer avec le succès. La machine se remet tout doucement en marche et ce sera ensuite « Making Love » pour Roberta Flack et « On My Own », plus tard, pour Patti Labelle. Burt Bacharach n’a pas perdu la main et une nouvelle génération d’artistes lui fait à nouveau confiance.

Mieux encore, il se réconcilie avec Dionne Warwick et il sera à ses côtés pour ses concerts parisiens du printemps 1995. Il est pendu à son bras et le vieux playboy porte encore beau, d’autant que des rockers anglais comme Elvis Costello ou les frères Gallagher (Oasis) le remettent sous les feux de l’actualité.

Avec Costello, il a composé « God Give Me Strength » pour le film Angel of my heart, mais Costello va faire un album complet avec lui, Painted from memory, en 1998. Costello a toujours été un fan de David et Bacharach et ils proposent ici 12 chansons écrites en commun, d’excellentes factures faut-il le préciser quand on a en studio deux des plus grands compositeurs que l’histoire du rock ait connu. Non contents d’enregistrer ensemble, ils assureront la promotion du disque pour quelques concerts et émissions de télévision. Mais Bacharach abandonnera vite les feux de la rampe et c’est le claviériste Steve Nieve, vieux compagnon de route de Costello, qui reprendra leurs chansons pour une tournée au long cours.

Noel Gallagher, lui, chantera « This Guy’s In Love With You » en duo avec Bacharach au Royal Albert Hall de Londres, en compagnie du mannequin Kate Moss. De quoi relancer à nouveau la carrière de ce vieux cheval de retour dont la passion est justement l’élevage de purs sangs et les courses de chevaux.

Mais on sent bien que la magie n’opère plus et que ce que fait Bacharach depuis son retour inopiné du début des années 1980 n’a plus la grâce d’antan, se laissant souvent aller à la facilité avec beaucoup trop de sirop, de sentimentalisme et d’émotion désormais factice. Reste un incontestable savoir-faire, mais sans âme et sans le génie qui faisait de ses compositions, comme celles de Phil Spector un temps, des petites symphonies pour adolescents, des drames juvéniles de l’amour.

Rhino va publier un coffret de trois CD, fin 1998, sous le titre The look of love, avec presque tous les titres signés Bacharach (avec David ou seul). Un coffret remarquable qui témoigne d’une œuvre en tous points estimable, par l’émotion qu’elle dégage et son inégalée finesse mélodique. So long Burt ! Et continue à faire chavirer les anges avec tes chansonnettes.

23 février 2023

Comments:

Merci pour ce grand rappel moins d’un mois après sa mort. Bien que ses chansons étaient super populaires, je n’ai jamais été fan de sa musique qui était trop mielleuse pour moi, mais j’ai toujours su apprécier son succès durant ses grandes années. Une fois par hasard, à la suite de la première du film Rolling Thunder de Scorcese sur le Dylan des annèes 70 à Lincoln Center il y a 4 ans, Lilian et moi avions été invités à la réception à la Tavern on the Green dans Central Park après la projection du film. Nous nous sommes assis à une table un moment, et Burt Bacharach est venu s’asseoir (accompagné de 3 gardes du corps) à la table à côté de la nôtre. Très classe, plutôt sympa … et déjà très âgé. Ceci n’a fait que d’enrichir notre soirée avec un souvenir mémorable.

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