Le Farewell Tour. Roger Waters a fait un grand tour d’Europe au printemps, de mars à juin 2023. Commencé au Portugal, il s’est achevé dans son Angleterre natale en passant par l’Espagne, l’Italie, la France (il est passé à Lille), la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne et les pays scandinaves. La presse française lui a taillé des portraits peu flatteurs, le réputant pro-Poutine, pro-Palestinien (donc soupçonné d’antisémitisme) et gauchiste indécrottable, ce qui ne pardonne pas et vous pose une étiquette infamante dans les médias sérieux. Qu’en est-il exactement ? Retour sur les engagements politiques du citoyen Waters.
Il ne s’agit pas ici de raconter une nouvelle fois l’histoire du Pink Floyd, des débuts psychédéliques flamboyants sous l’ère Syd Barrett, génie ayant tôt basculé dans la schizophrénie, au départ de Roger Waters après la sortie de The Wall et des innombrables reformations qui s’en sont suivies. On débutera donc cette chronique avec la carrière solo de Roger Waters, après Pink Floyd.
Eric Clapton et David Sanborn l’épaulent pour son premier album solo, sorti en avril 1984, The pro and cons of hitch-hiking, avec une actrice porno qui fait du stop les fesses à l’air sur la pochette. La plaisanterie est moyennement appréciée et l’album parle beaucoup de cul sur fond de révolution sexuelle à partir des rêves érotiques d’un homme découpés minutes par minutes. Le projet avait déjà été présenté aux membres du Pink Floyd mais n’avait pas retenu leur attention et on comprend un peu pourquoi. La tournée qui s’ensuit n’a guère plus de succès et Waters en sort à nouveau à sec.
En 1986, c’est la bande sonore du film de Murakami Quand souffle le vent puis c’est Radio K.A.O.S l’année suivante, l’histoire d’un gamin handicapé, Billy et de son frère jumeau Benny, mineur licencié victime du monétarisme des Thatcher et Reagan. Lors d’une action de protestation, Benny est soupçonné d’avoir tué par imprudence un chauffeur de taxi et sa femme Molly envoie le gamin à Los Angeles. Là, Billy s’aperçoit qu’il a le don d’entendre toutes les ondes radio dans la tête, sans récepteur, et il s’ensuit une histoire de piratage d’un satellite militaire qui fait croire au monde que des têtes nucléaires sont sur le point d’être lâchées sur les principales capitales du monde. Une satire du libéralisme et de la compétitivité encouragées par les médias de masse et un final en appelant à un nouvel humanisme. À nouveau rien de bien remarquable musicalement, mais un apologue plus que convaincant sur les dégâts humains du capitalisme. Déjà engagé politiquement, Roger Waters va devenir une conscience et un témoin de la gauche radicale.
C’est ainsi qu’après la chute du mur, il organise un concert sur la Postdamer Platz le 21 juillet 1990, devant 300.000 personnes. Le spectacle s’intitule The Wall et il en sera tiré un film, The wall live in Berlin, par Waters lui-même. À ses côtés, un riche plateau où se succèdent Van Morrison, Joni Mitchell et Marianne Faithfull (entre autres). Waters inscrit ce concert dans le cadre de la chute du mur et de la liberté retrouvée pour les citoyens de la RDA, mais il met en garde contre l’hégémonie du capitalisme qui pourrait advenir. Lucide.
Amused to death sort en septembre 1992, encore sur l’aliénation due aux médias de masse avec des chansons sur la répression de Tien-An-Men (« Watching T.V »), la guerre du golfe (« The Bravery of Being Out of Range ») et contre toutes les religions («What God Wants »). Un épisode de la guerre du golfe est commentée à la manière d’un match de football et c’est maintenant Bush père, après Reagan, qui en prend plein la gueule. Jeff Beck tient la guitare avec Andy Fairweather-Low. Aux abords de la cinquantaine, Waters n’a rien perdu de son mordant et n’a pas remisé ses convictions.
Le 2 juillet 2005, Waters se produit à Hyde Park avec ses anciens partenaires de Pink Floyd et il jure que l’événement est exceptionnel et ne se reproduira pas. Pas question de reformation. Il collabore avec Étienne Roda-Gil au livret de Ça ira, opéra rock sur la révolution française. L’année d’après, il annule un concert à Tel-Aviv après avoir souscrit publiquement à une lettre ouverte de l’association BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanction) qui combat la politique d’Israël dans les colonies. Il entend protester contre le mur de la honte séparant Israël de la Cisjordanie et contre l’implantation des colonies en Palestine. Des réactions qui lui vaudront une réputation d’antisémitisme, comme il est d’usage pour disqualifier des personnalités de la gauche radicale.
C’est ensuite une tournée mondiale où il joue l’intégrale de Dark side of the moon, parfois rejoint par Nick Mason, le seul avec lequel il n’est pas fâché. Une ultime tournée mondiale, The wall live en 2010, avant l’annonce de sa retraite. Elle s’achève au Stade de France le 21 septembre 2013 et, en 2012 au Québec, sur les Plaines d’Abraham, un mur de 222 mètres a été érigé. Il se rend à Anzio en 2014 pour découvrir la stèle dédiée à son père, mort dans cette bataille 70 ans plus tôt, et est fait citoyen d’honneur de la ville.
Son dernier album solo (à ce jour), Is this the life that we really want ? sort en 2017 et renoue avec ses thèmes de prédilection : pacifisme, anticapitalisme et écologie. Il s’insurge contre les murs dressés pour séparer les peuples et combat toutes les oppressions. Une tournée, encore une, Us + Them, et c’est reparti pour 150 dates à travers le monde, dont 4 en France.
Son parcours musical et artistique se confond largement avec ses engagements et prises de position politiques. En faveur de la Palestine en particulier et du mouvement BDS. On peut voir des drapeaux palestiniens lors de ses concerts ou il est parfois coiffé d’un keffieh. Comme on l’a dit, l’ADL (Anti Diffamation League) lui intentera un procès en antisémitisme après la représentation d’un porc portant une étoile de David et des propos controversés sur le milliardaire américain Sheldon Adelson, accusé de vouloir dominer le monde en faisant une allusion maladroite au « peuple élu ».
Il traite Donald Trump de porc, défie Mark Zukerberg et conchie Facebook, les GAFAM et les réseaux sociaux. En 2018, il appelle ses fans brésiliens à voter contre Bolsonaro qu’il qualifie de fasciste, de même qu’il soutient Nicolas Maduro, successeur de Chavez, lors de la crise politique au Venezuela. Toujours en Amérique latine, l’année d’après, il envoie un message de soutien à Evo Morales, le leader bolivien, après le putsch de Jeanine Avez à la suite d’un scrutin contesté. Au Chili, en 2021, il apporte son soutien à Gabriel Boric et en Colombie à Gustavo Petro. Un soutien qu’il ne mégote pas non plus contre Julian Assange ou Chelsea Manning au nom de la liberté de la presse.
Des positions parfois contestables, lorsqu’il dédouane le régime syrien lors des attaques à l’arme chimique et vilipende les casques blancs, organisation humanitaire qui accuse le régime de Bachar Al Assad après Douma. Des journalistes voient en lui un conspirationniste et un propagandiste justifiant les crimes d’Assad au nom du combat contre les djihadistes. Sur le conflit israélo-palestinien, il a tendance à jouer les chevaliers blancs, s’attaquant publiquement à tous les groupes (de Nick Cave à Radiohead en passant par Bon Jovi) qui s’y rendent. Sur les dossiers actuels, Waters n’est guère clairvoyant, traitant Biden et tous ses prédécesseurs à la Maison blanche de criminels de guerre et défendant la Russie de Poutine qui n’aurait fait que réagir aux incessantes provocations de l’OTAN. Pour lui, la propagande occidentale diabolise la Russie et les livraisons d’arme à l’Ukraine devraient cesser. Quant à Taïwan, l’île fait partie intégrante de la Chine, conformément selon lui à une décision de l’ONU en 1948. On suppose que c’est pareil pour Hong-Kong.
On le voit, les convictions politiques généreuses et humanistes de Roger Waters ne vont pas sans excès campistes et sans aveuglement idéologique. C’est en cela qu’il peut être qualifié de gauchiste, prêtant le flanc à la critique pour les aspects parfois conspirationnistes ou partisans, même si les soutiens à BDS et les déclarations contre l’État d’Israël sont assimilés par les libéraux à de l’antisémitisme. Mais si l’on ne peut que se réjouir de ses combats anticapitalistes, anticolonialistes, pacifistes et écologiques ; son radicalisme peut parfois en arriver à cautionner des régimes autoritaires ou à défendre des causes indéfendables.
Waters n’a jamais été un tiède et il a souvent eu une vision simpliste de la politique internationale, mais de là à en faire une sorte d’ultra-gauchiste à la solde du Kremlin, comme l’a fait Marianne notamment… Heureusement, des journaux comme L’Humanité ont remis les pendules à l’heure (à leurs places, comme disait Johnny Hallyday, peu suspect de gauchisme, lui).
25 juin 2023
Le corps de l’article est encore issu de mon livre Les Politiques du Rock (Camion Blanc).
En vente nulle part, si j’en crois d’aucuns.
Content d’y retrouver ce que je viens de lire dans ton livre, il est toujours bon de repasser en vue les notions de ce que l’on entend un peu partout sur cet individu complexe.
Toujours ravi de te lire … Une réserve un jugement peut être hâtif sur concernant la situation actuelle, le « manque de clairvoyance » de Waters … concernant l’OTAN et le respect des accords concernant la Russie de même concernant la résolution de l’ONU sur Taiwan … ce sont aussi des faits que le Monde Diplomatique traite de façon assez bien documenté …
Enfin connaissant ta culture musicale j’aurai aimé lire un avis sur les dernieres productions de Waters qui me transporte bien moins que ce qu’il a fait pour les Pink Floyd …