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MÉDIATONIQUE : BOLLORÉ, L’EMPIRE DES RANCES

BOLLORÉ ou l’empire des rances. Photo glanée sur Internet. Avec l’aimable autorisation…

On avait parlé la fois dernière d’une chronique régulière sur les médias. On s’y tient. Des médias dominants qui font de plus en plus de buzz (comme on dit maintenant), déforment la réalité par leurs vérités alternatives, piétinent tout ce qui se revendique de gauche et orientent les votes de milliers d’électeurs. Pas de gouvernement de gauche à espérer sans cette domination de plus en plus agressive. Pour la première de cette chronique, un tour d’horizon de ces médias – presse ou audiovisuels – soit un tour du PAF avant de signaler quelques oasis dans ce désert nauséabond.

Quel est donc l’animal qui inventa l’info en continu ? Ils sont deux, en fait, à avoir lancé France Info un mauvais jour de juin 1987. Jérôme Bellay, un agité du bocal franchement réactionnaire, ancien journaliste de RTL, qui prendra ensuite la direction de l’information de France Inter puis d’Europe 1, et Roland Faure, un temps à la direction de Radio France après avoir été directeur de la rédaction de feu L’Aurore, quotidien anti-gaulliste et anti-communiste du petit commerce et des rapatriés d’Algérie.

Après France Info, robinet d’informations toutes assénées sur le même ton, sans relief, entrecoupé de reportages et d’interviews d’un intérêt souvent discutable, on aura, en 1994, LCI (La Chaîne Info), chaîne toute information du TF1 de Martin Bouygues créée par Étienne Moujeotte et Jean-Claude Dassier, tous deux ex d’Europe 1. Canal +, créé à l’automne 1984, aura aussi sa chaîne « tout info » avec I Télé qui deviendra C News après une longue grève du personnel sanctionnée par des licenciements. Car Bolloré, patron du groupe Havas, est entré en scène en Attila du paysage audiovisuel français, ce fameux PAF dont on nous a longtemps rebattu les oreilles.

Mais l’info en continu a prospéré avec BFM TV, le groupe audiovisuel de Patrick Drahi dirigé longtemps par l’ineffable Marc-Olivier Fogiel qui laisse son fauteuil à Fabien Namias (le fils de Robert, ex directeur de la rédaction de TF1). Il y a beaucoup de fils de dans l’audiovisuel et dans la presse. Pour le reste, on a aussi France 24, chaîne internationale atypique qui n’est qu’une excroissance de l’audiovisuel public ((France Média Monde) lancée par Chirac en 2006.

Une fois ce paysage brossé à gros traits, on va s’intéresser aux cinq ou six personnes les plus influentes dans l’univers de la presse et des médias actuellement : Vincent Bolloré, Bernard Arnault, Patrick Drahi, Maxime Saada, Xavier Niel et Daniel Kretinsky ; les autres – les Bouygues, Pinault, Dassault – étant des historiques bien installés mais peu enclins à étendre leur territoire et leur puissance, tout au moins dans ce domaine.

Il y a cette carte du Monde Diplomatique, régulièrement actualisée, qui nous montre que la presque totalité des médias dominants sont détenus par neuf milliardaires. On a déjà cité en introduction la plupart de ces grandes fortunes avides d’influence et de puissance qui forgent l’opinion.

On va commencer, à tout seigneur tout honneur, par Bolloré. Catholique breton ultra-réactionnaire, sa famille a fait fortune avec OCB, le papier pour cigarettes à rouler quand lui a étendu son domaine vers l’Afrique, ses ports, ses containers et ses usines flottantes.

Bolloré a racheté Havas, la fameuse agence de publicité et de communication consubstantielle à la cinquième république avant d’investir directement dans l’audiovisuel avec le succès que l’on sait.

Il a donc construit C News / C8 sur les cendres de I Télé avec les animateurs les plus ringards et les journalistes les plus médiocres. Côté animateurs, Morandini ou Cyril Hanouna, le porte-parole des fâchés (pas toujours) fachos. C’est la première lame avant la deuxième, celle des « journalistes » Pascal Praud, ultra-réactionnaire et ultra-libéral, ou Laurence Ferrari, ex-journaliste speakerine de TF1 devenue porte-parole médiatisée de la droite rance. Plus Christine Kelly, foldingue catho.

Mais C News n’est que le produit d’appel, car Bolloré a profité de la faiblesse de son ami Lagardère pour prendre le contrôle du Journal du dimanche (la grève des personnels aura été le feuilleton de l’été 2023), d’Europe 1 et de Paris Match, lequel va passer dans les mains de Bernard Arnault car l’hebdomadaire du « poids des mots et du choc des photos » a perdu beaucoup de lecteurs avec les  unes de Bolloré sur les prélats catholiques et les écrits à connotation religieuse, le tout au détriment du « people ». Le people, la mode et le luxe que Arnault va remettre en couverture.

Arnault justement, parlons-en. En plus de Radio Classique (la station pour bourgeois mélomanes qui recycle tous les ringards des périphériques, de Christian Morin à Guillaume Durand en passant par Eve Ruggieri), le milliardaires (deuxième fortune mondiale selon Forbes) possède deux quotidiens (Les Échos et Le Parisien / Aujourd’hui en France), voire trois si on compte L’Opinion dont il se dit qu’il a été le principal apporteur de capitaux. Tout cela au mépris des lois sur la presse de la Libération qui dispose qu’un même groupe ne peut posséder plus d’un quotidien ou hebdomadaire.

Arnault va donc s’approprier Paris Match, étendant son empire médiatique sous les applaudissements de la droite et de l’extrême-centre car il a beau être plus discret et moins « gros sabot » que Bolloré, il défend bec et ongles les intérêts de la bourgeoisie possédante et méprise les classes populaires comme il déteste la gauche. Un mépris teinté de démagogie pour Le Parisien, mais qui s’exprime sans retenue par ses éditorialistes à gage (Éric Le Boucher pour Les Échos ou Nicolas Beytout pour L’opinion).

Drahi, possesseur de BFM TV et de RMC (avec Alain Weil), a mis au pot pour recapitaliser Libération époque « nous sommes un journal », mais son empire décline en même temps qu’il aura dilapidé une fortune aussi colossale que son endettement (il se dit que le groupe Altice va passer chez Saada). Avec ses journalistes tête-à-claques aussi bêtes que méchants (Jean-Jacques Bourdin, Apolline de Malherbe ou Yves Calvi), Drahi n’en garde pas moins un pouvoir de nuisance sur la fabrique de l’opinion, même s’il se fait des plus discrets vis-à-vis de Libération qui reste un journal lisible.

Maxime Saadé, le nouveau venu qui s’est aussi enrichi dans les ports et docks avec la CMA / CGM fait figure de nouveau venu dans les médias mais il a de l’appétit et de l’ambition. Sa Tribune dimanche est là pour concurrencer le JDD et pour complaire à la Macronie à laquelle il ouvre ses colonnes. Sans parler de ses emplettes sur la côte d’Azur (Nice Matin, Le Provençal) et en Corse (Corse Matin). Gageons qu’il ne va pas s’arrêter là.

Et Xavier Niel ? Il était avec feu Pierre Berger et Mathieu Pigasse (Radio Nova et Les Inrockuptibles), l’enfant terrible des médias, rachetant Le Monde, Le Nouvel Observateur et Télérama ; autant de journaux de prestige adossés à sa compagnie de téléphone / Internet, Free. Il semblerait que Niel n’a plus les moyens et l’énergie qui lui a valu ses succès car le monde des médias, s’il attire les mégalomanes et les gros joueurs, finit vite aussi par les fatiguer. Niel, comme Drahi, avait surfé sur le succès de leurs compagnies téléphoniques respectives, mais le marché a connu des revers.

Et puis on a Daniel Kretinsky, honorable entrepreneur tchèque qui a fait fortune dans les énergies fossiles. Il a joué les chevaliers blancs de la presse écrite, sauvant Libération de la faillite puis devenant majoritaire à Marianne, Elle et à L’Express avant de se tailler la part du lion avec Editis lâché, bien obligé, par Bolloré déjà propriétaire du groupe Hachette raflé à Lagardère. Kretinsky n’est pas très politique, allant de droite à gauche sans trop se fixer, mais il était près néanmoins à céder Marianne au sinistre Pierre-Édouard Stérin, celui qui met 250 millions d’Euros sur la table pour faire gagner la droite dure (droite et extrême-droite confondues) aux prochaines élections avec son think tank Périclès. Mais Stérin et son armada n’ont pas dit leur dernier mot.

Pinault reste propriétaire du Point avec un Franz-Olivier Giesbert qui aboie toutes les semaines sur les terroristes de la CGT et sur les islamo-gauchistes et avec un Bernard-Henri Lévy en majesté qui enfile les perles pseudo-philosophiques, mais toujours de droite. Dassault est prêt à céder Le Figaro à Bolloré, les fils Dassault étant fatigués de piloter le navire amiral de la bourgeoisie française, avec ses grandes plumes de plus en plus féroces, tendres aux riches et dures aux pauvres (Yves Thréard, Guillaume Roquette ou Vincent Trémolet de Villiers). Quant à Bouygues, il vise M6 après TF1 et peut-être avant RTL, si les lois anti-concentration le lui permettent, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Voilà pour un panorama général des médias en France, avant de recenser les îlots de résistance.

Mais avant ça, l’histoire d’Europe 1, la radio de Mai 68 devenue la voix de la France moisie. Dans le prochain numéro.

4 septembre 2024

Comments:

OCB pour un Obtus Catho Borné qui après pas mal de Zig-Zag s’est trouvé le Job approprié pour devenir milliardaire sans beaucoup d’effort.
J’ai en mémoire les début de France Info à l’été 1987 alors que je partais avec des amis pour un tour du Sahara. Branché un moment sur cette radio le temps de la traversée de la France, il ne m’a pas fallu longtemps pour comprendre qu’on avait dans cette nouvelle antenne et sa formule, une radio au service du patronat. Elle arrivait avec le retour d’une droite revancharde au pouvoir et après une gauche qui s’était au diapason des discours néo libéraux, peu de temps après la fameuse émission « Vive la crise » d’un Yves Montand devenu propagandiste du culte de l’entreprise.

merci René pour ton commentaire qui rejoint la teneur de l’article. Pour ceux qui ça intéresse, forum thématique sur les médias ce soir à l’ESJ (18h), organisé par la section LDH de Lille. On parlera de tout ça, et plus…

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