(CONTREPÈTERIE TRÈS APPROXIMATIVE)
Didier Roustan, décédé le 11 septembre, était l’un des piliers du club L’Équipe (dont il était le président à vie). Il était ce journaliste sportif élégant, intelligent, romantique et humaniste, amateur de beau jeu et copain des Cantona et Maradona avec lesquels il avait fondé un syndicat international de footballeurs. Roustan, c’était l’anti-Thierry Roland et un éternel contempteur du football fric et du foot spectacle. Autant dire un dinosaure dans un milieu où règnent en maître la bêtise crasse et le pire chauvinisme. Il était aussi l’anti Pascal Praud, avec lequel il avait débuté dans Télé Foot. Tout cela valait bien un hommage. Salut Didier !
Didier Roustan était né à Brazzaville, dans le Congo du même nom, en 1957. Son père était un fonctionnaire du FMI et sa mère, Martiniquaise, journaliste. Les Roustan regagnent la France trois ans plus tard, en 1960, l’année des indépendances. Destination la Côte d’Azur, Cannes.
C’est à l’A.S Cannes que le jeune Roustan s’impose en libero de l’équipe juniors, côtoyant les professionnels et promis à un bel avenir. Il sera renvoyé du club pour indiscipline, déjà turbulent et contestataire. Il aura appris à lire dans le Miroir des sports de son enfance, un mensuel d’obédience communiste qui lui donnera une culture impressionnante de l’univers du football.
Baccalauréat en poche, il participe à un concours ouvrant droit à un stage de journalisme à TF1 où il entre comme journaliste sportif en 1978, remarqué par Georges De Caunes. Très vite, il va devenir un pilier de l’émission dominicale Télé Foot, d’abord présentée par Pierre Cangioni puis par Michel Denisot avant Thierry Roland retour de France 2. Roustan commente également des matchs de l’équipe de France et de Coupe d’Europe des Clubs, et ses commentaires parfois sarcastiques et toujours un peu décalés ne sont pas appréciés de la profession, même s’ils le sont du public. Autant dire que Roustan n’aime pas le football réaliste, les statistiques et les supporters bourrins ; il exècre par-dessus tout le football fric des vedettes sponsorisées et des arrangements à la Tapie. Ses modèles en football sont le Brésilien Socrates et l’Argentin Maradona. Tout pour la technique et le beau jeu avec une vision romantique du foot, celui de son enfance.
En 1987, il quitte TF1 privatisé, les Bouygues et les Le Lay pour rejoindre son ami Denisot à Canal +. Plus de matchs à commenter car Canal n’a pas encore acquis les droits TV du foot, mais une émission de sport, Mag Max, avec des reportages tout terrain sur le sport, pas que sur le football.
Après une courte période de chômage (il faut savoir que Roustan en connaîtra plus d’une, toujours exigeant quand à ses employeurs et peu enclin aux concessions), il entre au service des sports d’Antenne 2 rebaptisé France 2 depuis peu. En dehors du magazine mensuel Terre de foot, on pourra le voit sur le plateau de l’émission Stade 2, encore pilotée par Robert Chapatte, et c’est avec Éric Cantona ou Michel Hidalgo qu’il commentera le Mondial 1994 aux États-Unis. C’est malheureusement la seule Coupe du monde qu’il couvrira pour un grand média, laissant les suivantes à TF1 et à l’inévitable Thierry Roland.
Néanmoins, il couvrira encore deux coupes du monde, celle de 1998 pour Sport O’FM, avec Yves Bigot et celle de 2006 pour des chaînes du groupe Canal.
En 1995, il prend langue avec la crème des footballeurs rebelles, Éric Cantona et Diego Maradona en tête – pour créer un syndicat international des footballeurs professionnels, l’AIFP. Des joueurs, capés ou non, qui s’élèvent contre le marché aux esclaves des transferts, le rôle des agents de joueur, la marchandisation de leur sport, s’élevant aussi contre le racisme, la violence et le sexisme qui lui sont trop souvent consubstantiels. Une cabale menée par les instances du football international (FIFA, UEFA) en lien avec les syndicats nationaux de joueurs, en particulier l’UNFP française, fera capoter l’initiative en faisant pression sur les équipes et sur les joueurs.
Toujours animé des mêmes intentions rebelles et humanistes, il va créer en 2003 l’association Foot Citoyen avec Arsène Wenger, l’entraîneur emblématique des Gunners d’Arsenal. Il s’agit encore de lutter contre les fléaux conjugués du racisme et de la violence dans les stades. Une belle initiative que reprendront sous d’autres formes des joueurs comme Lilian Thuram ou Vikaj Dhorassoo. Roustan aura été, une fois de plus, précurseur.
La carrière de Didier Roustan n’aura pas été un long fleuve tranquille, et ses engagements jugés politiques – assurément ils le sont – lui vaudront d’être écarté des terrains pendant un an, au chômage. On le retrouve, modestement, à L’équipe TV en 1999, dans le cadre d’un talk-show avec Karim Nedjari et Pierre Menès, alors spécialiste du football anglais.
Mais Roustan a la bougeotte et ne se contente jamais de situations assises. Entre 2004 et 2007, il travaille pour TV5 Monde, d’abord en commentateur de matchs de coupes d’Europe, puis en fin analyste des rencontres de Ligue 1. Retour à la chaîne L’Équipe qui aura toujours toutes les tendresses pour lui et sa nostalgie d’un football romantique où des gentlemen avaient le souci du beau jeu. Il sera chroniqueur attitré à L’équipe du soir, L’équipe week-end et, on l’a dit, président (à vie) du Club L’équipe. Il aura aussi sur cette même chaîne un blog vidéo visible régulièrement sur le site du journal.
En plus de la télévision, Roustan fera profiter les auditeurs d’Europe 1 puis de RTL de sa belle voix chaude et de sa vision originale du football. D’abord Europe, où, en 2008 et 2009, il anime le Roustan Football Club avant de devenir consultant dans l’émission d’Alexandre Delperier Europe 1 foot. Il reviendra sur cette station en 2017 pour Y’a pas péno, une autre émission de football animée par Thomas Thouroude. Elle sera vite interrompue, faute d’audience.
En 2010, on le retrouve à O.M TV, la chaîne de l’Olympique de Marseille où il se contente d’animer les avants et les après matchs, avec force interviews autour du terrain et dans les vestiaires. Pourtant, Roustan n’a jamais vraiment été un supporter de l’O.M, plutôt nostalgique des grandes heures de l’OGC Nice ou de l’A.S Monaco, mais surtout fan du beau jeu où qu’il se trouve.
Après Europe 1, ce sera RTL, entre 2017 et 2019. Dans le cadre de l’émission d’Eugène Saccomano On refait le match, Roustan pique la place du sinistre Pascal Praud avec, entre autres consultants, Jean-Michel Larqué, Vincent Duluc ou Karim Nedjari. Le principe de l’émission fera florès dans l’audiovisuel français, soit une discussion de café du commerce entre spécialistes avec force éclats de voix, formules lapidaires, engueulades surjouées et provocations à deux balles. On le sent moyennement à l’aise dans l’exercice et il peut retourner sous des cieux plus cléments, soit à L’Équipe TV, la seule télévision qui lui ouvrira toujours ses portes. Là, il aura toujours une place réservée, en tant que président à vie du Club L’équipe, en compagnie de journalistes brillants tels Gregory Schneider de Libération.
Il apparaîtra une dernière fois sur la chaîne le 22 juin de cette année, déjà malade et atteint d’un cancer du foie. Didier Roustan aura, parmi d’autres distinctions, reçu le prix de l’association des écrivains sportifs, en 2015.
Il avait sorti un livre sur sa carrière de journaliste sportif et sur ses conceptions originales du football : Puzzle, sorti en 2023 aux éditions Marabout, la vieille maison sise à Verviers (Belgique) qui a souvent enchanté nos adolescences.
Journaliste atypique à rebours des règles du métier, individu libre et généreux nostalgique d’un football romantique, belle âme éprise de justice et de fraternité, Didier Roustan est mort dans la nuit du 10 au 11 septembre. Parmi le concert de louanges, on retiendra l’hommage rendu par son pote de toujours, Éric Cantona, rebelle comme lui : « grande tristesse d’apprendre la mort de Didier Roustan. C’était pour moi le plus grand journaliste sportif. Intelligent, vif avec un grand sens de l’image ».
Dans l’un de ses livres, Charles Bukowski écrivait qu’il n’y avait rien de plus con qu’un journaliste sportif (dixit). Disons que Didier Roustan était l’exception qui confirme la règle.
C’est qu’on l’aimait bien, Didier.
12 septembre 2024