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PARADIS FISCAUX = ENFERS SOCIAUX

Dessin de couverture par VAP, avec son aimable autorisation.

En France et dans la période, les informations économiques ne parlent plus que de dette colossale et de budget impossible, comme les informations sociales font état de fermeture de sites, de licenciements et de délocalisations. Quel rapport ? Entre autre, l’argent qui devrait s’investir dans l’activité économique ou dans les services publics et sociaux, et qui sert principalement aux dividendes, à la finance, aux gestionnaires de patrimoine et aux cabinets de conseil et le tout à travers l’évasion fiscale. Ce que nous explique en détail un petit livre publié par Attac : L’évasion fiscale, toute une histoire.

Difficile de résumer un tel livre : six chapitres denses sur l’évasion fiscale illustrés par les dessins de Vap, de son vrai patronyme Pauline Vuarin. On peut parler économie avec humour et c’est bien l’angle de ce livre édifiant qui se lit en deux heures à peine. Un précis d’éducation populaire, tourné vers l’action.

Un livre coordonné par Frédéric Lemaire et Nolwenn Neveu avec le concours de spécialistes de la question à Attac dont Vincent Drezet, Ophélie Gath, Raphaël Pradeau et l’économiste atterré pilier d’Attac Dominique Plihon.

À l’origine étaient déjà, dans l’antiquité, des zones franches libres de toutes taxes, mais c’est le Moyen-âge qui va inventer le paradis fiscal avec le trust, soit la gestion des terres et de la fortune par un homme de confiance qui ne paie rien sur les biens gagés, lesquels sont restitués au bénéficiaire. Le système a pris naissance au temps des premières croisades où le seigneur s’en allait au Moyen-Orient bouter le sarrasin hors des lieux saints. Mais c’est au cœur de Londres, à la City, que le trust va faire florès, les financiers de cette place financière allant investir les endroits les plus reculés du Commonwealth pour placer leur fortune et échapper au fisc. D’où ces paradis situés principalement dans les Caraïbes : îles Vierges, Barbade, îles Caïman ou Bahamas.

Mais c’est la Suisse, pendant la seconde guerre mondiale, qui va ériger le secret bancaire, au départ pour empêcher les nazis de récupérer des biens juifs, et ensuite pour devenir une place forte financière attirant les fortunes du monde. Un secret bancaire qui tombera en 2007 avec l’affaire UBS (des conseillers de la banque démarchaient des clients pour échapper à l’impôt et les clients américains ont dû rembourser les pertes au trésor ), mais l’Europe de l’évasion fiscale aura de nouvelles capitales : le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Irlande, Malte, Monaco… De même, aux lointaines îles de l’empire britannique viendront s’ajouter Hong Kong (en lien avec HSBC), Singapour, Panama et des états américains comme le Delaware ou, dernier né, le Dakota du Sud.

« Un poison démocratique et social », nous dit le livre, en ceci qu’il nuit au consentement à l’impôt et empêche toute politique égalitaire. Il serait fastidieux ici de détailler les mécanismes de l’évasion fiscale et on se bornera à citer les techniques les plus modernes : « double Irish » (aller et retour Irlande Pays-Bas), sociétés écran où n’apparaît pas l’identité du bénéficiaire, montages financiers acrobatiques (ces bananes produites en Équateur et facturées à Jersey), concurrence fiscale déloyale… Le tout encouragé par des conseillers fiscaux mais aussi par des cabinets d’audit (KPGM, Mc Kinsey ou Mossack-Fonseca), ces mêmes cabinets que notre beau pays engage et rémunère grassement pour redéfinir les politiques publiques à coups de slides et de rapports écrits dans la langue du capitalisme international.

Un pôle de journalistes internationaux et des lanceurs d’alerte comme Denis Robert (affaire Clearstream où il laissera sa chemise avant de gagner), Antoine Deltour, Hervé Falciani ou Stéphanie Gibaud lesquels révéleront les Panama Papers, Lux Leaks, Swiss Licks, Paradise Papers, Pandora Papers et divers scandales (Cum Cum ou Cum Ex) dont les plus fameux restent HSBC, à l’origine la banque de l’argent de l’opium en Asie et UBS, le coffre-fort suisse qui ne résistera pas aux politiques protectionnistes américaines.

Les quelques mesures prises par l’OCDE se sont révélées insuffisantes (BEPS), comme celle des États avec des appels à l’échange d’information. On peut quand même saluer la faible taxation à 15 %, en 2021, hélas une disposition qui ne s’applique qu’aux quelques pays signataires et qui, surtout, s’applique très mal avec moult dérogations. Notons que Macron penchait pour 10 %…

On peut aussi citer, parmi les terreurs de la lutte contre les paradis fiscaux, notre Sarkozy national qui s’écria à la suite d’un quelconque sommet international : « les paradis fiscaux, c’est fini ! », de même qu’il avait terrassé la délinquance et guéri les écrouelles. Il y a eu aussi, dans le genre, le « il n’y a pas de paradis fiscaux en Europe » de Jean-Claude Junker, alors président de la Commission Européenne. Assez culotté pour un ex-premier ministre luxembourgeois.

Le livre nous donne pourtant les solutions : établissement d’un cadastre financier, unité de compte pour les multinationales réunissant leurs filiales dans une même entité, taxation pays par pays qui obligerait les multinationales à payer là où elles font leurs bénéfices (Total énergie ne paie pas d’impôts en France par exemple), renforcement des personnels voués au contrôle dans l’administration fiscale, échanges continus d’information, sanctions exemplaires au portefeuille… On préfère souvent s’arranger à l’amiable avec le fameux « plaider coupable », dit encore « oups ! », soit le j’avoue avoir triché et on me colle une petite amende sur l’air du n’y revenez plus et allez en paix ! Au moins, les États-Unis ne s’accommodent pas de telles hypocrisies : le FATCA oblige les banques où qu’elles se situent à communiquer à l’administration fiscale U.S les comptes de leurs ressortissants avec redressements éventuels à la clé. Autant d’idées pour aller chercher les milliards manquants.

Mais encore faut-il une volonté politique et le néo-libéralisme s’accommode fort bien de ces entorses au bien commun. 80 à 100 milliards (Solidaires Finances publiques jamais contesté par les économistes, même les plus orthodoxes) ; près de 1000 milliards pour l’Europe. Autant qui manque au budget, à la dette, aux services publics et sociaux, à l’investissement, ce que rappellent les mobilisations citoyennes menées par Tax Justice Network, Attac ou Oxfam. Mais les techniques évoluent en fonction des sanctions. La vieille histoire du boulet et de la cuirasse. À chaque victoire des ONG correspond une nouvelle réglementation au moins provisoirement autorisée par les États, le temps de faire ses petites affaires. Jusqu’à quand ?

Comme John Maynard Keynes avait évoqué en son temps « l’euthanasie des rentiers », ce sont les professions de conseiller fiscal ou d’avocat fiscaliste qu’il conviendrait d’interdire. Mais rien qu’une telle phrase risquerait de vous faire passer pour un Polpotiste dans nos charmants médias dits pro-business.

On peut lire dans la post-face de John Christensen, cofondateur de l’ONG Tax Justice Network, un bref historique du long et fastidieux combat contre l’évasion fiscale, une lutte acharnée, un travail de fourmi avec peu de moyens contre cette hydre moderne dont la capacité de se reconstituer même après les pires coups portés est sans limite. Des équipes militantes souvent bénévoles qui, à force d’enquêtes et d’investigations, réussissent à inquiéter des holdings financiers, des banques et des multinationales salariant des cabinets de conseil et d’avocats toujours à l’affût de la moindre faille à exploiter. Un combat inégal mais qui a le mérite de la persévérance et de la ténacité pour ne pas laisser s’installer un sentiment de totale impunité.

Car le paradis fiscal est aussi un enfer social. On ne va pas reprendre la triste litanie des calamités économiques et sociales qui s’abattent sur les classes moyennes et populaires à cause de cette économie casino et de ce capitalisme prédateur. On parle, à la fin du livre, de transparence sur les patrimoines, de moyens pour lutter contre la délinquance financière, d’une nouvelle gouvernance mondiale pour la justice sociale. Tout cela est bel et bon, mais avec quel rapport de force, tant que les peuples éliront des Meloni, des Trump, des Milei, des Orban, des Poutine ou des Modri… Ou des Macron.

La seule piste sérieuse est celle préconisée par les frères Bocquet, une COP internationale de la finance comme il en existe pour le climat ou la biodiversité, sous l’égide de l’ONU. Ce serait déjà un premier pas qui engagerait les États signataires. Pas suffisant, certes, mais nécessaire si on veut vraiment faire bouger les choses et mettre un terme à l’avidité de ceux qui privent les États de recettes budgétaires et ne font que creuser la dette. Une mesure simple qui relève pourtant de l’utopie, tant les gavés, les goinfrés et les voraces n’ont pas l’intention de lâcher prise. Il faudra leur faire rendre gorge, comme disait un ancien ministre socialiste à propos des frères Willot, un groupe textile qui fut à la base de la fortune d’un certain Bernard Arnault. L’euthanasie des patrons voyous, avant celle des rentiers et des spéculateurs ? Chiche ?

ATTAC & VAP – L’ÉVASION FISCALE, TOUTE UNE HISTOIRE – Éditions de l’atelier

Comments:

Quel résumé efficace, merci Didier! Et tellement bien écrit (comme toujours)!
Cela m’évite de lire tout le livre 😉 et m’éclaire bien sur les machinations impures…

Un article bien édifiant…. 80 à 100 milliards pour la France ? Cela vaut bien la peine de raboter les remboursements de santé et d’éducation pour quelques milliards, de prétendre taxer encore plus les retraités et autres économies de bouts de chandelle !

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